Cet Uthal qui dormait paisiblement dans la poussière des bibliothèques, pourquoi le réveiller ? Premièrement parce que, tout comme le « Lied d’Ossian » que traduit Werther, cet opéra-comique est un reflet de l’engouement phénoménal dont jouirent pendant un demi-siècle les écrits de James Macpherson, alors même que la supercherie visant à les faire passer pour d’authentiques poèmes du IIIe siècle de notre ère était depuis longtemps éventée. Deuxièmement, parce que l’on commence à peine à redécouvrir ce que fut l’art lyrique français entre Iphigénie en Tauride et La Dame blanche, et qu’il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Comme l’a fort bien rappelé Alexandre Dratwicki dans son allocution liminaire, samedi soir à Versailles, personne ne prétend faire de révélations fracassantes, mais l’on ne peut juger sans connaître.
Pourquoi le réveiller ? Peut-être aussi parce qu’Uthal avait été une première fois tiré de son sommeil, en octobre 1972, par la BBC, mais avec une distribution anglophone augmentée d’une mezzo italienne. S’il faut saluer les Britanniques pour leur curiosité d’esprit, il est permis de penser que l’on pouvait faire mieux. Et sur ce plan, la réussite est totale et incontestable. Une fois de plus, Christophe Rousset s’empare de la partition pour en tirer le maximum, et il y parvient admirablement. Sous sa direction nerveuse, acérée, les Talens Lyriques, amputés de leurs violons, puisque Méhul les a délibérément exclus de sa partition, crépitent dans la tempête initiale, s’embrument dans les forêts d’Ecosse ou s’éclaircissent aux accents de l’inévitable harpe. Et surtout, la distribution vocale réunie est sans faille. Voilà une œuvre que l’on peut confier sans mal à une équipe francophone (Reinoud Van Mechelen est la seule exception), à condition bien sûr de réunir quelques-uns de nos meilleurs chanteurs. La présence de Yann Beuron dans le rôle-titre constitue en soi une excellente nouvelle, et l’on espère désormais que le Centre de musique romantique française le sollicitera pour d’autres rôles pour lesquels il est idéalement taillé, lui qui fut un magnifique Admète à Garnier et que l’on entend trop peu en France. Il possède la voix, la diction, le style nécessaires à ce répertoire, alors que ne lui en confie-t-on davantage ? Jean-Sébastien Bou n’est pas en reste, on s’en doute, et il prête à Larmor les accents farouches qui conviennent à ce personnage haineux. Karine Deshayes complète le trio avec toute la sensibilité dont elle est capable, en héroïne tragique partagée entre son père dans un camp et son époux dans l’autre, car même sous des oripeaux celtiques, la vertu romaine n’est jamais loin dans l’opéra napoléonien. Tout récemment Alfredo à Tours, Sébastien Droy est un luxe dans le rôle très secondaire d’Ullin, et Philippe-Nicolas Martin a sans doute plus à chanter en tant que « Chef des Bardes », ce dont il s’acquitte à merveille, d’une voix souple et joliment timbrée. Rien à redire au quatuor des bardes, parfaitement équilibré, ni à la prestation du Chœur de chambre de Namur, limité à ses voix masculines (pas plus de voix féminines ici que de violons à l’orchestre).
Pourquoi réveiller Uthal, enfin ? Parce qu’il le vaut bien, même si l’on imagine mal cette œuvre retrouver le chemin des scènes. Premier obstacle, les dialogues parlés, en alexandrins, que les chanteurs font de leur mieux pour déclamer avec conviction, mais qui peuvent sembler un peu longs par rapport au temps accordé à la musique lors d’un concert durant à peine 70 minutes. Ladite musique est néanmoins assez convaincante, peut-être plus animée que celle de l’Adrien publié l’an dernier par le Palazzetto Bru Zane. Si elle n’inclut rien qui semble devoir marquer durablement les esprits, elle s’écoute du moins avec beaucoup de plaisir et inclut de bien beaux ensembles. Réveillons, réveillons donc, il en restera toujours quelque chose.