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« Mon travail est de donner du plaisir »
Interview de Franck Emmanuel Comte,
directeur et fondateur du Concert de l’Hostel Dieu à Lyon
Franck Emmanuel Comte
© Stéphane Pelissier
Pouvez-vous nous parler de l'histoire de votre ensemble ?
L'ensemble est né pendant la saison 1992-1993. Nous
fêterons nos 15 ans cette année… Même si
l'idée d'un anniversaire n'est pas vraiment ce qui nous guide.
Il y aura peut-être un petit quelque chose mais ça restera
discret. Bref, le Concert, au début, c'était en fait "Les
Concerts de l'Hôtel-Dieu". Il s'agissait de manifestations de
musique vocale au sein de l'hôpital ; des concerts soutenus par
une association de médecins. C'est de là qu'est
née notre saison lyonnaise. Et la programmation portait
déjà en elle le germe de cette diversité qui nous
est vraiment si chère : il s'agissait de quatre concerts
déclinant quatre styles. Le baroque était seulement l'un
d'entre eux. Quand, pour différentes raisons, il s'est agi
d'évoluer sans l'association, le baroque, sous forme d'ensemble
est revenu presque naturellement, et c'est autour de lui que nous nous
sommes "fortifiés".
Quelle est la place pour
un ensemble comme le vôtre au milieu de l'offre actuelle ?
Comment défend-on sa légitimité ?
Vous avez raison de poser cette question, d'autant que notre
environnement – ne serait-ce que géographique –
propose déjà une offre importante en terme de
manifestations ou de festivals. A Lyon, nous avons peut-être une
légitimité naturelle du fait de notre histoire et du lien
que nous avons développé avec le public. En France et
à l'étranger, la question se pose autrement. Et c'est
évidemment plus difficile. Nous avons un répertoire
spécifique par lequel nous pouvons nous identifier : il tient au
patrimoine local – des manuscrits conservés à Lyon
– et à tout ce qui ramène à Lyon et à
ses rapports avec l'Italie. Nous sommes musiciens ; notre travail est
de faire de la musique et pas de monter des concerts. Il y a pourtant
toujours une équation économique ; quelque chose qui
tient au coût d'une représentation, à sa
rentabilité. De ce point de vue là, nous arrivons
à la moitié du chemin. Nous sommes sollicités,
évidemment. Mais nous le sommes pour des tubes : Le Messie, L'Oratorio de Noël, le Requiem
de Mozart. Nous nous y livrons pour exister même si ce sont,
naturellement, des pièces exceptionnelles. On ne peut
malheureusement pas imposer un répertoire, même si je
préférerais faire valoir plus souvent notre travail sur
des inédits comme Le Martyr de Sainte Ursule
de Scarlatti. Cela prendra plus de temps de faire en France et ailleurs
ce que nous faisons de manière naturelle – et avec de
vraies attentes – à Lyon.
Il y a 20 ans, "jouer
baroque", pour beaucoup, c'était jouer faux. Qu'est-ce que cela
veut dire, pour vous, de jouer baroque ?
Ah ! Les grands, eux, ne jouaient pas faux ! Ce que j'essaie de
retenir, pour ma part, de cet héritage, c'est l'esprit
plutôt que la lettre. C'est l'énergie, la liberté,
le coloris. Des qualités qu'il ne faut d'ailleurs, pas
hésiter à appliquer à tous les répertoires.
Je dirais que c'est une histoire d'ouverture d'esprit ; peut-être
aussi de modestie, d'équilibre – le chef n'est pas
là pour être devant tout le monde – de respect de la
place de chacun. Il y a cela et aussi le rapport au public qui est
différent. Je veux dire, par exemple, que jouer dans une
église qui n'a pas de scène, c'est au sens propre, se
mettre au niveau de public. Cela génère une écoute
différente et une autre manière de faire de la musique ;
un rapport plus direct avec l'auditoire. Il faut conserver cette
fraîcheur qui permet, parfois aussi, de positiver un relatif
manque de moyens !
La
saison dernière a fait la part belle aux découvertes. Le
travail sur les manuscrits, c'est une évidence pour vous ?
Oui. Sans aucun doute. Même si cela se ressentira peut-être
moins cette année ; à Lyon du moins. C'est un travail
constant même si sa mise en œuvre est une affaire
d'opportunité. A la Bibliothèque Municipale de Lyon -
où j'ai retrouvé le manuscrit de la Sainte Ursule
de Scarlatti – je vois encore une bonne dizaine de projets
inédits. Mais vous dire quand et comment ils se
concrétiseront – et même si ils se
concrétiseront – je ne peux pas le faire !
On vous entend peu dans un répertoire purement instrumental. Quel est votre rapport à la voix ?
J'ai besoin de la voix. Paradoxalement, pour moi, c'est l'instrument
parfait par excellence. Le texte m'aide aussi dans ma direction. Le
répertoire instrumental baroque est soit abstrait soit
franchement illustratif – voyez Les Quatre Saisons.
Ce n'est pas mon répertoire. C'est peut-être aussi pour
cela que le répertoire classique m'est tellement
étranger. Il faut dire aussi que, pour ce qui concerne le
baroque, l'instrument est souvent l'imitation de la voix – et je
vous dis cela alors que je suis instrumentiste ! La voix est
l'élément naturel qui véhicule le message du
baroque.
Parlez-nous, maintenant, de la saison qui s'annonce.
Cette année, nous ne changeons pas de musique mais de
communication. Notre visuel est différent. C'est aussi cela
l'ouverture. Musicologiquement nous resterons les mêmes, en
cherchant l'équilibre entre le patrimoine régional, les
grandes pièces et, surtout, les collaborations atypiques.
Voilà pour l'aspect financier et le plaisir ! Mais dans ces
trois axes permanents résident aussi nos changements ! C'est
apparemment paradoxal et pourtant… Voyons les collaborations.
Jusqu'à maintenant elles se faisaient au gré de
rencontres, sans beaucoup de communication et sans politique
d'enregistrements. Cela relevait d'un domaine marginal. Nous avons
maintenant la possibilité et le bagage pour assumer ce travail
qui était seulement épisodique. Nous voulons le mettre en
première ligne ; en faire un vecteur de plaisir,
d'énergie ; un moyen d'actions culturelles renforcées
vers le scolaire, les hôpitaux, les cafés. Ce genre de
manifestations se prête mieux à la réception
spontanée d'un public plus large. Aujourd'hui, notre projet
à long terme consiste à éclater les cadres ; aller
vers d'autres formes de collaborations moins "institutionnelles" ; vers
la danse, vers des vidéastes et des photographes. Et puis cela
reste aussi un excellent socle de connaissance de la "période"
qui nous intéresse. Il faut comprendre que notre travail peut
porter des fruits médiocres ; c'est alors aussi un moyen de
déjouer les pièges de la frustration. Pour ma part, je
n'oublie jamais, non plus, que je suis musicien avant tout et que mon
travail est de donner du plaisir ! L'ensemble a choisi de
privilégier les rencontres : il y aura donc des
différences de tarifs selon les publics que nous voudrons
approcher. Nous aborderons des auteurs peu fréquentés :
ce sera l'outil idéal pour travailler avec l'Atelier vocal qui
est au centre de nos projets. Même les grands classiques seront
revus dans une optique de surprise – je réfléchis
à la présence d'un Big Band de cornemuses pour faire
sonner d'une manière bien personnelle les Noëls de
Charpentier ! C'est que nous pouvons compter sur un
élément stable qui est notre public lyonnais. C'est notre
premier soutien et pour cette raison cette année, les
abonnés seront "transformés" en adhérents. Haendel
avait bien des souscripteurs pour faire tourner son
théâtre londonien ! C'est risqué, me direz-vous.
Vous voulez que je vous dise quel est le principal risque que nous
courons ? C'est d'être plus sincères !
Bouzignac, Charpentier et
Campra sont vos grandes têtes d'affiche cette saison. Quelle
cohérence y a-t-il entre eux ?
Leur cohérence c'est peut-être de ne pas en avoir ! Je
m'explique : ce sont trois compositeurs qui se sont construits sur la
base d'influences multiples toutes plus ou moins
étrangères à la France. J'aime l'idée de
mettre en scène une France qui ne soit pas dogmatique et loin du
modèle versaillais que l'on nous présente souvent. Une
France ouverte sur le sud et l'Italie. Une France lumineuse et
avant-gardiste – il y a une "entrée" de la Turquie dans L'Europe galante
de Campra ; l'œuvre a trois cents ans et au-delà du jeu de
mots cela laisse rêveur! Voyez Bouzignac, si mystérieux et
dont la musique ne ressemble à rien d'autre ! De ce point de vue
c'est un génie. Chez lui tout est encore à
découvrir. Il est tellement "ébouriffé", libre,
unique. Regardez comme on revient à ce que je vous disais du
baroque !
Vous accompagnez beaucoup
l'écoute des spectateurs au cours de vos concerts. Que
souhaiteriez-vous que le public retienne de cette nouvelle saison ?
Mon ambition secrète est que les gens aient toujours
faim… Qu'ils aient envie d'y revenir ! J'ai envie de surprendre
sans être dans le spectaculaire. J'ai envie que le public soit
illuminé en sortant du concert Bach. Qu'il ait envie de danser
à la fin des Carolan dreams. En fait j'ai un objectif par
concert qui conduit mon travail. Mais cela je ne le dis pas au public ;
pas aux musiciens non-plus d'ailleurs ! Evidemment c'est une
donnée qui bouscule l'image de l'ensemble mais je ne veux pas
d'ennui ! La constante, finalement, c'est d'être varié ;
comme si nous faisions un voyage de six escales.
Que peut-on vous souhaiter alors ?
Qu'il n'y ait pas naufrage au cours de la croisière ! Mais de
toute façon rien ne se déroule jamais selon le plan !
Nous changeons de lieu, de diapason, de tempérament. Une
église mal chauffée suffit à
dérégler les instruments… et tout suit ! On
prête le flanc aux problèmes. Je vous parlais de plans
préétablis… Et ce qui est vrai pour les
problèmes l'est aussi dans l'autre sens. Il arrive souvent de
bonnes surprises !
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