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BARCELONE
27 & 28/11/2007
Elisabetta Fiorillo / Roberto Alagna
© Antonio Bofill
Giuseppe VERDI (1813-1901)
AIDA
Opéra en quatre actes (1871)
Livret d’Antonio Ghislanzoni
Coproduction Grand Théâtre du Liceu
Festival International de Musique de Santander
Mise en scène, Jose Antonio Guttierez
Scénographie, Josep Mestres Cabanes
Costumes, Franca Squarciapino
Lumières, Albert Faura
Chorégraphie, Ramon Olier (Compagnie Metro)
Le Roi : Giorgio Giuseppini / Stefano Palatchi
Amneris : Elisabetta Fiorillo / Marianna Cornetti
Aida : Hui He / Micaela Carosi
Radamés : Roberto Alagna / Marco Berti
Ramfis : Carlo Colombara / Andrea Papi
Amonasro : Juan Pons / Andrea Maestri
Le messager : Josep Fado
La prêtresse : Begogna Alberti
Chœurs et Orchestre symphonique du Grand Théâtre du Liceu
Direction des chœurs, Jose Luis Basso
Direction musicale, Daniele Callegari
Liceu, Barcelone, 27 et 28 Novembre 2007
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Sur la route de Memphis
Pour atteindre l’état alchimique de la sublimation, des
éléments purs et liés étroitement par des
affinités intimes doivent parvenir à une fusion parfaite.
Il en est de même à l’opéra ;
c’est dire si les réussites sont rares. Cette Aïda
n’échappe pas à la règle, même si
d’un jour à l’autre la satisfaction augmente
notablement.
Le 27, donc, une équipe différente de celle prévue : Fiorenza Cedolins ayant dû renoncer pour raison de santé à chanter Aïda c’est Hui He
qui la remplace. Ce n’est pas manquer de respect à cette
interprète que de dire que sa composition scénique,
malgré ses efforts, n’est pas très convaincante. On
peut du reste en dire autant d’Elisabetta Fiorillo
qui déboule sur la scène comme sur un ring et ne met
guère en évidence les facettes du personnage
d’Amnéris. Quant à Roberto Alagna, il donne l’impression de s’investir a minima,
peut-être soucieux, pour une prestation vocale qui
déçoit et laisse perplexe, voire inquiet. On croyait,
d’après ses dires, les problèmes
révolus ; on s’explique mal alors l’absence du pianissimo
à la fin de « Celeste Aïda », la
transposition à l’octave d’un si bémol au
troisième acte, et les fréquentes modifications de
l’émission peut-être dues à
d’intempestives mucosités. Au-delà de la tension
compréhensible que le ténor peut éprouver quand il
reprend ce rôle, n’a-t-il pas revu à la baisse son
ambition d’allier vaillance et poésie ? Ce soir, il
semble vouloir favoriser la première sans convaincre qu’il
en a indubitablement les moyens. Les trois chanteurs adoptent en outre
des attitudes stéréotypées qui affectent encore
plus la crédibilité des personnages et donnent
l’impression qu’il n’y a pas eu de direction
d’acteurs.
Dès lors ceci explique peut-être cela : quand le trio
principal n’emporte pas l’adhésion, le spectacle se
traîne. Pourtant le Roi de Giorgio Giuseppini est digne à souhait, l’Amonasro de Joan Pons
satisfait par l’équilibre des moyens vocaux et
l’expressivité requise, le messager et la prêtresse
sont parfaits… Mais le Ramfis de Carlo Colombara,
s’il a l’élégance d’un grand
dignitaire, ne fait pas sentir suffisamment le poids de celui qui en
définitive est le vrai maître.
L’ouverture n’a pas créé le frisson attendu,
et tout au long de l’œuvre la fosse semble s’en tenir
à une routine prudente. La prestation des chœurs, en
revanche, est très bonne du début à la fin,
notamment les prières et les effets de lointain à volume
contrôlé. Certes vocalement l’Aïda de Hui He est
globalement satisfaisante ; hormis un « Numi
pietà » légèrement faux elle
résout les difficultés grâce à une voix
homogène, des aigus faciles, et démontre une belle
musicalité qui lui vaudra le plus beau succès. On
voudrait en dire autant d’Elisabetta Fiorillo,
qui par l’étendue de son registre, l’ampleur et la
profondeur de ses graves, l’assurance de ses aigus, rappelle le
phénomène Ewa Podles. Quel dommage que des moyens si
étonnants ne s’accompagnent pas de plus de nuances !
Joan Pons
© Antonio Bofill
Le
lendemain, c’est la surprise : on ne voit pas le même
spectacle. Certes, la scénographie du grand décorateur Cabanes,
qui fait partie du patrimoine catalan depuis 1945 et a
été soigneusement restaurée, déroule
à nouveau sous nos yeux les séduisants
trompe-l’oeil de paysages monumentaux et naturels
étroitement inspirés de l’Egypte antique.
Composés de centaines de feuilles de papier peint en fonction
des polychromies authentifiées par l’archéologie
avec la patine des tableaux de David Roberts
ils servent d’écrin à des scènes qui animent
les bas-reliefs rendus populaires par l’égyptomanie, et
reçoivent la caresse d’éclairages qui les magnifie.
Mais alors qu’on croyait que la mise en scène
s’était bornée à déplacer les
participants en fonction des espaces laissés libres par ce
dispositif décoratif contraignant, on découvre que les
personnages de l’opéra existent, et que les
interprètes non seulement cherchent mais encore
réussissent à exprimer les émotions correspondant
aux rôles.
Certes la voix de Marianne Cornetti,
tout indiquée pour Amnéris, n’est pas
impressionnante comme celle d’Elisabetta Fiorillo, mais
l’interprète communique quelque chose du panorama
émotif de la princesse amoureuse, soupçonneuse,
faussement compatissante, impérieuse, tourmentée,
désespérée, même privée du
décolleté de sa consoeur. Certes la silhouette de Marco Berti
est moins élégante que celle de Roberto Alagna, et sa
jupette moins seyante, mais la puissance de sa voix est naturelle,
l’émission est propre, l’extension suffisante, les
pianissimi problématiques affrontés et réussis, et
surtout dès l’entrée le personnage est
vivant ; par le jeu des regards, des gestes esquissés, des
mouvements, nous ne voyons plus un ténor qui chante mais un
être naïf qui avance en aveugle vers son destin.
On peut en dire autant de l’Aïda de Micaela Carosi,
même si parfois ses ports de bras la font plonger dans la pire
des conventions ; sa grâce physique lui permet de faire vivre
l’amoureuse craintive et la prisonnière obligée de
feindre. Dommage qu’il faille attendre l’acte du Nil pour
que la voix se libère et que les aigus jusque là
tirés deviennent plus aisés ; les piani semblent
aussi poser problème, d’où peut-être
certaines modulations maniérées trahissant les efforts
pour maîtriser l’envol d’un organe désireux de
se déployer. Le Roi de Stefano Palatchi
est peut-être plus impressionnant que celui de la veille, car le
bronze de la voix est plus sonore. L’Amonasro d’Ambrogio Maestri aussi
sonne plus large, mais le registre aigu, sollicité dans
l’acte du Nil, semble moins aisé. Physiquement il en
impose encore davantage que son confrère. Enfin le Ramfis
d’Andrea Papi a toute
l’autorité scénique souhaitable, suggérant
la brutalité, mais il est malheureusement bien engorgé.
Marco Berti
© Antonio Bofill
Le meilleur fonctionnement scénique induit une meilleure dynamique dans la fosse, où l’orchestre et Daniele Callegari
semblent délivrés de la torpeur de la veille ;
l’orchestration raffinée de Verdi retrouve ses couleurs et
c’est une satisfaction continue, même lors des ballets,
dont la chorégraphie ne nous séduit pas davantage, mais
où les accents rythmiques et les contrastes sont marqués
justement. Même la scène du triomphe semble plus
triomphale, bien qu’à vrai dire le 27 les trompettes
attendues aient déjà été
irréprochables.
Cette production, reprise en janvier, aligne jusqu’à trois
distributions. On se prend à envier la variété de
l’offre. Un lyricomane espagnol se plaint pourtant dans une revue
spécialisée qu’elle soit plus apparente que
réelle : des distributions différentes, mais trois
Aïda en dix ans, cela suffit ! Est-ce pour cela qu’une
partie du public, très nombreux au début de la
représentation, s’esquive après le deuxième
acte, emportant avec soi le souvenir d’un Triomphe
réglé de main de maître et digne
d’Hollywood ? Ou parce qu’Aïda
est au fond encore un opéra incompris, dont la parade clinquante
éclipse les trésors ? Sans doute on peut regretter
que l’équilibre idéal entre grandiose et lyrisme
intime soit resté un objectif, mais nous aimerions bien
qu’un de nos grands théâtres nous en offre
autant !
Maurice SALLES
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