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MARSEILLE
28/10/2007
Cio Cio San (Liping Zhang) / Pinkerton (James Valenti)
© Christina Dresse
Giacomo PUCCINI (1858-1924)
MADAME BUTTERFLY
Opéra en trois actes
Livret de Giacosa et Illica d’après la pièce de David Belasco
Coproduction Opéra de Marseille – Opéra National de Bordeaux
Mise en scène, Numa Sadoul
Assistant, Luc Londiveau
Décors, Luc Londiveau
Costumes, Katia Duflot
Lumières, Philippe Mombellet
Cio-Cio-san, Liping Zhang
Susuki, Qiu Lin Zhang
Kate, Olivia Doray
Pinkerton, James Valenti
Sharpless, Boris Trajanov
Goro, Christophe Mortagne
Yamadori, Marc Scoffoni
Le Commissaire Impérial, Jean-Marc Jonca
Le bonze, Frédéric Goncalves
L’officier du registre, Bernard Albertini
L’enfant, Fabio Pastourel
Orchestre et chœur de l’Opéra de Marseille
Chef du chœur, Pierre Iodice
Direction musicale, Patrick Davin
Marseille, le 28 octobre
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Le trop est l'ennemi du bien
En reprenant ce titre, l’opéra de Marseille
joue gagnant ; la tragique histoire de Cio-Cio-San fait toujours
recette et c’est justice tant la version définitive de
l’œuvre a les qualités requises pour émouvoir.
Le drame de cette femme trahie bouleverse parce que, entière
comme Carmen et pure comme Antigone, elle est une victime
absolue : avant d’être achetée par Pinkerton
elle a dû déjà sacrifier son rang et sa pudeur pour
subvenir aux besoins de sa mère. En choisissant de ne pas
survivre à la trahison qui la ravale au rang des petites femmes
de plaisir, passant du trivial au sublime, elle devient
héroïque. Ainsi la représentation
s’achève, selon les vœux d’Aristote, dans
l’horreur et la pitié. Comme les hardiesses musicales qui
déroutèrent les contemporains de la création
sonnent désormais « classiques » une
représentation de Butterfly bien menée doit conduire le
spectateur à la satisfaction de l’accompli.
Suzuki (Qiu Lin Zhang/ Cio Cio San (Liping Zhang) / Sharpless (Boris Trajanov)
© Christina Dresse
On y est presque. La qualité du plateau, dominé par Liping Zhang dans le rôle titre, est haute, et l’orchestre obéit sans faire d’écart à Patrick Davin.
Certes, les transparences, les diaprures, les accents de
l’orchestration savante de Puccini ne sont pas toujours aussi
raffinés qu’on le souhaiterait, mais le chef
réussit à obtenir l’équilibre entre lyrisme
et puissance sans que celle-ci dégénère. Les
chœurs ont l’exubérance ou la douceur voulue. Goro,
campé nettement par Christophe Mortagne, est bien l’entremetteur mielleux et sans scrupule. La Susuki de Qiu Lin Zhang
est juste, scéniquement et vocalement. Légèrement
handicapé par un début de laryngite qui
l’amène à forcer un peu au premier acte Boris Trajanov est un Sharpless digne et émouvant. Marc Scoffoni convainc en Yamadori empressé et – apparemment - sincère. Olivia Doray, élégante et sensible Kate, Frédéric Goncalves, bonze emporté et menaçant, Jean-Marc Jonca et Bernard Albertini en officiels véreux, tous sont bien en place.
Cio Cio San (Liping Zhang) / Suzuki (Qiu Lin Zhang)
© Christina Dresse
James Valenti
a pour lui un physique avantageux et une voix solide ; il
s’engage hardiment et soutient les difficultés des airs
sans démériter. Sa partenaire tend pourtant à
l’éclipser, non seulement parce qu’elle a le beau
rôle mais parce qu’elle semble survoler la partition, sans
marquer la moindre gêne, grâce à une voix
homogène, très bien conduite et projetée. Sa
grâce physique sied au personnage, dont elle restitue les
émois sans outrance, dans une composition remarquable. Son
triomphe au rideau final est bien mérité.
Pourquoi, alors, le plaisir n’est-il pas sans
mélange ? Les éclairages ont
déconcerté par le parti pris de composer des tableaux
expressionnistes et un premier plan à l’avant-scène
souvent dans la pénombre, mais les costumes sont
séduisants et/ou pertinents, comme la robe à
l’occidentale de Butterfly devenue Madame F.B.Pinkerton, ou
encore la relative absence de couleurs lors de la
célébration du « mariage »
justifiée par l’impossibilité où sont ces
familles nécessiteuses de se parer richement. Il est vrai que
cette sobriété répond au désir du metteur
en scène de « se garder des
japoniaiseries » (sic).
Et c’est bien là que le bât blesse. Non que nous
regrettions les chromos, mais que dans son désir de ne pas
complaire « au public pressé » et ignorant
de la dramaturgie Numa Sadoul fasse
fi des dispositions prévues par Puccini et ses librettistes. A
trop vouloir imposer sa marque il en vient à négliger de
façon ostentatoire des données de l’œuvre,
texte, didascalies et contexte. Le papillon épinglé
sous-verre a-t-il sa raison d’être ? Sa
présence rend caduque la question de Cio-Cio-San sur la
conservation des lépidoptères aux Etats-Unis. La
scène où elle dévêt Pinkerton est-elle
pertinente ? D’une part il ne cesse de lui dire de venir
à lui, comme si elle échappait sans cesse à son
étreinte, d’autre part elle se comporte alors en femme de
plaisir, alors qu’elle abomine ce passé et qu’elle
préfèrera mourir que d’y retomber.
De plus l’enfant est censé avoir moins de trois ans, au
mieux deux et demi. Mais un garçonnet qui gambade en costume de
cow-boy et se dandine en cheval de bois, c’est plus
efficace ! Soit. Les librettistes ont prévu qu’avant
de se suicider Cio-Cio-San bande les yeux de son fils, sorte de
scène pour se trancher la gorge et revienne expirer aux pieds de
l’enfant tandis qu’entre Pinkerton. Convenances
révolues, selon Numa Sadoul ? L’héroïne
se poignarde en direct et tournoie sur elle-même avant
d’aller, évidemment, se plaquer contre un piquet dont on
se demandait bien depuis le début à quoi il pouvait
servir. Non seulement cela vide de son sens sa volonté
exprimée de soustraire l’enfant à l’horreur,
mais le grandiloquent se substitue à la simplicité et
ruine le pathétique. Si l’on ajoute la pantomime en forme
de cauchemar de Butterfly, dont le début, sur le chœur
à bouches fermées, est d’un kitsch de grande
facture, et le tableau final, reconstitution d’un tableau initial
qui vient s’interposer entre le spectateur et
l’héroïne à l’acmé de
l’émotion et tient celle-ci à distance, on saura
pourquoi cette mise en scène nous a frustré. Mais sans
nul doute nous étions en minorité !
Maurice SALLES
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