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10/04/05
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Opéra en 5 actes de Fromental
HALEVY
Mise en scène et scénographie
: Pierre JOURDAN
Charles VI : Armand ARAPIAN
Direction musicale : Miquel ORTEGA Dimanche 10 avril 2005
[ Lire également la critique de Vincent DELOGE ]
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Une
résurrection courageuse
Faire revivre un grand opéra français qui triompha au 19e siècle dans un tout autre contexte social n'est pas sans risque. Dans bien des cas, cela revient à justifier l'oubli dans lequel il est tombé. Mais ce Charles VI de Fromental Halévy, monté au théâtre Impérial de Compiègne sous la houlette assidue de Pierre Jourdan, est loin de manquer d'intérêt. Bien sûr, le livret de Casimir Delavigne regorge de poncifs. Oui, la partition, hâtivement composée, frise souvent le pompiérisme. Eh oui, c'est interminable ! Et pourtant, nous entrons facilement dans cette oeuvre inégale, peu originale mais prodigue en bons moments de théâtre comme de musique. On pourrait seulement regretter que les contraintes budgétaires n'aient pas permis de ressusciter vraiment l'ouvrage, avec tout son lustre d'époque, évoqué en ces termes par Théophile Gautier : "...Un luxe inimaginable de casques, de cuirasses, d'armures d'acier et d'or, de chevaux, de bannières, de blasons ". On aurait alors un plaisir comparable à celui que l'on éprouve en allant au musée d'Orsay admirer les peintures contemporaines de cet opéra. Une version de concert sobrement mise en espace pourrait aussi combler les mélomanes amateurs de ce répertoire, ici d'ailleurs très honorablement servi par les musiciens et les chanteurs. Hélas, une fausse bonne idée de Pierre Jourdan nous vaut un diaporama historique de reproductions provenant d'une récente exposition au Louvre sur Charles VI et l'art en France...Tout au long du spectacle - Et ce n'est pas peu dire ! -, nous voyons défiler enluminures, tapisseries, statues du 15e siècle, censées nous plonger dans "l'atmosphère" du règne de Charles VI avec ses intrigues, ses péripéties guerrières et son cadre bucolique. Le rythme de projection tente de suivre le contenu du livret, en nous montrant des images subtilement reliées au texte, tandis que les chanteurs (d'après les intentions du metteur en scène) sont supposés évoluer : "(...) devant ce film d'images dans des costumes intemporels et parfois modernes transformant les acteurs de la pièce en porte-parole de personnages historiques vus dans les images." Le résultat est une véritable catastrophe ! Bien qu'intéressantes, ces diapos projetées à une cadence soutenue et qui essaient de s'accorder, tant bien que mal, à l'action, ne cessent en fait de distraire le spectateur et créent une distanciation fatale, justement, à l'intelligence du drame que l'on voudrait illustrer. Une seule solution : ne pas les regarder. Oublions donc. Revenons à l'oeuvre et aux interprètes. Les personnages s'avèrent plutôt attachants et bien caractérisés. L'histoire n'est pas mal ficelée. Le chef espagnol Miquel Ortega - qui a déjà dirigé, à Compiègne, La Vierge et Marie-Magdeleine de Massenet ainsi que L'Arlésienne de Bizet - conduit prudemment, pour ne pas dire lentement, un orchestre presque discret. L'acoustique de ce ravissant petit théâtre est heureusement excellente. La distribution est physiquement et vocalement adéquate. Le baryton Armand Arapian, malgré une voix un peu éraillée, est un Charles VI humain et crédible. Bien que ses accès de démence soient joués de manière artificielle, il est souvent touchant et sincère. Son monologue et ses scènes intimes avec Odette - consolatrice du monarque, inspirée de la favorite historique Odette de Chapdivers - en particulier le duo des cartes et la berceuse sont d'excellents moments. Par sa présence élégante et son chant délicat, Anne-Sophie Schmidt contribue à leur réussite. En pleine possession de ses moyens, la soprano Isabelle Philippe campe une Isabeau de Bavière au vrai port de reine, non dénuée de charme et de sensualité. Surtout dans son duo avec le Duc de Bedford, interprété par le d'ailleurs fort séduisant baryton Argentin, Armando Noguera. Dans le rôle de Raymond, le baryton basse Matthieu Lécroart force l'admiration de par une diction française d'une limpidité exemplaire. Pas une syllabe ne manque et la ligne de chant n'en pâtit pas. Bien au contraire. Le jeune ténor Bruno Comparetti s'acquitte vaillamment d'un rôle difficile, réclamant une solide technique, des aigus bien assurés, du souffle, une bonne projection et de l'énergie à revendre. Ces rares qualités sont ici toutes réunies. Il ne lui manque sans doute qu'un peu plus d'expérience et un travail en profondeur des nuances pour s'épanouir dans un vaste répertoire qu'il est capable de servir mieux que beaucoup. Disons-le, en passant, tous les chanteurs nommés méritent d'être entendus plus fréquemment. Par contre, les quelque 50 choristes, tous ibériques, en costumes et posture figée d'oratorio que Pierre Jourdan, tel un prestidigitateur, fait apparaître et disparaître au moyen d'un rideau noir actionné verticalement, ne brillent guère, comme on pouvait s'y attendre, par la qualité de leur français. Mais qui pourrait les en blâmer ? Malgré quelques partis pris
irritants, saluons un travail courageux réalisé avec des
moyens limités pour une représentation unique globalement
réussie.
Brigitte CORMIER
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Lire également la critique de Vincent DELOGE |
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