C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
COMPIEGNE

13/10/02

DINORAH ou le Pardon de Ploërmel

Opéra en trois actes de Giacomo MEYERBEER
Livret de Barbier et Carré
 

Direction musicale : Olivier Opdebeeck
Direction artistique et mise en scène : Pierre Jourdan
Décors et costumes : Jean-Pierre Capeyron
Chorégraphie : Jean-Hugues Tanto
Mimodrame : Yacine Perret
Lumière : Thierry Alexandre

Dinorah : Isabelle Philippe
Hoël : Armand Arapian
Corentin : Frédéric Mazzotta
Le chevrier : Lucille Vignon
Deux pâtres : Céline Victores-Benavente,
Séverine Delforge
Un chasseur : Philippe Le Chevalier
Un faucheur : Pierre Espiaut

Orchestre de l'Opéra d'Etat hongrois Failoni
Choeur Cori Spezzati

Théâtre français de la musique
Théâtre impérial de Compiègne
13 octobre 2002



Le Théâtre français de la musique, sis au Théâtre impérial de Compiègne, s'est fait, sous la houlette de Pierre Jourdan, le promoteur des ouvrages lyriques français tombés injustement dans l'oubli. Depuis 13 ans, ce théâtre a monté des oeuvres qui, pour paraphraser Thaïs, n'étaient plus qu'un nom, au mieux un air : La légende de Joseph en Egypte, Gustave III ou Le bal masqué, Une éducation manquée, Le domino noir, Le songe d'une nuit d'été.

Ce théâtre ne disposant pas de moyens somptuaires, il a axé sa programmation sur le répertoire de feu l'Opéra-comique, plus aisé à distribuer que celui de la Salle Le Pelletier. Son directeur, Pierre Jourdan, a en outre parié sur des jeunes chanteurs, majoritairement français ou francophones, avec qui il a tissé des liens privilégiés. C'est sans doute pour toutes ces raisons que le premier opéra de Meyerbeer monté par le Théâtre français de la musique est Dinorah ou le Pardon de Ploërmel.

Il s'agit d'une des deux oeuvres légères françaises de Meyerbeer (1), plus connu comme compositeur de Grand opéra, genre dont il est le plus célèbre illustrateur. Elle a été créée le 4 avril 1859, à l'Opéra-comique, avec Marie Cabel, la créatrice de Philine, dans le rôle-titre et Jean-Baptiste Faure, le créateur de Mephisto et d'Hamlet, dans celui d'Hoël. Le brillant rôle de Dinorah fut, jusque dans les années trente, le cheval de bataille des grandes sopranos coloratures, de Paris, de Londres ou du Met : Adelina Patti, Luisa Tetrazzini ou Amelia Galli-Curci. Depuis lors, et même si un enregistrement commercial existe (2), l'ouvrage ne subsiste guère qu'au travers de l'air Ombre légère, souvent enregistré, de Callas (en italien) à Natalie Dessay, en passant par Anna Moffo, Joan Sutherland ou Beverly Sills. Les reprises contemporaines et intégrales ont été encore plus rares et plus discrètes encore que celles des autres oeuvres de Meyerbeer ou de ses contemporains.

Ce long purgatoire a sans doute son origine dans le livret des ineffables Barbier et Carré qui, pour l'occasion, se sont surpassés en concoctant une trame dont la minceur le dispute à la niaiserie. L'essentiel de l'histoire a d'ailleurs déjà eu lieu avant le lever du rideau.

Le jour du Pardon de Ploërmel, dans une Bretagne que n'aurait pas reniée Bécassine, Dinorah doit épouser Hoël, un honnête chevrier. C'est le jour que choisit le sorcier Tonyk (sic) pour faire brûler (par sorcellerie bien sûr) la maison du brave garçon et pour l'attirer avec lui à la poursuite du trésor des nains (on imagine qu'il doit s'agir de celui qui est au bout de l'arc-en-ciel : on est en terre celtique !) Du coup, plus de mariage et conséquemment, folie de la pauvre Dinorah, à qui est envoyée, en compensation (par qui ?), une petite chèvre blanche et magique. Cette dernière est censée la guider dans sa folie et dans la forêt. On écrit "censée" car l'héroïne passe le plus clair de l'opéra à poursuivre la pauvre bête qui entraîne la perte, dans tous les sens du terme, de sa maîtresse.

Au coeur de "l'action", qui se déroule un an après le mariage raté, intervient un troisième personnage : Corentin. Il est un joueur de biniou (on est plus que jamais en Bretagne... et à Epinal !), pauvre, comme il se doit et, bien que poltron et fier de l'être, il vit seul dans une forêt magique peuplée de créatures étranges qu'on ne voit jamais. Les trois personnages se rencontrent (forcément !) et Hoël, ensorcelé par feu Tonyk, propose à Corentin de partager le trésor avec lui. Proposition malhonnête s'il en est, car le premier qui touche au trésor est condamné à mourir. Sur ces entrefaites, Dinorah, en transe, prévient Corentin de la félonie, tombe dans un ravin et est reconnue par Hoël qui la sauve. Elle recouvre la raison au troisième acte par l'amour de son Hoël qui est, grâce à elle, désenvoûté. Le trésor est perdu mais, et c'est là, la seule incidence philosophique de l'oeuvre, Hoël a retrouvé un trésor plus important : l'amour de Dinorah. Lors de la scène finale, ils se marient en présence de Corentin qui est devenu leur ami (on imagine "qu'ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants"). Il convient d'ajouter qu'une bonne partie du troisième acte consiste en deux airs, un duo et un ensemble chanté par des personnages sans liens avec l'action(3).

Monter un ouvrage tel que celui-là, dans un temps où on ne conçoit le merveilleux qu'avec plusieurs millions d'euros d'effets spéciaux et ou la naïveté est un symptôme de dégénérescence mentale, relève de la gageure. Pour tenir debout, il faut une musique, une mise en scène et une exécution de grande qualité. Autant l'écrire dès maintenant, Meyerbeer et Pierre Jourdan nous l'ont offert.

A tout seigneur tout honneur, le mérite en revient d'abord à Meyerbeer. Sa partition est assez longue : un peu moins de trois heures de musique. Elle réussit cependant à allier la facilité d'écoute, consubstantielle au genre, et cette efficacité de la mélodie et de l'orchestration qui est l'apport du compositeur allemand aux scènes parisiennes de son époque. Ainsi, et c'est assez rare pour un opéra léger, le discours musical est fondu, sans être continu : les dialogues, scènes, airs ou duos s'enchaînant sans rupture brutale. Si l'action piétine, la musique, elle, avance en permanence. Pour autant, on distingue les moments saillants de l'oeuvre : au premier acte, la berceuse de Dinorah (Bellah ! ma chèvre chérie... Dors petite, dors tranquille) , le premier air d'Hoël (O puissante magie) et le trio final ; au deuxième acte, la chanson du chevrier (Gentille fillette) , le fameux Ombre légère, le grand duo bouffe entre Corentin et Hoël (Quand l'heure sonnera) , la scène de l'orage et au troisième acte le grand air d'Hoël (Ah ! mon remords te venge) , le grand duo Hoël - Dinorah et le finale.

Il convient en outre de souligner la qualité de la direction d'Olivier Opdebeeck qui, à la tête de l'excellent Orchestre de l'opéra d'état hongrois Failoni et des très corrects Choeurs Cori Spezzati, a su faire vivre cette partition et tous les bons moments qu'elle contient. Sa direction a été juste et précise, évitant décalage et couverture des voix. Ajoutons en outre que la partition était jouée sans coupure, incluant même l'air du chevrier au troisième acte. Un véritable sans faute.

L'autre grand artisan de cette réussite est Pierre Jourdan. Il l'est à deux titres. Tout d'abord, en tant que metteur en scène. En insistant sur l'esthétisme de ses tableaux - qui n'ont jamais aussi bien porté leur nom - et sur la poésie des images, il a réussi à créer une distanciation par rapport à l'intrigue, faisant oublier son caractère indigent. Ce travail est d'autant plus remarquable que sa lecture reste délibérément au premier degré. Il aurait été cependant difficile de trouver un second degré, sauf à tomber dans une loufoquerie inconciliable avec la musique de Meyerbeer. L'angle d'attaque était peut-être le seul souhaitable, il n'était cependant pas voué par avance au succès. Pourtant, on est très vite sous le charme de la pantomime de l'ouverture, éclairant l'essentiel de l'action, des mouvements des personnages dans les rochers qui constituent le décor de Jean-Pierre Capeyron, voire de la cabane de Corentin, pour le coup délibérément comique et même des ballets des chèvres et des moutons réglés par Jean-Hugues Tanto. De la poésie et de la grâce avec juste ce qu'il faut d'humour.

Le deuxième mérite de Pierre Jourdan est d'avoir réussi à trouver des interprètes pour cette résurrection. Comme on l'a mentionné plus avant, les moyens du Théâtre français de la musique ne permettent pas de réunir un plateau de grands chanteurs internationaux, comparables à ceux dont bénéficiait Meyerbeer au faîte de sa gloire. Grâce soit cependant rendue à Pierre Jourdan d'avoir su trouver des artistes qui, à tout le moins, réussissaient à faire vivre leur personnage.

Le meilleur élément de cette distribution était sans conteste Isabelle Philippe. Avouons une chose : à la voir si jeune, si gracile, si adéquate physiquement, on a craint un casting fondé uniquement sur l'apparence. Ses premières interventions n'ont pas totalement dissipé ce doute, révélant, de prime abord, sa voix assez impersonnelle et son chant monochrome. Mais, au fur et à mesure de la soirée, l'artiste a bluffé, disons-le, par son engagement sans faille et sans faute de goût ainsi que par sa totale maîtrise d'un rôle écrasant. Ajoutons, en outre, qu'elle s'est avérée un vrai soprano dont les aigus (même son interminable contre-fa à la fin d'Ombre légère) n'avaient rien des cris de Minnie Mouse dont nous gratifient trop de sopranos légers. De sa prestation on a surtout retenu, outre un Ombre légère soulevant à juste titre l'enthousiasme de la salle, ses interventions dans le trio final du deuxième acte, son duo avec Hoël ainsi que le finale, au cours duquel ses trilles impeccables passaient par-dessus les tutti. Une demoiselle dont il faut retenir le nom.

L'autre pilier de la distribution était l'Hoël d'Armand Arapian. Habitué des lieux, déjà entendu, entre autres, dans La jolie fille de Perth, ce chanteur a les qualités inverses de sa partenaire. Si la voix est parfois un peu usée et s'il a quelquefois du mal à assumer une tessiture trop tendue pour ses moyens, il campe vocalement et physiquement son personnage dès sa première intervention solo (O puissante, puissante magie) et l'emmène, avec autorité et aplomb, jusqu'à son grand air du troisième acte (Ah ! mon remords te venge), très réussi.

Le Corentin de Frédéric Mazzotta appelle, lui, plus de réserve. L'acteur, sans doute en cela dirigé par le metteur en scène, est drôle à souhait et compose un personnage très réussi. Le rôle est celui d'un ténor bouffe dont la filiation avec le Dickson de la Dame blanche est patente. S'il est vrai qu'il est drôle, ténor, en revanche, il ne l'est que par intermittence, dans le refrain de sa chanson Ah que j'ai froid et que j'ai peur, par exemple. Le reste du temps, on assiste au numéro réussi d'un fantaisiste. C'est déjà bien, mais insuffisant.

A contrario, Lucille Vignon, une habituée des lieux pour Le domino noir ou Mignon et qu'on a entendue si moyenne dans ce dernier rôle, sait tirer tout le parti vocal de son unique intervention : Gentille fillette. Elle phrase joliment ses couplets et assure élégamment la vocalise qui conclut son air.

Les autres seconds rôles sont tenus de façon plus relative : c'est seulement correct, mais on ne pouvait raisonnablement espérer mieux. Si les deux pâtres, Cécile Victores-Benavente et Séverine Delforge, réussissent avec assez de grâce leurs deux petits duos, Philippe Le Chevalier et Pierre Espiaut sont, quant à eux, confrontés à de vrais airs (respectivement En chasse ! et Les blés sont bons à faucher), qui plus est à froid, dont ils ne font pas grand chose.

Quelles que soient ces légères réserves, il est réconfortant de constater qu'en matière d'art lyrique on peut faire des choses originales, belles et intelligentes, avec des moyens modestes. Il est par ailleurs réjouissant de constater l'accueil enthousiaste du public pour une oeuvre si décriée et fondée sur une intrigue aussi peu moderne ; le tout sans une once de coupure.

Il reste à espérer que le terrain défriché dans le répertoire français du premier XIXème siècle, aussi bien à Compiègne qu'au Carnegie Hall ou à Vienne, soit le prélude à une renaissance durable de ce répertoire.
  


Xavier Luquet



(1) L'autre étant L'Etoile du Nord.

(2) 3 compacts disques Opera Rara : avec Deborah Cook, Christian Du Plessis, Alexander Oliver, Della Jones, Marilyn Hill Smith, Roderick Earle et Ian Caley ; direction James Judd ; Philharmonia Orchestra et Geoffrey Mitchell Choir ; enregistré en 1979.

(3) Ce procédé níest pas sans rappeler líutilisation pour les ballets, notamment au dernier acte, de numéros dont la fonction níest que décorative.
 

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]