C O N C E R T S 
 
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STRASBOURG
12/12/04
© Alain Kaiser
FALSTAFF

Giuseppe VERDI (1813-1901)

Comédie lyrique en trois actes
Livret d'Arrigo Boito d'après Shakespeare

Alan OPIE (Falstaff)
Tommi HAKALA (Ford)
Ismaël JORDI (Fenton),
Nuccia FOCILE (Alice Ford)
Mariana PENTCHEVA (Mrs Quickly)
Laura GIORDANO (Nannetta)
Isabelle CALS (Meg Page),
Ricardo CASSINELLI (Caïus)
Rodolphe BRIAND (Bardolfo)
Antoine GARCIN (Pistola)

Giorgio BARBERIO CORSETTI (mise en scène)
Cristian TARABORRELLI (décors et costumes)
Giorgio FOTI (lumières)
Fabio IAQUONE (vidéo)

Orchestre philharmonique de Strasbourg
Choeurs de l'Opéra national du Rhin
Carlo RIZZI (direction musicale)

Nouvelle Production
Strasbourg, les 10, 12, 18, 21, 23, 28 décembre
Mulhouse les 7 et 9 janvier


Sur un air de fête...
 

C'est une superbe réussite que cette nouvelle production de l'ultime chef-d'oeuvre verdien proposée par l'Opéra du Rhin, qui fait une fois de plus honneur à son rang de scène nationale de premier plan. A l'origine de ce succès, figure d'abord le metteur en scène Giorgio Barberio Corsetti, peu connu encore de ce côté des Alpes même s'il vient de signer la réalisation du Luthier de Venise au Châtelet. Bien qu'il ait décidé de transposer l'action dans les années 1950, le maître d'oeuvre de cette production signe une lecture classique (au meilleur sens du terme), qui met en valeur avec une parfaite fidélité le texte de Boito et la musique de Verdi. Classicisme ne veut pas dire convention, et cette mise en scène ne cesse de nous surprendre et de nous réjouir par sa précision, son esthétisme et ses nombreuses trouvailles toujours pertinentes et de bon goût.

Le soin apporté à chaque détail est évident et l'on salue la qualité des décors, dont l'ingéniosité permet des changements à vue très rapides, des costumes et des lumières. La transposition temporelle n'a pour but que de souligner la permanence des caractères à travers les époques, et fonctionne admirablement. Comme le souligne Corsetti : "On en connaît tous, des Falstaff !". Le recours à la vidéo est l'une des marques distinctives de son travail et il l'utilise ici avec beaucoup de tact et une rare intelligence, pour un résultat à la fois poétique et malicieux. L'image projetée souligne le propos sans jamais en détourner l'attention et provoque l'hilarité lorsqu'elle évoque Falstaff s'enfonçant dans les eaux de la Tamise, à la fin du deuxième acte. S'appuyant sur une direction d'acteurs aussi précise qu'inventive, le metteur en scène mène la danse sans aucun temps mort, avec autant de réussite dans la comédie échevelée que dans l'évocation poétique, comme le prouve l'image d'ouverture du dernier tableau avec un Fenton qui semble un naufragé sur un îlot désert au milieu de l'océan ou encore le ballet aérien des deux papillons humains pendant la chanson de la reine des fées. Corsetti possède un sens étonnant du détail qui fait mouche, sans jamais pour autant perdre de vue le mouvement d'ensemble, et je défie quiconque de rester insensible à cette débauche ordonnée de rythmes et d'humour. Toutes les qualités de cette production sont d'ailleurs résumées dans le dernier tableau : inventivité, humour délicat, verve scénique, beauté plastique qui sont incontestablement la griffe d'un grand créateur. 

Dans le rôle titre, Alan Opie réalise une grande performance d'acteur. Son Sir John est à la fois sympathique et horripilant, grandiose et pitoyable, d'autant plus convaincant que sa truculence ne bascule jamais dans la charge. A l'autorité scénique, il joint la rondeur du timbre et l'expressivité du chant. Le bilan serait parfait sans quelques traces d'engorgement, il reste en tout cas absolument remarquable. A l'aube d'une carrière internationale, le baryton finnois Tommi Hakala, qui s'est jusqu'ici essentiellement produit en Allemagne, fait ses débuts en France avec un Ford sympathique et sonore, à la voix bien conduite, pas très italien mais qui parvient toutefois à tirer le meilleur parti de son monologue. Doté de moyens lyriques prometteurs, le jeune ténor espagnol Ismaël Jordi gagnerait à nuancer davantage son jeu et sa voix, mais on précisera à sa décharge qu'il effectue une prise de rôle. Une certaine adéquation scénique ne sauve pas, en revanche, le Caïus vociférant de Ricardo Cassinelli, qui semble chanter le capitaine de Wozzeck. Le fait d'interpréter un rôle de caractère n'autorise en aucun cas un pareil malcanto. Le même reproche s'adresse, dans une moindre mesure, aux deux acolytes de Falstaff, mais ces réserves n'affectent en rien le bilan de la production. 

Le quatuor féminin est tout à fait roboratif. D'une voix limpide, Nuccia Focile mène le jeu avec virtuosité, charme et vitalité. On a peine à imaginer devant une prestation scénique et vocale aussi accomplie et plaisante qu'elle chante le rôle pour la première fois. On avait découvert Laura Giordano dans le Mariage Secret au Théâtre des Champs Elysées puis dans les Noces de Figaro à Bastille. Cette jeune chanteuse italienne est, autant physiquement que vocalement, la grâce incarnée. Le volume est mince mais le timbre séduisant et la musicalité innée, le chant de la reine des fées devient, grâce à la magie de cette voix juvénile, un moment d'ineffable poésie. La Meg Page d'Isabelle Cals n'appelle aucun reproche tandis que, avec les moyens d'un authentique contralto verdien, Mariana Pentcheva campe une Quickly particulièrement savoureuse. Si Falstaff est un opéra de chef, comme on l'affirme souvent, Carlo Rizzi est un véritable chef d'opéra et participe à la fête avec sa lecture virtuose et spirituelle, alerte mais toujours précise, très respectueuse des chanteurs mais aussi sonnante chaque fois que cela est nécessaire. Le maestro obtient un excellent équilibre entre fosse et plateau, ce dont gagneraient à s'inspirer certains chefs récemment invités par la première scène parisienne. 
 
Les vendanges tardives de l'Opéra du Rhin auront décidément donné naissance à un grand cru, avec ce Falstaff qui devrait faire date et qui a été plébiscité par un public strasbourgeois inhabituellement jeune. Un véritable chef lyrique, un metteur en scène intelligent et inspiré, une distribution homogène, talentueuse et engagée : les ingrédients sont simples, mais l'alchimie est difficile à réaliser. Ici, elle l'a parfaitement été, pour notre plus grand plaisir.
 
 

Vincent DELOGE
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