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TOULOUSE
25/05/2007
Faust : Arnold Bezuyen / Wagner : Patrick Simper
© Patrice Nin
Philippe FENELON (1952)
FAUST
Opéra en deux actes
Livret du compositeur d’après Nicolas Lenau
Cette œuvre est dédiée à Jaume Graell Massana
Commande de l’Etat et du Théâtre du Capitole
Création mondiale
Mise en scène, décors,
costumes et lumière, Pet Halmen
Faust, Arnold Bezuyen
Mephistopheles, Robert Bork
L’homme/Görg, Gilles Ragon
Wagner/Le moine, Patrick Semper
Le forgeron, Philippe Fourcade
Le duc/Le capitaine, Christer Bladin
La femme du forgeron/La princesse, Alexandra Coku
Annette, Carolina Andersson
Kurt, Johan Christensson
Hans, Kim Schrader
Michel, Michael Nelle
Käthe, Sylvia Weiss
Süschen, Cécile Galois
Lieschen, Fenna Ograjensek
Matelots, Jean-Luc Antoine, Didier Pizzolitto,
Alfredo Poesina, Jérôme Saget
Mephistopheles II, Luca Masala
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Direction du chœur, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Berhnard Kontarsky
Toulouse, le 25 mai 2007
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Tempête sous un crâne
Pour son quatrième opéra, Philippe Fénelon a
choisi le personnage de Faust, s’insérant dans la
lignée des créateurs qui, selon le mot de Roger Caillois,
ne cherchent pas à faire œuvre originale mais œuvre
personnelle. Il se trouve que finalement ce Faust,
considéré par Philippe Fénelon comme la plus
aboutie de ses créations pour une scène
d’opéra, est à la fois personnel et original.
Au Faust de Goethe, le
compositeur a préféré celui, plus sombre, de
Nicolas Lenau, une œuvre touffue en 24 tableaux mêlant
passages poétiques et développements philosophiques,
qu’il a réduite à sept tableaux encadrés
d’un prologue et d’un épilogue. Le résultat
atteint des proportions convenables pour un spectacle, avec un peu plus
de deux heures de musique, et une suite de scènes qui
s’équilibrent.
Méphistophélès : Robert Bork / Faust : Arnold Bezuyen
© Patrice Nin
Le
prologue montre un homme (Faust) en train d’escalader un massif
escarpé ; cette exploration de la nature tourne court quand
une chute le précipite dans l’abîme, mais un inconnu
surgi du néant lui sauve la vie. Le voici tributaire du
mystérieux bienfaiteur, qui disparaît.
Au premier tableau, Faust, poursuivant sa quête de la
connaissance, dissèque un cadavre en compagnie de son domestique
Wagner. Mais le secret de la vie se dérobe : nouvel
échec. Alors survient un obligeant médecin qui lui
propose de l’aider à y voir clair.
Au tableau suivant, un moine (mélange de Savonarole et de
Basile) presse Faust de renoncer à sa quête impie et
d’obéir aux enseignements de l’Eglise. Faust refuse
de se soumettre. Méphistophélès reparaît
alors et se dévoile : l’âme de Faust en
échange du savoir du Créateur. Faust accepte et signe le
pacte de son sang.
Dès lors Méphistophélès entraîne le
héros, au troisième et quatrième tableau, dans une
course qui n’a d’autre but que d’étouffer ses
aspirations à la vérité de la Création.
D’abord dans une noce campagnarde, où mis hors de lui par
l’atmosphère de sensualité Faust séduit une
paysanne pour découvrir l’insatisfaction née de
l’assouvissement. Puis dans une forge où,
s’étant arrêté pour ferrer son cheval il
bafoue les lois de l’hospitalité, tourne en
dérision l’amour conjugal et rejette sa conquête
précédente venue avec leur enfant le presser de
l’épouser, au grand plaisir du diable.
L’acte II commence par un intermède musical qui accompagne
une procession de pénitents porteurs de reliques la nuit de la
Saint-Jean. Ils chantent la splendeur de la Création ; muet,
Faust est témoin de leur bonheur.
Au cinquième tableau, il est peintre et amoureux de son
modèle, une princesse fiancée à un duc. Tandis
qu’il soupire près d’elle
Méphistophélès éveille la jalousie du
Duc ; celui-ci se jette sur Faust qui le tue. Cet acte
l’éloigne encore davantage de la perfection qu’il
voulait conquérir et l’amène à maudire son
guide. Le diable lui ayant rappelé qu’il est le Maudit,
Faust cherche à s’étourdir dans l’ivresse et
continue de s’avilir.
Ayant tué un homme, il ne lui reste plus qu’à
vouloir la mort de Dieu ; Méphistophélès
l’y conduit en soutenant que la religion
révélée a fait le malheur des hommes en les
séparant de la nature.
Dans sa chambre, Faust rêve de voyages ; un navire lui
apparaît ; mais la tempête menace, et les
précédentes victimes de Faust surgissent du passé
comme du fond des eaux tumultueuses. Faust blasphème et le
navire sombre. C’est le sixième tableau.
Au septième et dernier tableau, les rescapés se
réconfortent dans les bras des filles de joie d’une
auberge. Un homme, jusque là témoin extérieur et
commentateur de l’aventure de Faust – personnage
inventé par Philippe Fénelon - entre dans le cercle sous
le nom de Görg ; il prend la vie comme elle vient,
échappant à l’insatisfaction faustienne.
Faust n’est pas Görg, il ne peut vivre comme lui, il
décide de se tuer, et de duper ainsi celui qui croyait
être devenu son maître. Mais tandis qu’il expire
Méphistophélès dénonce dans ce choix une
ultime illusion : dans l’au-delà Faust
connaîtra l’étendue de son échec. Cependant
Görg s’est lancé à l’assaut de la
montagne…
Faust : Arnold Bezuyen / Wagner : Patrick Simper
© Patrice Nin
On
le voit par ce résumé, il ne s’agit pas d’une
bagatelle : les thèmes abordés sont graves et
touchent à des domaines philosophiques, métaphysiques et
esthétiques. Mais grâce aux qualités de la langue
de Lenau et aux choix effectués par Philippe Fénelon le
texte est exempt de toute lourdeur. Qualité nécessaire et
qui va de pair avec une musique suprêmement
élégante puisque, Philippe Fénelon le dit, il
imagine de la musique à partir des mots. Le qualificatif
« élégante » surprendra
peut-être, mais il exprime l’impression dominante à
l’écoute d’une partition qui affronte
victorieusement les impératifs d’une représentation
et l’adéquation à son sujet.
Héros en quête des secrets de la Création, Faust
est évidemment un avatar du compositeur lui-même et
au-delà de tous les artistes, et bien sûr de tous les
hommes. L’œuvre nous invite à une réflexion
sur notre rapport au monde en tant que réalité et en tant
que création à travers les échos dont elle est
nourrie, ceux des œuvres qui l’ont
précédée. Au fil des situations, écrivains,
musiciens et personnages hantent la création de Philippe
Fénelon, de Baudelaire à Huysmans, de Voltaire à
Camus, de Messiaen à Bach, Wagner, Debussy, R. Strauss, Berg,
Stravinsky, en passant par Don Giovanni, pour n’en citer que
quelques uns. Bannissant toute provocation, l’écriture
vocale respecte le climat des affetti
des personnages ; ainsi les pyrotechnies d’Annette, la
paysanne séduite et abandonnée, même si elles
semblent relever des grands écarts imposés qui ont servi
souvent à caricaturer les compositions vocales des compositeurs
contemporains, trouvent leur source dans la douleur du personnage.
Quand Philippe Fénelon écrit pour les rôles de
Faust et de l’Homme des parties de ténor parfois
très tendues ces passages ne sont pas expérimentation
gratuite mais répondent à des nécessités
expressives. Ainsi il construit trois personnages
particulièrement attachants, le héros, dans sa
détermination et ses doutes, le diable, dans ses ruses et ses
obsessions, l’homme, dans sa clairvoyance, sa compassion et ses
limites.
L’orchestration nous introduit d’emblée dans
l’action, lorsqu’au lever du rideau constellé
d’étoiles, qui pourrait évoquer les
« espaces infinis » de Pascal, Faust escalade la
montagne. Elle fait de l’orchestre non seulement le support du sprechgesang
et des ariosos qui composent les parties vocales mais encore le
déterminant de la couleur et du climat. Il devient un autre
protagoniste, tout comme le chœur dont les parties sont
d’une qualité et d’une séduction
irrésistibles, avec une richesse harmonique où
l’hommage à Bach et Messiaen échappe au
piège du pastiche. Variée en fonction des tableaux,
passant de la danse folklorique et de la valse lors du mariage
célébré dans une atmosphère de fête
foraine à la musique de caboulot pour l’auberge à
matelots, des percussions qui accompagnent le galop de Faust
jusqu’à l’adagio pour cordes qui ouvre le
deuxième acte, la complexité de l’écriture
accompagne les étapes de la défaite programmée de
Faust, avec un sommet lors de la tempête où se retrouvent
sur scène l’ensemble des solistes et le chœur. Et
néanmoins domine la même impression de limpidité
due, en fonction des tableaux, au contrôle constant des timbres
et des intensités sonores.
Cela ne serait pas sensible sans le travail accompli par Maître
Kontarsky et les musiciens de l’Orchestre National du Capitole.
Pour une première exécution, il s’agit d’un
résultat splendide, dont la qualité a probablement
rejailli sur l’aspect visuel.
Maître d’œuvre absolu sur le plateau, Pet Halmen, auteur entre autres d’une mémorable Lulu
représentée au Capitole en 2003, réalise une
version scénique débordante d’imagination, qui
allie l’ingéniosité dans les trouvailles (le
crâne révélé sous le manteau de la montagne
–la structure du monde ? - sera successivement table
d’anatomie, piédestal, reliquaire géant, abri pour
adultère) à l’inventivité pour les costumes
(tenues « folkloriques » des paysans, vertugadin
extravagant de la Princesse), au caractère fonctionnel et
signifiant du dispositif ( demeure de Faust convertie en
bibliothèque dont les rayonnages encombrés de livres
inutiles prennent des allures de coursives bousculées par la
tempête et peuplées de personnages, peut-être issus
de ses fantasmes, ou murs en miroir démultipliant les images),
et à la splendeur des lumières (en particulier au
début du deuxième acte) sans oublier la force expressive
des accessoires. Les ressources techniques sont exploitées au
maximum, des cintres au sous-sol, les accessoires y disparaissent, les
feux s’y allument, le spectacle tient bien le rythme.
Est-ce à dire que cette version scénique est
parfaite ? Non, sans doute, car parfois elle semble en
contradiction avec la musique, en particulier lorsque celle-ci se fait
lyrique. Mais Philippe Fénelon déclare lui-même
qu’une fois l’œuvre écrite, il s’efface
derrière les interprètes. En tout cas Pet Halmen rejoint
les intentions du compositeur sur un point : lorsque le folklore
alpestre se teinte d’échos du Bhoutan ou que le
crâne devient une tête de mort évoquant la culture
mexicaine. Certes, ce n’est pas la danse macabre des
églises italiennes à laquelle Philippe Fénelon
songeait, mais cela va dans le sens du syncrétisme culturel
auquel il est favorable.
Méphistophélès : Robert Bork / Faust : Arnold Bezuyen
© Patrice Nin
Les
solistes sont à féliciter sans exception pour leur
engagement et le panache avec lequel ils ont relevé le
défi. Les trois rôles principaux méritent une
mention spéciale : Gilles Ragon, naguère superbe
Matteo au Capitole, communique au spectateur sa compassion pour un
personnage dont il commente le parcours et les erreurs, avant
d’être Görg le réaliste qui ne
s’embarrasse pas de métaphysique et jouit du monde comme
il est. Il se rit des embûches d’un rôle écrit
pour sa voix pleine et vibrante. Robert Bork impressionne dans sa
composition de Méphistophélès ;
baryton-basse, il ne souffre jamais de la tessiture et impose son
personnage avec désinvolture, d’abord insinuant, puis
autoritaire et enfin sarcastique. Arnold Bezuyen enfin est
véritablement héroïque dans tous les sens du
mot ; scéniquement son Faust est crédible dans sa
déchéance progressive et vocalement, il assume
brillamment, malgré la longueur du rôle,
l’épreuve d’une tessiture qui le pousse souvent dans
ses limites aiguës.
Accueilli crescendo par le
public du Capitole, le spectacle a connu a la fin un véritable
succès. Aux applaudissements réservés aux
interprètes ont succédé ceux dédiés
à Philippe Fénelon qui peut se féliciter
d’avoir enrichi le domaine opératique d’une
œuvre digne d’entrer au répertoire au
côté de ses homonymes. Retrouver un certain classicisme
est le plus sûr moyen de ne pas se fourvoyer dans les
ornières de l’avant-garde. Nul doute que le compositeur
n’appartienne désormais aux grands des scènes
lyriques.
Maurice SALLES
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