Le prince
Arindal, après s'être égaré en forêt en
poursuivant une biche, a rencontré la fée Ada, l'a épousée
et lui a fait deux enfants. Il vit au royaume des fées, malgré
l'opposition des fées Farzana et Zemina. Il ne doit toutefois pas
demander à Ada, pendant huit ans, son origine. Poussé par
la curiosité, il transgresse l'interdit avant la date fatidique.
Il est alors expulsé. Son royaume terrestre ne va guère mieux,
ravagé par une guerre. Arindal décide de défendre
son héritage contre l'ennemi, Ada décide de perdre son immortalité
en le suivant. Mais pour cela, elle doit faire subir des épreuves
à Arindal, pour juger de son amour véritable. Dans son palais,
Arindal échoue aux épreuves : Ada lui montre des visions
effroyables pendant lesquelles elle semble prendre la tête de l'armée
qui anéantit son royaume, et tuer ses propres enfants. Arindal la
renie. Ada en paye le prix et se retrouve pétrifiée pour
cent ans, non sans avoir auparavant démontré à Arindal,
anéanti, la fausseté de ce qu'il a cru voir.
Le royaume est sauvé par Morald
et la soeur d'Arindal, Lora, qui règneront ensemble, Arindal abdiquant.
Il semble résigné, quand l'enchanteur Groma lui donne une
épée, un bouclier et une lyre. Grâce à sa vaillance
et à son chant, Arindal enchante à son tour les esprits du
royaume des morts et ramène Ada à la vie. Il acquiert à
son tour l'immortalité, et retourne avec Ada et ses enfants au royaume
des fées.
Coïncidence ou effet d'une saine
concurrence ? Au même moment, deux scènes allemandes proposaient
une rare reprise du premier opéra de Wagner. Kaiserslautern, mais
aussi Würzburg, lieu symbolique s'il en est, puisque c'est dans cette
ville, où Wagner rejoint en 1833 son frère, qu'il composera
son premier ouvrage lyrique. Würzburg, lieu essentiel, où Richard
Wagner rencontre Minna Planner, où il fait ses premières
armes à la direction de choeurs, mais en matière de livrets
: celui des Fées. L'ouvrage ne sera pourtant pas représenté
avant 1888, à Munich, et ce, malgré l'opposition de Cosima.
Il semble que ce soit le poète
et compositeur E.T. A Hoffmann qui ait attiré l'attention du compositeur
sur l'ouvrage de Carlo Gozzi, à la base au livret. Il se peut aussi
que l'oncle de Richard, Adolf Wagner, qui en avait fait la traduction,
ait joué un rôle dans cette initiation. Wagner ne reprendra
pourtant pas la trame exacte : Adda n'est pas transformée en serpent,
mais pétrifiée. L'essentiel, l'interdiction qui pèse
sur la recherche du nom réel, récurrent chez Wagner, est
présent pour la première fois dans son oeuvre lyrique. Comme
plus tard dans Lohengrin, deux mondes s'affrontent, celui des fées
surnaturelles et celui des humains. Un amour réel est-il possible
entre une immortelle et un mortel ? De nombreux éléments
apparaissent aujourd'hui, a posteriori, comme des préfigurations
des futurs chefs-d'oeuvre : la question interdite, l'épée
salvatrice, le thème de la compassion pour un animal blessé,
ou celui de l'épreuve rédemptrice, qui renvoie aussi à
la Zauberflöte de Mozart. Autre parallèle, avec le mythe
d'Orphée cette fois-ci : celui de la force de la musique, seule
capable de ramener à la vie l'être aimé.
Si bien des éléments
scéniques renvoient ainsi aux fondamentaux de la dramaturgie wagnérienne,
on ne peut guère en dire autant de la musique. Wagner se cherche
un langage, et commence par épuiser la veine post-romantique : ni
le style, ni la forme ne renvoient aux techniques musicales de la maturité.
Die
Feen fait parfois songer à Weber (dans la conclusion du premier
acte notamment), parfois au Hans Heiling
de Märschner récemment vu à Strasbourg, parfois, plus
étrangement, à Mozart, dans cette scène comique irrésistible
entre Drolla et Gernot. L'intérêt culmine nettement au second
acte, entamé par un choeur d'une belle complexité d'écriture,
le duo cité, une longue intervention d'Ada, et qui se conclut comme
une magnifique fresque où le choeur a fort à faire.
Dans une sorte de pays de nulle part,
plutôt contemporain, la mise en scène joue la carte de la
dérision. Le décor fait immédiatement songer à
Ground Zero, et le costumier ne semble pas vouloir infirmer cette impression,
dotant ses soldats de casques hétéroclites, d'extincteurs
et de pardessus orange. Malaise... Dans ce décor de fin du monde,
les fées, toutes de blanc vêtues mais ridées et bossues
tant l'éternité est longue, sortent d'un réfrigérateur
trois étoiles campé au milieu des ruines. On se conserve
comme on peut quand on est immortel...Lequel réfrigérateur
deviendra écran pour projeter le retour à la vie d'Ada pétrifiée.
Arindal, plus qu'un héros, est un falot ballotté entre deux
mondes, ne songeant qu'à s'en échapper pour enfin écrire
en paix de la musique. Le happy end d'origine devient une morale
grinçante, Ada retrouve son immortalité en devenant instantanément
bossue et ridée, les héritiers du royaume se disputent aussitôt
la couronne reçue, sous l'oeil impassible d'un Arindal retourné
à sa musique, qui seule compte au milieu des ruines. Certaines facilités
de mise en scène, comme les méchants personnifiés
par des masques de Hitler, Frankenstein, Saddam, Scream et consorts, côtoient
de bonnes idées, mais force est de saluer la vitalité d'une
scène de taille moyenne qui ose monter cette rareté, et de
façon fort correcte.
Renforcé par des surnuméraires,
le choeur de Kaiserslautern est le grand vainqueur de la soirée,
doté de merveilleux passages, dont le choeur funèbre du troisième
acte. Mais aussi le plateau féminin, dominé par l'Ada rayonnante
et puissante de Dagmar Hesse. Du côté masculin, seul les trois
sujets d'Arindal font une belle prestation, face à un Prince à
l'émission très nasale, et en difficulté vers la fin
de l'opéra. L'orchestre, dirigé sans guère de subtilité,
peine parfois, notamment dans une ouverture chaotique.
Pour ceux qui le pourront, comparer
les deux restitutions de Kaiserslautern et de Würzburg sera passionnant.
Sophie ROUGHOL