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VIENNE
08/07/2007
Oliver Ringelhahn (Don Polidoro), Adriana Kucerová (Ninetta),
Silvia Tro Santafé (Giacinta), Isabel Rey (Rosina),
Topi Lehtipuu (Fracasso), Nicola Ulivieri (Simone)
& Bruno Praticò (Don Cassandro)
© Armin Bardel
Wolfgang MOZART (1756-1791)
LA FINTA SEMPLICE
Opera buffa en trois actes
Livret de Marco Coltellini d’après Carlo Goldoni
Nouvelle production du Theater an der Wien
Mise en scène et costumes, Laurent Pelly
Assistante à la mise en scène et à la dramaturgie, Agathe Mélinand
Décors, Barbara de Limburg
Lumières, Joël Adam
Assistant aux costumes, Jean-Jacques Delmotte
Rosina, Isabel Rey
Fracasso, Topi Lehtipuu
Giacinta, Silvia Tro Santafé
Ninetta, Adriana Kucerova
Don Polidoro, Oliver Ringelhahn
Don Cassandro, Bruno Pratico
Simone, Nicola Ulivieri
Wiener Symphoniker
Direction musicale, Ewald Donhoffer
Vienne, le 8 juillet 2007
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L’art et la manière
Un délice ! L’alchimie si rare et si difficile
à obtenir entre une œuvre, un metteur en scène et
ses interprètes se réalise à plein dans cette
production de La Finta Semplice. Cet opéra, écrit par
Mozart dans sa treizième année, n’a certes ni
l’ampleur ni la patte des chefs-d’œuvre à
venir, mais la preuve est ici faite qu’on peut en tirer un
excellent spectacle.
Deux frères et une sœur vivent à Crémone. Le
cadet, Polidoro, et la fille, Giacinta, voudraient bien se marier, mais
il est passablement demeuré alors que sa sœur
dépend de l’autorité du frère
aîné, Cassandro, qu’une déception ancienne a
rendu misogyne et donc hostile à tout projet matrimonial. Or,
dans leur maison, vivent sur réquisition un capitaine hongrois,
Fracasso, et son aide de camp, Simone, qui ont conquis respectivement
Giacinta et sa suivante Ninetta. Comment réduire
l’obstacle Cassandro ? L’avisée Ninetta
suggère de le rendre amoureux lui aussi. Rosina, la sœur
de Fracasso, une femme séduisante et sophistiquée, est la
candidate idéale : elle jouera les simplettes pour
circonvenir l’ennemi du mariage. Au terme d’une folle
journée, trois couples seront unis : outre Fracasso et
Giacinta et Simone et Ninetta, Cassandro épousera Rosina. Et
tous chanteront en chœur : comment résister au beau
sexe ?
Bruno Praticò (Don Cassandro) & Oliver Ringelhahn (Don Polidoro)
© Armin Bardel
Le
charme agit immédiatement : tandis que les cordes des
Wiener Symphoniker déploient une subtilité et une
cohésion admirables dans l’ouverture en trois mouvements,
le rideau se lève sur un jardin, comme le prescrivent les
didascalies. Mais il est représenté par un décor
de fleurs géantes façon tapisserie art déco au
pied duquel les deux couples (Fracasso-Giacinta et Simone-Ninetta)
chantent leur quatuor en formant une sorte de ballet dont le rythme
vivace et les figures gracieuses créent la vision
d’enfants espiègles dans une nature de conte de
fées, délicieuse introduction à un divertissement
comique. L’appartement des deux frères ressemble à
un garde-meuble ; on y voit une réunion de meubles de
styles divers, certains en plusieurs exemplaires, entassement
révélateur du fort penchant à l’accumulation
de Cassandro, et du reste dominé par un coffre-fort. La couleur
grise de l’ensemble traduit l’absence de fantaisie de
l’existence qui se déroule entre ces murs.
L’arrivée de la Fausse Simplette ébranlera cet
univers figé ; au fil des scènes les murs se
fragmenteront, l’empilement ordonné virera au chaos,
manifestations visibles du bouleversement infligé aux certitudes
du maître de maison.
Sur le plan musical, la scène initiale, qui réunit un
ténor, une basse, un soprano et un contralto, tient de
l’expérimentation : c’est qu’à
treize ans, Mozart doit prouver qu’il maîtrise les
contraintes de la composition d’un ouvrage lyrique aussi bien que
les maîtres à la mode auxquels son père veut le
confronter. A cet égard, l’œuvre tout entière
est une démonstration brillante, la soumission aux formes
obligées n’entravant pas l’invention et maint
thème développé plus tard, dans Le Nozze ou
Così, apparaît ici dans son ingénuité. La
force du spectacle, outre la magnifique présence de
l’orchestre, naît de la symbiose que Laurent Pelly et son
équipe ont su obtenir entre les dimensions
théâtrales et musicales de l’ouvrage. Il en ressort
des scènes qui prennent une force bien supérieure aux
conventions prévisibles à partir des données du
livret. Faire la liste des trouvailles nécessiterait un long
développement ; bornons-nous à signaler le petit
déjeuner pris à la sauvette par Cassandro, symptomatique
de ses manies ; la scène où Simone, secondant
Ninetta dans une fuite qui fait partie de la machination, la laisse
s’échiner à porter les trésors pris en
otage ; celle où Giacinta , fuyant elle aussi la maison
familiale, entre en poussant une brouette sur laquelle le coffre-fort
supporte une pyramide de tables, puis se jette sous la brouette,
effrayée par le passage d’un cycliste – il
n’est autre que son capitaine Fracasso, qui vient la rassurer
avant de lui emboîter le pas en poussant la brouette avec
elle ! – ; ou encore l’air du même,
chanté façon crooner, devant une Giacinta
littéralement béate d’admiration.
Bruno Praticò (Don Cassandro)
© Armin Bardel
La
réussite tient aussi aux chanteurs qui secondent les intentions
du metteur en scène, voire les enrichissent, car leur
expérience du répertoire bouffe et leur
tempérament le leur permettent. Nicola Ulivieri (Simone), par
exemple, benoîtement immobile pendant que Ninetta ploie
sous le poids des cassettes prises chez Cassandro, s’essuie
consciencieusement le front lorsqu’elle s’effondre,
épuisée. Ou Bruno Pratico (Cassandro), dans un air
évoquant le trouble où Rosina le jette, qui mime le chien
dont il est question, avec à la fois la force liée
à son imposant physique et la légèreté
nécessaire pour ne pas alourdir un texte déjà
risible par son prosaïsme. Les costumes, conçus
également par Laurent Pelly, définissent
déjà les personnages : le fringant Fracasso est
vêtu de cuir, quasiment en uniforme ; la blonde Giacinta
doit avoir lu Barbara Cartland car elle aime le satin rose et les
jupons bouillonnants ; l’intrigante Rosina est un
mélange – tant physique que vestimentaire –
très glamour d’Angelica Huston et de Marilyn, avec son new
look en satin rouge ou en trench noir. Simone et Ninetta ont les
vêtements de leur condition servile, c'est-à-dire sans
prestige, mais seyants. Quand aux deux frères, leurs tenues de
nuit sont des poèmes de laisser-aller de vieux garçons,
alors que leurs vêtements de jour dépourvus de fantaisie
transpirent l’économie bourgeoise.
Outre les deux chanteurs déjà mentionnés, qui se
signalent par la clarté de leur diction et leur santé
vocale, Topi Lehtipuu campe un Fracasso parfait, véritable
séducteur aussi bien à l’aise vocalement que
scéniquement, dont l’air façon crooner est
accompagné d’une mimique de matador accomplissant une
faena d’une saveur délicieuse, la victime offerte à
l’estocade étant l’amoureuse Giacinta. Silvia Tro
Santafe prête à cette dernière son contralto bien
connu, avec cette émission particulière où les
graves spectaculaires sont quelquefois excessivement poitrinés,
et un engagement scénique convaincant. Aux côtés
d’un Simone un peu mufle, l’exquise Ninetta d’Adriana
Kucerova se révèle aussi séduisante à
regarder qu’à écouter.
Dans le rôle de La Finta Semplice, Isabel Rey remplace Diana
Damrau primitivement annoncée. L’abattage de la cantatrice
espagnole est bien celui requis par le personnage, mais le chant semble
forcé et l’agilité modeste. Enfin Polidoro
échoit à Olivier Ringelhahn : outre une voix de
ténor intéressante, il incarne avec une justesse presque
gênante, en particulier dans sa première scène,
l’être dont le corps exprime les désirs sans
détour. Une performance !
Ayant dû prendre du repos après la première pour
raison de santé, Fabio Luisi a suggéré pour le
remplacer le nom de son assistant. C’est ainsi que Ewald
Donhoffer qui doit débuter au Mozarteum de Salzbourg en octobre
prochain a dirigé La Finta Semplice
ce 8 juillet, jour de son anniversaire. C’est dire que la
sanction du public et des musiciens, qui l’ont chaleureusement
ovationné, avait un prix particulier. Ovation pour tous, du
reste, au final d’un spectacle qui a souvent provoqué les
rires. A ce titre, Bruno Pratico a remporté un triomphe
personnel pour son Cassandro à facettes et son autorité
comique. On souhaite vivement qu’un DVD soit tiré de cette
production, et qu’elle soit reprise ailleurs. C’est si
agréable de quitter un théâtre, heureux !
Maurice SALLES
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