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NEW YORK
13/01/2007
Placido Domingo - First Emperor © DR
Tan DUN
The First Emperor
Livret de Ha Jin et Tan Dun
Production : Zhang Yimou
Co-directeur : Wang Chaoge
Décors : Fan Yue
Costume : Emi Wada
Lumières : Duane Schuler
Chorégraphie : Dou Dou Huang
Le maître du Yin-Yang : Wu Hsing-Kuo
La Chamane : Michelle DeYoung
L’Empereur Qin : Placido Domingo
Le Ministre : Haijing Fu
Le général Wang : Hao Jiang Tian
La princesse Yueyang : Elizabeth Futral
La mère de Yueyang : Susanne Mentzer
Gao Jianli, un musicien : Paul Groves
Un garde : Danrell Williams
Danseur solo : Dou Dou Huang
Solo de Zheng : Qi Yao
Orchestre et chœurs du Metropolitan de NY
Direction : James Levine
New York, Metropolitan Opera
13/01/07 (matinée)
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DOMINGO IMPÉRIAL
Réputé pour son traditionalisme, la première
scène new-yorkaise n’en est pas moins active sur le plan
de la création lyrique : The Ghosts of Versailles de Corigliano en 1991 (repris en 1995), The Voyage de Philip Glass en 1992, The Great Gatsby d’Harbison en 1999 (repris en 2002), ou encore An American Tragedy de
Tobias Picker en 2005, ont été accueillis favorablement
par la critique et le public (et même triomphalement en ce qui
concerne les Ghosts pour lesquels on parle d’une reprise avec une
célèbre soprano roumano-transylvanienne).
The First Emperor
vient s’ajouter à cette appréciable série,
bénéficiant du professionnalisme habituel de
l’institution : belle distribution, production spectaculaire
auxquels s’ajoute un livret efficace qui a le grand mérite
de raconter une histoire lisible au premier degré (anecdotique)
comme au second (renvoi à la Révolution Culturelle et
à son entreprise d’effacement du passé).
L’ouvrage met en scène le premier empereur de Chine, Qin
Shi Huang, despote rude et impitoyable attaché à la
construction du futur empire, interdisant les écritures
traditionnelles, imposant une langue officielle unique, unifiant les
systèmes de mesure et faisant table rase du passé
à l’image de Mao au XXème siècle. Qin nous
est également connu comme bâtisseur de la Grande Muraille
et pour l’armée de soldats de terre cuite enterrés
dans son mausolée.
Au premier acte, le maître du Yin-yang procède à
des sacrifices rituels accompagnés de chants rituels ;
cette musique, celle du passé, déplaît à
l’empereur Qin qui désire qu’un hymne nouveau vienne
inaugurer son règne et qui sera le point de départ
d’une « musique de l’avenir ». Il
songe à son ami d’enfance, le compositeur Gao Jianli, mais
celui-ci réside dans un Etat qui n’a pas encore
été conquis. Il n’y a pas de problèmes sans
solution et l’empereur, bouleversant ses plans de bataille,
décide d’y envoyer son général en chef
auquel il promet, en cas de succès, la main de la princesse
Yueyang.
Aussitôt dit, aussitôt fait : le pays est conquis et
le compositeur accueilli comme un frère par l’empereur.
Mais l’ingrat n’apprécie pas la méthode (il
faut dire que son village a été rasé et sa
mère, qui avait recueilli Qin dans sa jeunesse, a
été massacrée au passage). L’empereur a beau
lui expliquer la grandeur de ses projets, le compositeur susceptible
entame une grève de la faim.
La princesse n’est pas indifférente aux charmes du
compositeur et arrange un marché avec son père : si
elle réussit à le faire manger, l’empereur lui
accordera sa main ; celui-ci accepte malgré la promesse
précédemment faite au chef des armées.
A la suite d’une chute de cheval, la princesse a perdu
l’usage de ses jambes, ce qui ne l’empêche pas de
veiller sur Jianli qu’elle convainc de manger en pratiquant un
bouche à bouche alimentaire qui ne tarde pas à
éveiller d’autres passions : la princesse retrouve
ainsi miraculeusement l’usage de ses jambes.
D’abord heureux de cette guérison et des nouvelles
dispositions du compositeur, l’empereur se fâche tout rouge
quand il comprend ce qui s’est passé (et le
général n’est pas très content non
plus) ; d’abord prêt à faire exécuter
Jianli, il revient vite sur sa décision : le nouvel hymne
avant tout.
Au second acte, Jianli et Yueyang filent le parfait amour tout en
écoutant le chant des esclaves qui construisent la Grande
Muraille. L’empereur vient interrompre ces doux entretiens :
il faut que la princesse épouse le général
conformément aux engagement de Qin. La princesse menace de se
suicider tandis que l’empereur prend le compositeur à
part : qu’il convainque la princesse d’épouser
le général et celui-ci sera promptement envoyé
à la mort à la tête de ses troupes ; ainsi Qin
pourra tenir ses deux promesses. Le compositeur accepte le
marché qualifiant enfin de
« frère » l’empereur mais il refuse
toujours de faire entendre le nouvel hymne qu’il est en train de
mettre au point.
La scène finale nous amène à l’investiture
du premier empereur. Alors que celui-ci monte vers le trône, le
fantôme de sa fille lui apparaît : elle a
préféré se suicider que de céder à
cette infâme marché. Accablé de peine,
l’empereur continue son ascension mais c’est le
fantôme du général qui l’interpelle : il
a été empoisonné par Jianli et avertit
l’empereur des plans de vengeance du compositeur. Celui-ci
surgit, bouleversé de douleur par la mort de la princesse :
il accable Qin d’injures et s’arrache la langue (celle qui
lui a servi à appeler « frère »
l’empereur) pour la lui cracher à la face.
L’empereur le transperce de son épée (par
bonté d’âme et pour lui éviter les tortures
préalables réglementaires à l’époque).
La cérémonie reprend et le nouvel hymne retentit
enfin : ultime vengeance de Jianli, c’est le chant des
esclaves de la Grande Muraille. Bien fait.
Seul bémol à cet intrigue, l’absence
d’évolution des personnages, à peu près tout
d’une pièce ; ce qui n’est pas gênant
dans un ouvrage court (par exemple, Cavalleria rusticana, avec lequel
on peut trouver quelques correspondances), devient un peu
rédhibitoire pour un ouvrage de près de deux heures et
demi.
L’attention est donc principalement soutenue par une musique
plutôt accessible : on n’est plus prêt de la
musique du film Tigres et Dragons que d’une œuvre plus ardue comme la Water Passion After St Matthew .
L’ouvrage respecte les formes classiques de l’opéra
(ensembles, airs, duos et même un ballet) tout en les
réinventant par une utilisation très inventive des
percussions, du zheng ou même du silence. L’orchestre est
une formation classique à laquelle s’ajoutent quelques
instruments asiatiques : on notera en particulier le recours
à une gigantesque cloche de 5 mètres de haut qui rythme
de manière lancinante toute la dernière scène.
Placido Domingo & Tan Dun (saluts)
© DR
A
un mois de son soixante-sixième anniversaire, Placido Domingo
reste impressionnant d’assurance vocale dans un rôle (le
124ème ou le 125ème, on ne sait plus) composé pour
lui et qui sollicite peu le registre aigu. L’incarnation
théâtrale est remarquable et on ne peut que tirer son
chapeau devant tant d’intelligence et de musicalité.
Le rôle du compositeur est d’une écriture beaucoup
plus tendue et la voix un peu blanche de Paul Groves contraste
admirablement avec le timbre de bronze de Placido. Là encore, on
se félicitera d’une exceptionnelle musicalité et
d’une technique jamais prise en défaut, l’artiste
sachant également s’élever au niveau dramatique de
Domingo pour leur affrontement final.
Personnage plus en retrait, la princesse d’Elizabeth Futral est
particulièrement bien chantante dans un rôle qui exige
quelques coloratures (dans la première partie où la
princesse est encore un personnage un peu vain) : on regrettera
néanmoins un certain manque de largeur qui rend parfois
difficile le passage par-dessus l’orchestre.
Le général de Tian est vocalement impressionnant mais le
rôle n’est pas très gratifiant. Il en va de
même de celui de la chamane, incarnée avec des
résultats divers par Michelle DeYoung, ou de celui du ministre,
très correctement interprété par Haijing Fu ou
encore de l’excellente Susanne Mentzer.
On remarquera surtout l’étonnant maître du Yin-yan
de Wu Hsing-Kuo qu’on croirait tout droit sorti de
l’Opéra de Pékin et dont le rôle est plus
proche de ce type de musique.
La mise en scène de Zhang Yimou privilégie une direction
d’acteurs efficace, s’appuyant sur le spectaculaire
décor de Fan Yue : un immense escalier qui prend toute la
largeur de la scène et monte jusqu’aux cintres,
habillé en fonction des scènes par des
éléments complémentaires comme ces blocs de pierre
descendus des cintres qui figurent la Grande Muraille. Les costumes
quant à eux proposent une Chine stylisée et
colorée.
Jouées à guichet fermé, ces représentations du Premier Empereur
ont finalement remporté un grand succès mais seul le
temps nous dira si l’ouvrage peut survivre par ses
qualités seules et sans le prestige de son créateur.
Placido Carrerotti
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