Alain
Durel, directeur en fin de mandat de l'opéra national de Lyon, avait
annoncé, dès son arrivée, son intention de rétablir
à l'affiche les grands titres du répertoire qui avaient été
délaissés ces dernières années. C'est dans
cet objectif que nous avons pu voir programmer lors des saisons précédentes
les Faust, Russalka, Cenerentola, Traviata, Lucie de Lamermoor et
autre Bohême... Pour en arriver, ce soir ; à un des
monuments de l'opéra russe, Boris Godounov, en grande partie
très réussi.
En premier lieu, cette réussite
tient au travail accompli par Ivan Fisher à la tête de son
orchestre (même si ses problèmes familiaux qui malheureusement
ne lui permettront pas d'assurer la direction de toute la série).
Il faut bien reconnaître qu'il gagne là ce qu'il avait notamment
manqué pour Russalka : cela faisait longtemps que l'orchestre n'avait
pas sonné à ce point ! Toute la sensualité et la suavité
des cordes était au rendez-vous, cette musique qui, par bien des
aspects, peut rapidement se transformer en un long fleuve ennuyeux, était
ce soir magnifiée par une lecture toute en tensions, où chaque
accent était à sa place, chaque rupture ou déferlement
sonore totalement maîtrisé. De la même manière,
le choeur, parfaitement en place, réalise des merveilles, on n'ose
imaginer les services de répétitions !
Riche et homogène,
le plateau vocal ne comporte aucune faille : de nombreux rôles sont
tenus par les chanteurs en résidence à l'Opéra de
Lyon (notons les Xénia d'Hélène Le Corre, Féodor
de Svetlana Lifar et l'aubergiste d'Hélène Jossoud), lesquels
brillent par leur aisance et la qualité de leur préparation.
Nous retrouvons avec bonheur Mzia Nioradze qui, avec sa Marina, occupe
quasiment à elle seule, et avec quel brio, tout le 3e acte !
Vladimir Matorin campe un
Boris magnifique et visiblement bien exercé au rôle. La facilité
d du chanteur, les superbes chatoiements de son timbre rachètent
largement une émission parfois curieuse, entre le nez et la gorge,
et une ligne de chant malmenée lorsqu'elle est sacrifiée
au jeu de l'acteur. Remarquons également la splendide basse Serguei
Aleksashkin, qui est tout à fait stupéfiant en moine Pimène
! Seul le Grigori de Zoran Todorovich déçoit, peu musical
et flanqué d'aigus serrés et difficiles.
Le spectacle jouit d'un scénographie
aboutie : l'idée - a priori un peu simpliste - qui consiste à
placer les actions des puissants, Tsars et religieux dans grand un escalier
doré, alors que le peuple (le choeur) est manifestement retenu au
sol dans un décor plutôt froid (couleur béton), fonctionne
à merveille. Les entrées qui se font obligatoirement par
le haut et les jeux d'acteurs sont suffisamment réfléchis
et maîtrisés pour ne jamais devenir lassants. Au contraire,
bénéficiant d'éclairage superbes, le décor
épouse idéalement les ambiances sombres voulues par Philippe
Himmelmann. L'intérêt est constamment renouvelé, rythmé
par les apparitions et les mouvements de la foule et on sort de cette production
émerveillé, au terme de presque quatre heures de musique,
sans aucun ennui, sans le moindre bâillement.
Loïc Lachenal