On sort un peu décontenancé
de la production d'Idomeneo présentée ce mois d'avril
à l'Opéra de Nice. Olivier Bénézech a de forts
bonnes idées sur le papier, mais l'ensemble ne sort pas d'une certaine
routine : mélange des costumes - entre moderne et médiéval
futuriste -, initiation maçonnique dans la scène finale (aïe
! Mozart n'y avait pas pensé, mais Bénézech oui),
ballet envahissant, rarement convaincant, et quelque peu déplacé,
univers clinique pour une Électre isolée...
Déroutant spectacle donc où,
toutefois, passent des images fort belles comme cette mer, composante essentielle
du drame, ou ces tons pastels pour une poupe de navire très bande-dessinée
et du meilleur effet. Olivier Bénézech va certainement au-delà
des mots, dont il ne semble utiliser que les motivations musicales. Une
lecture philologique de la partition et du livret mis aux goûts du
jour, pourquoi pas en fait ? Et s'il se laisse prendre au piège
de l'anecdote (au deuxième acte on se croit chez Ionesco et ses
Chaises !) c'est justement dans la mesure où tout refuge dans un
esthétisme gratuit est banni au bénéfice d'un approfondissement
des nuances psychologiques et valeurs purement humaines du drame. Le metteur
en scène niçois s'est souvenu avec bonheur que Mozart a voulu
exprimer ici ses luttes avec son père et a signé sa partition
la plus personnelle.
Les voix, elles, touchent au sublime
et cela suffit en fin de compte très largement. Véritable
révélation de la soirée : Kobie Van Rensburg. Très
en forme, en particulier dans son "Fuor del mal", le ténor sud-africain
campe un Idomeneo puissant, solide, puis accablé, tendu à
l'extrême, d'une belle complexité.
Son fils Idamante a été
confié à la mezzo roumaine Carmen Oprisanu. Une annonce en
début de soirée nous demandait son indulgence car souffrante.
Nous n'avons jamais entendu un registre aussi somptueux, une pâte
vocale aussi tendre et veloutée. De plus le travesti lui va comme
un gant !
Maria Bayo en Ilia ? Un timbre toujours
jeune, crémeux à souhait, des aigus à la fausse fragilité,
des graves doucement exhalés. Une attachante composition là
aussi quand on sait que l'artiste porte en elle une charmante excuse de
quelques mois...
A leurs côtés, Iano Tamar
chante Électre avec une véhémence toute contrôlée,
aux accents gutturaux et flottants d'une grande intensité dramatique,
et dessine un personnage riche, démesuré dans la haine comme
dans l'amour.
Pertinentes interventions d'Arbace
(Leonardo de Lisi) et du Grand prêtre de Neptune (Elio Ferreti).
Nous aimons toujours la direction d'orchestre de Marco Guidarini et certains
de ses Mozart au charme "académique". Il était bien le seul
- avec Papageno ! - l'an dernier, à la même époque,
à sauver du naufrage une Flûte de fort mauvais goût.
Avec Idomeneo, c'est ce charme académique qui devient la
raison d'être de la musique. Des passages quasi chambristes aux allures
toutes symphoniques des fureurs du monstre marin, Idomeneo devient
transparent.
Les Choeurs de Nice se déploient
doucement au gré des vents de Crête, distillant une musique
dont les subtils glissements à la fin du deuxième acte, atteignent
la presque inégalable, la bouleversante pudeur du Trio de Così...
On pouvait alors fermer les yeux et
croire en beaucoup de choses.
Christian COLOMBEAU