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PARIS
18/06/06 & 04/07/06
Russel Braun - Susan Graham
© DR
Christoph Willibald GLUCK (1714 -1787)
IPHIGÉNIE EN TAURIDE
Tragédie lyrique en quatre actes
Livret de Nicolas-François Guillard
D’après Guymond de la Touche, inspiré d’Euripide
Création : Paris 1779
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
Lumières : Felice Ross
Iphigénie : Susan Graham / Maria Riccarda Wesseling
Oreste : Russel Braun
Pylade : Yann Beuron
Thoas : Franck Ferrari
Chœurs et musiciens du Louvre-Grenoble
Direction : Mark Minkowski
Opéra National de Paris, Palais Garnier
18 juin et 4 juillet 2006
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Une vision fantasmée
Le metteur en scène polonais, Krzysztof Warlikowski est
né sur les bords de la Baltique, d’un père
catholique et d’une mère juive non – pratiquante.
Imprégné de la culture allemande et de
l’esthétique de Fassbinder, fasciné par son
compatriote Gombrowicz dont il suit la trace en France, il se forme au
théâtre à l’école de Peter Brook et de
Strehler. Cet homme éponge, hypersensible aux drames humains
toujours revisités, observés de près dans un pays
meurtri où fleurissent l’ambiguïté et les
contradictions, est un combattant.
Pour ses précédents faits d’armes au
théâtre, il a convoqué Kafka, Shakespeare, Marcel
Proust… À l’opéra, il a
réalisé Don Carlo de Verdi, Ubu Roi de Penderecki, Wozzeck d’Alban Berg.
Cette Iphigénie en Tauride
de Gluck, en filiation directe avec les tragédies
d’Euripide et de Racine, il l’a mise en scène
sauvagement dans un univers onirique contemporain, angoissant, et
décalé. Le drame se déroule dans un lieu mouvant
où le tragique et le trivial, le beau et le laid,
l’authentique et le toc ne cessent de
s’interpénétrer à travers des jeux de
miroirs et de vitres, des projections vidéo et des flash-back
intempestifs. Ancrés dans le drame, torturés par leur
inconscient, les personnages sont transcendés. On les voit se
débattre en vain au milieu des fantômes de leur famille et
de témoins de hasard, dans un présent, un passé et
un futur inexorablement hostiles. Et pourtant, en fin de compte,
l’amour et l’espoir survivront au cauchemar.
Cette dramaturgie visionnaire, qui bouscule et bouleverse, est le
travail d’une équipe. Malgorzata Szczesniak, la signataire
des décors et des costumes est une complice de longue date de
Warlikowski. Elle a exercé une profession médicale dans
un hôpital psychiatrique de Cracovie : une expérience
dont on peut imaginer qu’elle ait pu devenir ici une source
documentaire. Autour d’eux, Felice Ross pour des lumières
inspirées, souvent d’une saisissante beauté, Denis
Guéguin pour la vidéo, Saar Magal pour la
chorégraphie et Robert Kupisz pour les coiffures sont eux aussi
d’anciens partenaires en création.
Et la musique de Gluck dans tout cela ? Contrairement à ce
qui se passe si souvent avec les transpositions d’époque
et de lieu, la musique est ici magnifiquement servie et conserve
toujours la primauté. Par instants, de savants jeux de miroirs
et de lumières envoient tout l’orchestre sur scène.
Musiciens et choristes se dédoublent, pénètrent
dans le décor, se fondent dans l’action. Parfois,
c’est la salle entière qui surgit dans cette
représentation du drame qui se joue ici lourd de tout son sens
psychanalytique.
Très à son aise au pupitre, comme d’habitude, Mark
Minkowski semble comme un poisson dans l’eau. Néanmoins,
entre le 18 juin et le 4 juillet, sa direction enthousiaste et
énergique avait quelque peu perdu en précision et en
nuances.
Les chanteurs sont tous excellents. Le 18 juin, la mezzo Susan Graham,
Iphigénie, régnait sur le plateau en grande dame du chant
avec sa voix, ronde, chaleureuse et bien projetée. Yann Beuron,
au mieux de sa forme, chantait Pylade avec un grand naturel, un timbre
charmant et une diction parfaite, comme s’il était
né pour ce rôle.
Le 4 juillet, c’était l’Oreste du baryton germano
canadien Russel Braun qui impressionnait le plus par son engagement
dramatique et sa belle puissance vocale. Iphigénie était
chantée par la mezzo suisse Maria Riccarda Wesseling, vibrante,
émouvante et capable de produire de ravissantes notes
filées. Sa fine silhouette et le beau regard de ses yeux en
amande qui rappelle celui de Maria Casarès lui confèrent
un charme indéniable. Une chanteuse attachante.
Si l’on entendait, le 18 juin, quelques huées hostiles
à destination d’une mise en scène jugée
provocante et de mauvais goût, le public du 4 juillet (forte
chaleur aidant ?) applaudissait sagement avant de quitter
l’Opéra Garnier sans plainte ni murmure.
Brigitte Cormier
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