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STRASBOURG
15/05/2008
© Alain Kaiser
Christoph Willibald GLUCK (1714-1787)
Iphigénie en Aulide
Opéra en trois actes
Livret de Leblanc Du Roullet
Direction musicale : Claude Schnitzler
Mise en scène : Renaud Doucet
Décors et costumes : André Barbe
Lumières : Guy Simard
Agamemnon : Andrew Schroeder
Clytemnestre : Annette Seiltgen
Iphigénie : Cassandre Berthon
Achille : Avi Klemberg
Patrocle : Manuel Betancourt Camino
Calchas : Patrick Bolleire
Arcas : René Schirrer
Diane : Malia Bendi Merad
Trois Grecques : Frédérique Letizia / Dilan Ayata / Tatiana Zolotikova
Une esclave : Susan Griffiths-Jones
Chœurs de l’Opéra National du Rhin
Direction des Chœurs : Michel Capperon
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Nouvelle production
Strasbourg, Opéra, 15 mai 2008
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Sweet Iphigénie
Commençons par avouer qu’Iphigénie en Aulide n’est pas le meilleur opéra de Gluck
et que son statisme et sa longueur peuvent rendre l’ouvrage fort
ennuyeux lorsque les artistes ne sont pas inspirés.
Quel bonheur donc ici de voir ces défauts masqués par un
travail scénique passionnant, un décor merveilleux et une
équipe de chanteurs homogène soutenue par une belle
direction d’orchestre !
Cette Iphigénie vient
clôturer deux saisons axées sur la thématique de la
Grèce antique (et plus particulièrement la Guerre de
Troie) durant lesquelles nous avons vu défiler Cassandre,
Electre, Hélène, Jocaste, Œdipe, Enée,
Agamemnon etc. Avec cette Iphigénie de Gluck, on revient aux
sources, puisque c’est d’Aulide que partent les Grecs
pour la guerre de Troie.
C’est donc avec une pertinence remarquable que Renaud Doucet et André Barbe
font allusion à cette guerre à venir - et donc aux deux
saisons passées de l’Opéra National du Rhin - en
nous montrant Iphigénie accompagnée de son frère
Oreste (alors que dans cet ouvrage il ne chante pas), l’enfant
tenant dans la main une maquette du futur cheval de Troie, un cheval
dont la (magnifique) statue trônait devant l’Opéra
de Strasbourg. Et c’est encore avec une justesse confondante
qu’à la toute fin de l’ouvrage, l’on voit
défiler les événements futurs : la silhouette du
cheval de Troie accompagnant la sortie de scène des soldats,
Achille tué, Clytemnestre assassinant son mari Agamemnon, Oreste
tuant sa mère Clytemnestre, autant
d’événements vus ou évoqués
auparavant durant ces deux saisons grecques, et ce, au son de ce
surprenant finale fondé sur le lent et menaçant
martèlement du tambour.
Cette pertinence, c’est cela qui fait le prix d’un travail
qui s’inscrit dans la continuité d’un parcours
lyrique de deux ans. Bien sûr, seuls les fidèles de
l’Opéra National du Rhin peuvent saisir ces
subtilités : merci et bravo à Renaud Doucet et
André Barbe pour cette intelligence !
© Alain Kaiser
Le choix de placer l’action dans une ambiance marine peut
paraître surprenant, mais il se révèle pertinent
à bien des titres. Aulide (Aulis en grec) est certes un port,
mais c’est davantage la vague déferlante (le décor
en figurant une particulièrement impressionnante) symbole de
force, de chamboulement si ce n’est de catastrophe qui semble
intéresser Doucet et Barbe. Par ailleurs, l’immense ancre
qui trône au fond de la scène symbolise certes le bateau
en instance de départ pour Troie, mais aussi un poids terrible
pesant sur les personnages. Quand elle se lève à la fin
de l’ouvrage, on devrait se sentir libéré de ce
poids, mais non, l’ancre apparaît alors comme une arme, une
hache menaçante, annonciatrice des combats à venir.
© Alain Kaiser
Le plancher ondulé, telle une vague lui aussi, évoque
l’instabilité des personnages et des situations
changeantes. Le tapis rouge qui le traverse semble quant à lui
évoquer la royauté d’Agamemnon mais aussi le sang
du sacrifice d’Iphigénie.
On l’a compris, tout est à double lecture dans cet univers
et c’est cela aussi qui fait la grande valeur de ce travail
scénique. On est loin de la mise en scène plan-plan de
Yannis Kokkos à La Scala (direction Muti, version
diffusée en son temps sur Mezzo)...!
On pourra moins apprécier les costumes contemporains (des
soldats en tenue de camouflage avec des boucliers un peu encombrants
par exemple) et surtout un entracte qui intervient au beau milieu de
l’acte II. Nous n’avons pour notre part pas saisi
l’intérêt de couper une scène
d’ensemble en son milieu, d’autant plus que ce n’est
pas très heureux musicalement...
Curieux également la charge contre l’église (on
l’avait déjà senti, et dans le même ordre
d’idée d’ailleurs, dans la mise en scène de
Benvenuto Cellini des mêmes Doucet et Barbe
[http://www.forumopera.com/concerts/cellini_strasbourg06.htm ]) avec ce
personnage du Grand Prêtre Calchas, ici semblable à un
jésuite porté sur le charme des petites filles...
On gardera pour la fin une direction d’acteurs tout en finesse,
avec notamment la présence très touchante des enfants
(Iphigénie se réfugiant - telle Electre - dans les bras
de son père, Oreste se réfugiant dans ceux de sa
mère qui le rejette à plusieurs reprises : la
mère est plus intéressée par la
« gloire », dit-elle, que lui apportera le
mariage de sa fille avec Achille que par son fils jouant au cheval...).
« Sweet Iphigénie » disions-nous car
c’est bien la douceur qui caractérise la prestation
musicale de ce soir. Cela peut surprendre quand on a dans
l’oreille ce que fait par exemple Marc Minkowski dans Gluck. Au
contraire de ce « dynamitage » en règle
(dans le bon sens du terme), Claude Schnitzler enveloppe le discours
gluckien avec une grande douceur, une grande souplesse mais sans
être léthargique pour autant. Il sait, et ce dès
une très belle ouverture, colorer, mettre en relief
l’orchestration et faire avancer la musique quand il le faut. Un
beau travail d’orchestre, efficacement rendu par la formation
mulhousienne malgré quelques petits accrocs ici ou là,
mais l’orchestration très « à
nue » de Gluck est parfois terrible pour certains pupitres.
On regrettera tout de même les coupures de ballet qui deviennent
un peu la règle ici (après ceux d’Idomeneo, des
Troyens...). Ne subsiste qu’une petite danse avant le Finale
(fort bien chorégraphiée et exécutée du
reste).
Grande douceur aussi dans les voix. Trop ? On avoue avoir
été un peu déçu par
l’Iphigénie de Cassandre Berthon qui nous avait laissé meilleur souvenir dans sa Cendrillon (de Massenet) ici même. Ce soir, la voix apparaît tout d’abord entachée d’un vilain vibrato
dans l’aigu, disparaissant heureusement au fur et à mesure
de l’opéra. La légèreté de timbre et
de volume est contrebalancée par un bel investissement et une
incarnation sensible.
Son papa Agamemnon est fort bien campé par un Andrew Schroeder de belle prestance. C’est Sylvie Brunet
qui devait à l’origine chanter Clytemnestre. Elle aurait
sans nul doute fait merveille dans ce rôle
d’écorchée et de femme ambitieuse. Annette Seiltgen
la remplace avec les honneurs et se tire bien des difficultés du
rôle (mais on ne peut s’empêcher d’imaginer au
cours de la représentation ce que Sylvie Brunet aurait
apporté ici... !).
Si un chanteur nous comble absolument ce soir, c’est bien Avi Klemberg dans
le rôle impossible d’Achille. Il faudrait un haute-contre
pour chanter ces lignes tendues au possible, sollicitant sans cesse
l’aigu mais surtout pas un ténor qui chanterait tout cela
en poitrine (comme dans la version Muti, décidément,
à éviter). Avi Klemberg (que l’on avait
déjà remarqué dans L’Autre côté
de Montovani) a l’intelligence, et surtout la technique, pour
mixer la voix dans l’aigu tout en gardant la vaillance
nécessaire à la crédibilité du personnage.
Il offre ainsi une prestation absolument remarquable parachevée
par une prononciation impeccable. Chapeau Monsieur !
Sur le plan de la prononciation, l’Arcas de René Schirrer est également parfait. Le chanteur se montre par ailleurs toujours aussi attachant et convaincant. Convaincant, Patrick Bolleire l’est également en Arcas, à qui il donne une certaine stature. Même constat pour le Patrocle de Manuel Bétancourt.
Les voix des femmes et esclave grecques ne sont par contre pas toujours
des plus sûres contrairement à la très belle Diane
de Malia Bendi Merad.
Douceur (surprenante) encore chez les chœurs : décidément, tout est à l’unisson ce soir.
Il faut louer encore une fois l’homogénéité
de cette distribution où personne ne dépare, qui se
caractérise par la douceur et la rondeur des voix, soutenue par
une direction qui va dans le même sens. Accordée à
la finesse du travail scénique de Renaud Doucet et André Barbe, qui nous ont déjà offert ici des spectacles mémorables – dont un exceptionnel Benvenuto Cellini -, cela nous vaut un Gluck certes un peu inhabituel aujourd’hui, mais pas moins intéressant.
Pierre-Emmanuel Lephay
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