OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BRUXELLES
16/04/2008


Patrizia Ciofi
© MSM


Gioacchino Rossini (1792-1868)

Elisabetta, Regina d’Inghilterra

Dramma per musica en deux actes
Livret de Giovanni Federico Schmidt

Création au Teatro San Carlo di Napoli
le 4/10/1815

Marguerite Krull (suite au forfait d’Anna Caterina Antonacci), Elisabetta
Gregory Kunde, Leicester
Annamaria Dell ‘Oste, Matilde
Blandine Staskiewicz, Enrico
Antonino Siragusa, Norfolc
Yves Saelens, Guglielmo
Julian Reynolds, direction musicale
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie

Les 10 (Luxembourg), 13 (Paris),
16 & 22 (Bruxelles) & 19 avril 2008 (Amsterdam)
En version de concert

Soirée du 16 avril 2008
au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

Le couronnement de… Leicester…


Depuis bon nombre d’années, quelques grandes scènes internationales répugnent à monter du Bel Canto romantique, en particulier, dans ses œuvres serio. Paris et Bruxelles en font partie. Les versions de concert concédées à la limite du mépris, sont autant d’alibis, permettant de mettre les consciences en paix et de couper court à toute revendication (1). Le système persiste, mais, à l’instar de Lourdes et de ses apparitions, si la masse des fidèles est toujours compacte, les miracles sont de moins en moins nombreux… A propos de miracles, la cour n’était pas loin, mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

1815, Rossini accepte enfin le pont d’or proposé par Domenico Barbaja tout puissant directeur du San Carlo de Naples. Le compositeur s’y installe et va donner Elisabetta (2).

L’Elisabetta qui nous occupe, avait été conçue autour de la personnalité d’Anna Caterina Antonacci. La belle artiste italienne connaît un parcours en grand écart avec des résultats en dents de scie au sein d’emplois hybrides qui ont toujours fait couler beaucoup d’encre virtuelle. Elle a fréquenté avec assiduité les emplois alla Colbran dans les dix premières années de son parcours (3). En ces années de fraîcheur, la jeunesse, la fougue des moyens ainsi que la beauté stupéfiante de la femme, palliaient déjà régulièrement l’adéquation aux écritures di sforza, écritures qu’elle n’a jamais vraiment maîtrisées. Après une période où Mozart et Monteverdi se sont taillés la part du lion, Antonacci s’est dirigée vers des prises de rôles plus déclamatoires comme Medée ou Les Troyens. Son retour à Elisabetta, quelques dix sept ans après sa prise de rôle, souleva une certaine incrédulité. L’annonce du forfait pour les cinq soirées, allait répondre à ces interrogations mais également, être lourde de conséquence sur le devenir des spectacles. A quelques heures de la première, on imagine la panique, femmes et enfants compris, qui dut s’emparer des responsables pour trouver une titulaire. A défaut d’être à la hauteur de la tâche, on lui demandait seulement l’inconscience d’accepter ce cadeau empoisonné et d’éviter un remboursement général, sauvant une billetterie persistant à vendre en toute impunité, sur le nom d’Antonacci. Madame Ganassi étant vraisemblablement occupée ailleurs et madame Larmore n’ayant plus rien à prouver dans ce type de galère, on arrivera donc à convaincre madame Marguerite Krull de prendre le premier vol. La majorité du public bruxellois apprit le remplacement en ouvrant son joli programme. Il allait s’avérer fort utile dans les grandes longueurs où allait nous emmener la représentation.

A la direction musicale, Julian Reynolds confirme que ses affinités avec le Bel Canto romantique ne sont guère nombreuses. Rythmique certaine mais ne tenant pas la longueur de la soirée, grande pauvreté dans l’imagination des contrastes et stérilité dont Pasteur aurait été fier. Reynolds passe non seulement à côté de l’esprit et de l’émotion de cette musique unique mais également, ne devine même pas le drame que celle ci peut receler. On lui est néanmoins reconnaissant d’avoir depuis Luxembourg, réglé les nombreux déséquilibres sonores entre chœurs, solistes et orchestre. Orchestre qui, malgré deux représentations, n’avait pas encore répété à satiété, ses différents soli.

Annamaria Dell ‘Oste va se révéler être une grosse déception dans Matilde. On ne se trouve jamais chez Rossini dans la vocalisation ou la ligne de la soprano italienne. Il nous faut surtout composer tout au long de la soirée avec une émission plus que problématique. Engorgements insupportables en guise de placement, tensions, tiraillements d’un aigu vilain, on oubliera vite une très faible prestation vocale pour reconnaître que la présence est certaine et que son personnage même mal dégrossi, existe.

Antonino Siragusa signe une très belle prestation. Norfolc est un de ses meilleurs emplois où même les ingratitudes de timbre et autre nasalité, trouvent une justification théâtrale dans cet emploi de vil traditor. Il enthousiasme un public qui avait glissé assoupi, en dessous de son siège. La voix a les moyens du rôle et l’énergie ravageuse du ténor emporte tout. En ne lui retirant rien, nous aimerions que ce beau chanteur ne verse pas dans la facilité. Facilité de toujours chanter dans une palette allant du mezzo forte au forte. Où sont les demi-teintes du ténor ? Son seul essai se solde quasi par un incident… Facilité en ne variant pas la reprise de sa cabaletta. Facilité de cueillir gratuitement un public avec un aigu apoplexique (Dieu que le pourpre ne lui sied pas au teint…). Facilité de venir, tel Pavarotti cabotin, chercher les acclamations en un geste de bras ouverts… Siragusa est un artiste généreux, il serait dommage que son art se résume à un numéro de cirque. Numéros que reprochent les adversaires de Rossini à ses partitions serio… Cette musique recèle une autre poésie, une autre émotion et là où Rockwell Blake dans le cantabile du Deh ! Troncate i ceppi suoi vous arrachait des larmes, Siragusa épate simplement par l’aisance d’une tessiture et la vaillance d’un chanteur…


Gregory Kunde

Le spectacle lui doit néanmoins une des deux étoiles attribuées à cette soirée. L’autre et de plein droit, reviendra à Gregory Kunde pour sa prise de rôle de Leicester. Remplaçant Dario Schmunck, Kunde va se définir comme LE protagoniste de la soirée. Au sommet d’une carrière de plus de trente ans, le ténor continue à défendre un art plus en plus isolé. Peu importe l’usure des moyens, cet homme sert Rossini. Chaque respiration, chaque accent, chaque intention est expression musicale. Pour nous, là est la différence entre le très bon chanteur qu’est Siragusa et l’artiste que définit l’art de Kunde. Là où Siragusa utilise la partition pour réclamer son succès, Kunde reçoit légitimement son triomphe pour avoir tout au long de la soirée, servi l’œuvre au moyen de l’école de chant américaine ayant formé les plus grands, ainsi que par le dessin d’un personnage qui souffre, se révolte et aime sincèrement. Définitivement, Kunde fait partie de cette race des Seigneurs, emmené par les Blake, Merritt, Ramey, Horne, Anderson, Cuberli, … Race désormais en voie d’extinction…

A propos de voix et d’extinction, abordons le cas Krull…. Même si l’on ne veut pas tirer sur l’avion sanitaire qui l’a emmené, il faut avouer que Marguerite Krull a livré une des plus consternantes prestations depuis l’historique Armida de Callas en 1952. Nous serions prêts à lui pardonner toutes les faiblesses au sein de cette opération kamikaze, mais de grâce, qu’on arrête de prendre les spectateurs pour des débiles profonds ! Présenter cette dame comme une spécialiste du chant rossinien ayant rien moins que Fiorilla, Rosina, Angelina, Desdemona, Ninetta, Elena et donc Elisabetta à son répertoire courant, est un « foutage de gueule ». Renseignements pris, madame Krull a, cette saison, chanté un Stabat Mater de Pergolesi, un Cherubino, un aimable Handel et un Monteverdi confidentiel …. Sans mésestimer la valeur musicale de ce répertoire, que les décideurs de l’Elisabetta imaginent un seul instant qu’elle puisse venir à bout des monstruosités de cette partition, dépasse l’entendement… Au delà du fait que cela ne rend pas service à son parcours et encore moins à l’équilibre des différents ensembles émaillant la soirée, cela est un manque total de respect vis à vis du public, de la partition et du compositeur. Mais qui se soucie encore de cela ? Jetons un voile pudique sur sa prestation dont l’unique objet sera la démonstration que le public bruxellois est décidément très bien élevé. En Italie, madame Krull n’aurait pas terminé la soirée…


Philippe PONTHIR


Notes
(1) Il y a quelques années à peine, ce système pratique, peu onéreux et bien rentabilisé par des rendez-vous dans plusieurs capitales, permettait au moins d’entendre en Belgique, des chefs d’œuvres rarement donnés, en particulier les partitions du Pesarese. Les souvenirs sont encore très vifs. Que de soirées, en particulier avec Zedda, l’immense Podles, le déjà légendaire Rockwell Blake, mais également pour revenir aux Beaux Arts, des Donna del Lago avec une Ricciarelli sans doute en déclin vocalement, mais d’une aura intacte, ou dans notre souvenir le plus égoïste, une Ermione flamboyante quand une Miricoiu impériale se joignait à la sublime monstruosité des moyens de Chris Merritt pour bouter le feu à une salle en délire. Heureuse époque où une ovation avait encore un sens …

(2) Cette œuvre rompt avec plusieurs traditions. Rossini renonce au recitativo secco en introduisant les récitatifs accompagnés par l’orchestre. De plus, ainsi qu’il se l’était juré au lendemain d’Aureliano in Palmira, il sera désormais le seul à définir le cadre vocal des chanteurs, variations comprises. Barbaja ne lui offre pas seulement un des salaires les plus avantageux de la péninsule, il lui permet surtout d’écrire pour quelques uns des gosiers les plus mythiques de l’époque. Pour son Elisabetta, il disposera, excusez du peu, de Manuel Garcia (Norfolc), d’Andrea Nozarri (Leicester) et enfin, de la capiteuse Prima Donna espagnole, Isabella Colbran à qui Elisabetta devra une grand part de ses nombreux succès. La Diva espagnole appartient au panthéon du chant lyrique tant pour ses moyens légendaires (même si un déclin certain surviendra assez rapidement), que pour sa nature théâtrale et dramatique. Liée au compositeur italien tant à la ville qu’à la scène, il va imaginer pour Isabella, une galerie de portraits féminins aussi fascinants que redoutables. Après Elisabetta, la Colbran va donner vie à Desdemona (Otello), Armida, Anna (Maometto II), Ermione, Zelmira, Elcia (Mosè in Egitto), Zoraide (Ricciardo e Zoraide) et Elena (La Donna del Lago), toutes pour Naples. Sur le déclin et en lutte avec ses défauts d’intonation, Isabella créera encore Semiramide, écrite pour la Fenice de Venise. Ce rappel, au delà de l’histoire du chant, redéfinit également l’identité que devrait posséder les cantatrices abordant Elisabetta… Il annonce en tout cas avec évidence, les difficultés à la distribuer de manière adéquate dans l’horizon vocal qui est désormais le nôtre.

(3) Du répertoire typiquement Colbran, Antonacci a déjà abordé Zelmira (avec Blake et Merritt, en 1989), Semiramide (en 1991), Ermione ( en 1991 avec Blake et Merritt, en 1992 à Londres, San Francisco et Buenos Aires, en 1995 et 1996 à Glyndebourne), Elena (La Donna del Lago en 1992), et donc Elisabetta pour un soir à Naples en 1991. Plus largement, Fulvia (Pietra del Paragone, 1986), Rosina (Il Barbiere di Seviglia, 1986 et 1997), Elcia (Mosè, 1988), Dorliska (Torvaldo e Dorliska, 1988), Ninetta (La Gazza Ladra, 1990), Angelina (La Cenerentola, 1996). Dès 1996, Antonacci va très prudemment s’éloigner des tessitures trop dramatiques de la Colbran…

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