C O N C E R T S 
 
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PARIS
23 & 29/09/03

© Eric Mahoudeau
Richard STRAUSS (1864-1949)

SALOMÉ

Livret tiré du poème d'Oscar Wilde
traduit en allemand par Hedwig Lachmann

Mise en scène : Lev Dodin
Décors et costumes : David Borovsky
Lumières : Jean Kalman
Chorégraphie : Jourii Vassilkov
Dramaturgie : Mikhail Stronine

Salomé : Kartia Mattila
Herodes : Chris Merritt
Herodias : Julia Juon (23/09) & Anja Silja (29/09)
Jochanaan : Falk Struckmann
Narraboth : William Burden

Page des Herodias : Michelle Breedt
Erster Jude : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke*
(* un nom pareil pour chanter 3 notes...)
Zweiter Jude : Martin Finke
Dritter Jude : Scott Wyatt
Vierter Jude : Robert Wörle
Fünfter Jude : Ulrich Hielscher
Erster Nazarener : Stanislaw Shvets
Zweiter Nazarener : Mihajlo Arsenski
Erster Soldat : Kristof Klorek
Zweiter Soldat : Scott Wilde

Choeurs et Orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : James Conlon

Paris, les 23 et 29 septembre 2003

Lire également la critique de Christian Peter


PAS DE QUOI EN FAIRE UN PLAT...
 

Une nouvelle production pour un ouvrage absent du répertoire depuis près de 10 ans (1), une distribution prestigieuse, véritable dream team, avec la prise de rôle d'une chanteuse particulièrement chère au public parisien, l'Opéra de Paris aura vraiment mis les grands moyens pour cette reprise du chef d'oeuvre de Richard Strauss.

Une salle enthousiaste salue sans réserve les solistes au rideau final, témoignant ainsi du très grand succès de cette soirée, l'une des plus attendues de la saison.

Au risque de passer pour un aigri, un grincheux ou un rabat-joie, j'avoue que cette Salomé m'a laissé insatisfait. Une fois de plus et comme en grande cuisine, la preuve est faite que les meilleurs ingrédients ne suffisent pas pour réussir un bon plat.

Après une Dame de Pique contestable et contestée, mais néanmoins digne d'intérêt (2) et un Démon très "fête de patronage", Lev Dodin pouvait par ce spectacle confirmer son talent ou son inadéquation pour le genre lyrique. C'est malheureusement la seconde option qui s'applique : Lev Dodin n'a rien à dire et malgré l'agitation des personnages, le drame ne franchit que difficilement la fosse.

Les décors n'évoquent rien de précis : la seule originalité consiste à mettre Jochanaan dans une cage amovible (tu chantes : je te mets sur le devant de la scène - tu chantes plus : retourne dans ton trou). Pour le reste, un mur à gauche, le même avec une loggia à droite, un escalier au fond et des stalles au premier plan côté pair qui viennent subtilement boucher la vue d'une partie des spectateurs de parterre, très certainement ravis d'avoir payé plus de 100 € pour voir les fesses de Chris Merritt pendant la Danse des Sept Voiles. Avec ça, une Lune qui parcourt la toile de fond et l'inévitable éclipse au moment où Mattila montre la sienne.

Autre grand moment : des costumes à dominante jaune vif tirés d'une version comique des Mille et Une Nuits, Hérodias étant notamment gratifiée d'un chapeau de Grand Vizir digne de Geneviève de Fontenay lors d'une élection de Miss France et Narraboth d'une superbe panoplie de Gladiator en imitation plastique ; quant à l'Hérode de Chris Merritt, c'est Demis Roussos revu au travers d'une télé déréglée. N'oublions pas les deux soldats et leur jupettes rayées jaune et marron taillées dans des tickets de métro.

Au rideau final, Karita Mattila tentera à plusieurs reprises de faire venir Lev Dodin pour les saluts (et franchement, il ne risquait pas grand chose tant la production est "consensuelle") et finira avec un sourire et un geste d'incompréhension à l'égard du public. Maintenant, Lev Dodin n'ayant signé ni les décors, ni les costumes, ni les lumières (d'ailleurs excellentes), ni la chorégraphie ni la dramaturgie : que pouvait-on lui reprocher ? 

Karita Mattila accomplit néanmoins une performance assez exceptionnelle : elle est jeune et belle, s'investit totalement, franchit le mur sonore de l'orchestre, danse divinement et, en plus, montre ses fesses. Elle court sans cesse d'un bout à l'autre du plateau, grimpe à la cage de Jochanaan ou réclame sa tête en exécutant un grand écart : c'est physiquement prodigieux et on imagine mal qui pourrait reprendre le rôle dans cette production tout en chantant avec une telle intensité (3). Toutes les notes sont là, avec une émission qui rappelle parfois Leonie Rysanek (mais sans le volume !) et qui fait tout de même craindre pour la santé vocale future de cette interprète. Les aigus sont superbes, le médium un peu sourd, les graves exagérément poitrinés, mais c'est dramatiquement efficace.

Si l'on s'en tient à cette description, somme toute superficielle, on sera enthousiasmé par cette artiste et dans cette perspective, son succès aux saluts est entièrement mérité.

Mais tous ces efforts suffisent-ils à faire une Salomé ?

Ni gamine capricieuse, ni femme perverse, un peu nymphomane et visiblement tarée sur les bords, à peu près dépourvue de sensualité... Quelle est la vision de Mattila ? Il y a clairement une tentative d'incarnation : le personnage n'est pas monolithique, mais on ne peut pas dire que les multiples facettes soient cohérentes . En fait, le personnage n'est tout simplement pas lisible et si nous pouvons être enthousiasmés, nous ne sommes jamais vraiment fascinés.

La Danse des Sept Voiles nous laisse pantois devant l'exploit physique ; mais où sont l'érotisme, le mystère (et puis, une Salomé blonde...) ? Quelle lasciveté dans la vision du fessier mattilien alors que cette Karita rayonnante évoque plutôt une publicité pour des vacances saines et sans complexes dans un camp de naturistes de la côte finnoise ? Comment se sentir mal à l'aise quand Salomé embrasse goulûment la tête de Jochanaan avec la frénésie de Jacques Chirac dégustant une tête de veau ? Désolé, mais ça ne passe pas.

Souhaitons donc à cette grande artiste d'avoir l'opportunité d'approfondir ce rôle : nous aurons peut-être une grande Salomé dans 10 ans, mais aujourd'hui c'est encore trop superficiel et étudié.

A ces côtés, William Burden est un Narraboth particulièrement agréable à regarder et qui chante très bien (4) ; avec ça, rien de passionnant non plus, le suicide nous laissant de glace.

Annoncé souffrant le 23 septembre (5), Falk Struckmann est un Jochanaan impressionnant de puissance mais un peu caricatural.Théoriquement en pleine forme le 29, il aura au contraire beaucoup de mal à finir sa scène, les aigus étant partiellement escamotés.

Lorsque Chris Merritt intervient, le décalage est tel avec les scènes aseptisés que nous venons de vivre que, l'espace de quelques minutes, je crains qu'il n'en fasse trop et sombre dans un cabotinage déplacé. Mais le spectacle bascule : même les duos prennent un autre relief, et nous ressentons enfin le frisson du théâtre.
Evitant la caricature, Merritt campe un personnage dégénéré, mais faible et même attachant par ses faiblesses, un Hérode drôle également, bref : une superbe incarnation. C'est même un crime que de le mettre en scène de dos pendant la Danse de Mattila et pourtant nos yeux vont de l'un à l'autre. Vocalement, le ténor n'est sans doute plus à son zénith, mais il demeure bien au-dessus de ce qu'on entend habituellement dans ce rôle.

Le 23, Julia Juon remplaçant au pied levé Anja Silja assure le minimum syndical, sans l'engagement de sa Kundry, mais aussi sans les problèmes vocaux (aigus escamotés ou faux) supportés lors de ce Parsifal. Anja Silja est bien plus motivée le 29, mais le rôle d'Hérodias n'est guère gratifiant : nous sommes toujours heureux d'entendre cette grande artiste, mais franchement, c'est ici un luxe.

Les petits rôles sont excellemment tenus et la place nous manque pour les citer tous.

Dans la balance de ce spectacle au bilan mitigé, la direction de James Conlon contribue au passif. L'orchestre est techniquement irréprochable, mais c'est en vain que nous cherchons une vision : confondant décibels et paroxysme, incapable de soutenir une tension dramatique (l'accompagnement de la scène finale est à pleurer), d'une rigueur métronomique mais avec des imprécisions (les attaques sont systématiquement molles), n'évitant pas la vulgarité (la Danse des Sept Voiles culmine dans l'ambiance de kermesse joyeuse d'une fête à la bière), on attend désespérément le côté sulfureux qui fit scandale à la création.

En définitive, James Conlon est le vrai maillon faible de ce spectacle (6) qui ravira néanmoins la plus grande partie du public.
 
 
 

Placido Carrerotti

1. La dernière production à l'Opéra de Paris, remontant à février 1994, réunissait une Karen Huffstodt incandescente (qui enregistra la version française sous la baguette de K. Nagano avec les forces de l'Opéra de Lyon en 1990), Leonie Rysanek (dont ce furent les adieux à Paris), R. Ulfung (également interprète de la version française) et Monte Pederson sous la baguette de M.W.Chung dans une très belle production d'André Engel (on a du mal à comprendre qu'elle ne soit pas restée au répertoire). Il faut remonter ensuite à avril 1986 pour entendre Edda Moser au Palais Garnier, dans une de ses dernières prises de rôles, entourée de Robert Tear, Viorica Cortez et John Brocheler sous la baguette de K. Nagano (encore lui !).

Parallèlement, l'oeuvre fut montée au Châtelet ; en concert sous la baguette de Marek Janowski avec une Eva Marton surprenante d'engagement en mai 1987, avec Peter Straka, Helga Dernesch et B.Weikl ; vint ensuite en 1997 l'incarnation fameuse de Catherine Malfitano (plus actrice que chanteuse) entourée de K. Riegel, A. Silja (déjà) et R.Hale, handicapés par la direction un peu extérieure de S.Bychkov.

3 productions scéniques en 18 ans : c'est peu pour un tel ouvrage.

2. Personnellement, j'aurais davantage apprécié cette production dans le cadre d'un festival, comme une tentative expérimentale et consciemment assumée ; dans un théâtre de répertoire, on doit miser sur la durée de vie de la production et la multiplicité des distributions (quand on les trouve) : l'effet "coup de poing" d'une mise en scène très audacieuse s'émousse au fur et à mesure des reprises et on ne voit plus à la longue que les défauts du spectacle. Je me place ici dans la peau du passionné qui voit tous les spectacles et toutes les distributions.

3. D'un autre côté, avec Gérard Mortier aux manettes, la question risque de ne pas se poser pendant quelques saisons et Caballé peut dormir tranquille.

4. D'habitude on souligne que "l'artiste chante bien" puis "qu'il est agréable à regarder", mais comme sa partie n'est pas franchement passionnante...

5. Ainsi, depuis le début de l'année et sur 5 opéras, je n'aurais vu qu'une fois Struckmann chanter intégralement un spectacle et sans annonce préalable : inquiétant .

6. Le chef est même surnommé James Comdom par une partie de l'orchestre car "avec lui la Musique ne passera pas".
 


Lire également la critique de Christian Peter

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