......
|
NEW YORK
15/03/2007
© DR
Richard STRAUSS
DIE ÄGYPTISCHE HELENA
Helena : Deborah Voigt
Menelas : Torsten Kerl [Debut] Act I
Menelas : Michael Hendrick [Debut] Act II
Aithra : Diana Damrau
Omniscient Mussel : Jill Grove
Altair : Wolfgang Brendel
Da-ud : Garrett Sorenson
Hermione : Deena Sydney Fink
Aithra's Maid : Wendy Bryn Harmer
Aithra's Maid : Edyta Kulczak
Elf : Katherine Whyte [Debut]
Elf : Yvonne Gonzales Redman
Elf : Leann Pantaleo
Elf : Kathryn Day
Conductor : Fabio Luisi
Production : David Fielding [Debut]
Designer : David Fielding [Debut]
Lighting Designer : Mimi Jordan Sherin [Debut]
Choreographer : Linda Dobell [Debut]
New York, 15/03/07
|
LA BELLE HELENE 2, le retour
On imaginait mal qu’une production
créée pour le manoir de Garsington (400 places) puisse
avoir la moindre chance d’être reprise avec succès
sur la gigantesque scène du Metropolitan Opera (4.000
places).
C’est désormais chose faite avec cette reprise de la
production d’Hélène d’Egypte,
créée en 1997 par David Fielding pour le cadre intime du
manoir oxfordien (1).
N’ayant pas vu la production originale, nous ne pouvons
évaluer les conditions de la transposition. En tout cas, le
résultat est là : cette mise en scène
constitue une des plus heureuses surprises que la scène
new-yorkaise, jusqu’ici avare d’approches modernes, ait pu
nous réserver ces dernières années.
Dans un décor d’inspiration surréaliste quant
à son esthétique, David Fielding réussit à
donner intérêt et cohérence à un livret
totalement improbable (l’une des protagonistes est une
« moule omnisciente ») et dont on a du mal
à imaginer qu’il ait pu inspirer Richard Strauss. Les
décors sont simples et très stylisés, les costumes
intemporels, les éclairages d’une grande finesse et la
direction d’une remarquable intelligence théâtrale.
Quelques nostalgiques du carton-pâte accueilleront
l’équipe de production avec des huées, mais
globalement l’accueil du public du Met, réputé
conservateur, est largement positif.
L’histoire s’inspire d’une pièce
d’Euripide qui s’appuie elle-même sur une tradition
selon laquelle le déshonneur fut épargné à
Hélène. Celle-ci aurait été enlevée
par des dieux compatissants pour être cachée sur une
île égyptienne, tandis que son
« fantôme » filait le parfait amour avec
Pâris.
Diana Damrau © DR
Au
premier acte, la Moule Omnisciente réconforte la sorcière
Aithra : son amant Poséidon ne l’a pas oubliée
et reviendra bientôt. La Moule raconte une vision selon laquelle
la plus belle femme du monde doit se faire bientôt assassiner par
son époux. Emue par le sort funeste prédit à
Hélène, la sorcière concocte une tempête qui
aboutit au naufrage du vaisseau royal sur son île. Il
apparaît bientôt que les époux sont en froid :
Hélène voudrait bien sauver son mariage, mais
Ménélas ne l’entend pas de cette oreille. Il
s’est d’ailleurs arrangé pour que sa fille Hermione
ne connaisse même pas sa mère et est bien résolu
à tuer sa femme au plus tôt. Aithra lui fait
apparaître le fantôme de Pâris afin de le tenir
éloigné quelque temps. Puis elle offre à
Hélène un élixir qui lui redonne sa beauté
passée. A son retour (bredouille), Ménélas a droit
au même traitement tandis que la sorcière tente de le
persuader que la coupable Hélène n’était
qu’un fantôme. Amené aux côtés de son
épouse remise à neuf, Ménélas se laisse
convaincre et le rideau tombe sur les ébats royaux.
Acte II : au matin, Hélène s’éveille,
réconciliée avec la vie conjugale. Ménélas
ne sait trop que penser quand apparaît le cortège du
prince Altaïr accompagné de son fils Da-ud, l’un et
l’autre empressés aux pieds de la reine. La scène
offre à Ménélas un air de déjà vu un
peu déplaisant. Les hommes partent pour une partie de chasse et
Hélène, restée seule, est entreprise par la
sorcière qui lui offre deux potions : l’une pour
oublier, l’autre pour retrouver la mémoire. Contre
l’avis de la sorcière, Hélène affirme que
l’oubli forcé ne peut constituer une solution viable dans
le temps.
Revenu de la chasse, Altair fait la cour à la souveraine,
même quand on lui apprend que Ménélas a tué
son fils durant la chasse (surprise !). L’esprit confus,
Ménélas est persuadé d’avoir tué
Pâris et, souhaitant la mort, absorbe le philtre de
mémoire que lui sert Hélène. Les deux amants
tombent dans les bras l’un de l’autre : Altair,
trouvant la situation un peu difficile à avaler, ordonne
à ses hommes de séparer le couple. Mais Poséidon
surgit des flots avec Hermione et rétablit l’ordre.
“Happy end » moral. Ne manquez pas « La
Belle Hélène III ».
Diana Damrau & Deborah Voigt © DR
Certes,
le livret n’est pas à prendre au premier
degré ; c’est surtout une réflexion sur la vie
conjugale et les possibilités de reconstruction des couples.
Comment d’ailleurs ne pas songer à Intermezzo,
sur un livret du compositeur, transposition d’une
mésaventure au terme de laquelle Strauss reçut une lettre
d’amour destinée à un autre (c’est du moins
ce qu’il a réussi à faire croire à sa
femme) ? « Ce n’est qu’un
rêve » chantait déjà
l’Hélène d’Offenbach (qui fascinait
également Hofmannsthal).
Conçue dans la Vienne freudienne, l’intrigue permet donc
les interprétations psychanalytiques les plus diverses. De
là à accepter un personnage de Moule Omnisciente et qui
chante …
Les conditions de la création de l’ouvrage (en 1927)
valent qu’on s’y arrête. Le rôle
d’Hélène avait été écrit en
pensant à Maria Jeritza, créatrice des deux versions
d’Ariadne et de la Femme sans Ombre
(et interprète de La Belle Hélène !). Mais le
cachet demandé par la chanteuse était tellement
élevé que l’Opéra de Dresde choisit
finalement d’engager Elisabeth Rethberg : une voix sublime
mais un talent d’actrice des plus médiocres. Ce fut un
échec dont chacun accusa l’autre. Dès 1928,
l’ouvrage était créé au Metropolitan (2),
avec Jeritza cette fois, mais au prix de coupures importantes (la
moitié de l’air d’entrée du second acte, par
exemple, dont le terrible ut dièse final). La re-création
de 2007, respectueuse de la partition originale constitue donc la
« vraie » création de l’ouvrage sur
la scène du Metropolitan.
© DR
Reine
du yo-yo calorique, Deborah Voigt retrouve le compositeur avec lequel
elle a certainement le plus d’affinités musicales. On se
souvient que cette exceptionnelle chanteuse avait été
exclue d’une production londonienne en raison de ses rondeurs.
Depuis, le soprano s’était lancé dans une
série de régimes et d’opérations dont sa
voix n’est pas ressortie indemne. Nous avions déjà
signalé les dégradations constatées : timbre
métallique, vibratello
mal contrôlé, aigu instable. Cette représentation
nous rassure sur les ressources de la chanteuse qui a visiblement
réussi à se reconstruire une technique vocale.
L’artiste n’est ici inférieure qu’à
elle-même, assurant avec aplomb et éclat un rôle
d’une exceptionnelle difficulté d’écriture.
On pourra ergoter ici ou là sur certaines duretés, mais
aujourd’hui les artistes capables d’un tel engagement et
d’une telle intégrité se comptent sur les doigts
d’un manchot.
L’autre triomphatrice de la soirée est
l’exceptionnelle Aithra de Diana Damrau, survolant une tessiture
très aiguë avec une voix corsée, absolument
confondante de facilité (sans parler du volume vocal absolument
impressionnant), impeccable diseuse et excellente actrice. A
l’applaudimètre, difficile de dire qui, de Voigt ou de
Damrau, est la vedette de la soirée.
Enfin, dans le rôle de la « moule savante », Jill Grove est également remarquable.
Jill Grove © DR
Les
rôles féminins sont tellement intenses que les rôles
masculins en paraissent un peu fades. Au point que je n’ai pas
été trop gêné par la déficience de
Torsten Kerl (annoncé souffrant, néanmoins doté
d’une voix claire et tranchante, rappelant un peu les grands
ténors straussiens tel James King, mais à la projection
de plus en plus faible au fil des scènes) remplacé au
second acte par le très bon Michael Hendrick (voix plus nasale,
barytonante, davantage dans la lignée de Ben Heppner).
Toujours fidèle aux vieilles gloires, le Metropolitan a
réactivé Wolfgang Brendel, interprète
régulier entre les années 90 et 2000, mais qui
n’avait plus chanté sur cette scène depuis 2003. A
près de 60 ans, le baryton allemand témoigne d’une
rare santé.
Dans le rôle court mais exigeant de Da-ud, le très jeune
Garrett Sorenson est déjà plus qu’une promesse.
Il n’est pas de Strauss réussit sans un grand chef :
Fabo Luisi est incontestablement un excellent connaisseur de Strauss,
qui sait faire ressortir les détails de la partition sans
couvrir les chanteurs par une attention exagérée à
la pâte orchestrale, capable de légèreté
dans une écriture qui peut facilement sombrer dans la lourdeur.
Aidé par un orchestre en superbe forme, Luisi est, avec Voigt et
Damrau, l’autre grand triomphateur de la soirée.
Placido CARREROTTI
1. Garsington a ainsi assuré la première scénique britannique de l’ouvrage.
2. Pour fixer les idées, c’est
seulement en 1993 que Marek Janowski créa l’ouvrage
à Paris en version concertante.
|
|