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PESARO
21/08/06
© Amati Bacciardi
Gioachino Rossini (1792 – 1868)
TORVALDO E DORLISKA
Dramma semiserio en deux actes (1815)
Livret de Cesare Sterbini
Mise en scène : Mario Martone
Décor : Sergio Tramonti
Costumes : Ursula Patzak
Lumières : Cesare Accetta
Duc d’Ordow : Michele Pertusi
Dorliska : Darina Takova
Torvaldo : Francesco Meli
Giorgio : Bruno Practico
Carlotta : Jeannette Fischer
Ormondo : Simone Alberghini
Orchestre Haydn di Bolzano e Trento
Chœur de Chambre de Prague
Direction musicale : Victor Pablo Pérez
Pesaro, Teatro Rossini, le 21 août 2006, 20h
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Un bijou sous-estimé
Fin 1815, Torvaldo et Dorliska
inaugure la fructueuse collaboration de Rossini, déjà
compositeur à succès, avec le librettiste Sterbini ;
à peine deux mois plus tard, ils produiront ensemble, en trois
semaines croit-on, le très fameux Barbier de Séville. Quoique l’opéra Torvaldo et Dorliska
ait fait peu de bruit au moment de sa création à
Rome— ayant été jugé triste — et soit
demeuré par la suite peu connu, peu représenté, sa
valeur est infiniment supérieure à celle qui lui a
été attribuée — notamment par Stendhal qui
l’avait hâtivement qualifié de médiocre.
Le livret est tiré du Chevalier de Fairblas,
roman français de Jean-Baptiste de Coudray. Une femme sauve son
mari emprisonné par un affreux tyran séducteur —
cousin de l’ignoble Scarpia selon certains — qui a
tenté de s’emparer d’elle, sans y réussir. Le
climat d’oppression politique combiné avec une histoire
d’amour conjugal n’est pas sans rappeler Fidelio.
L’originalité de l’opéra de Rossini
réside dans un curieux mélange de cynisme et de
légèreté.
Les proportions intimes du ravissant Teatro Rossini de Pesaro
permettent de goûter de près une ouverture
caractérisée par ses vents spirituels et ses cordes
inspirées — annonçant celle de La Gazza ladra.
À noter aussi parmi les reprises, que le deuxième
thème, tout en se développant très
différemment, se retrouvera plus tard dans La Gazetta, puis dans Cenerentola.
Pendant l’exécution de cette symphonie, la basse - bouffe
Bruno Pratico, interprétant le valet Giorgio, s’active
parmi le public sous le prétexte d’allumer des torches. Sa
seule présence instaure d’emblée le climat
tragicomique recherché. Tout l’espace disponible dans le
théâtre est investi en vue du drame qui va s’y
jouer ; la fosse d’orchestre est entourée d’un
proscenium ; des éléments escamotables autorisent
entrées et sorties par divers endroits de la salle, y compris du
premier balcon. Ce dispositif ingénieux permet de
suggérer dans un lieu exigu les vastes espaces d’un
château seigneurial, situé dans une région
indéterminée du nord de l’Europe où
l’action est sensée se dérouler.
Constitué d’une imposante grille de parc derrière
laquelle on distingue un bois très épais, le décor
unique imaginé par Sergio Tramonti, crée
immédiatement l’atmosphère mystérieuse et
lourde qui convient. Les élégants costumes d’Ursula
Patzak et les belles lumières de Cesare Accetta contribuent
à la complète réussite visuelle du spectacle.
Au lever du rideau, Giorgio guette le retour de son maître, le
Duc d’Ordow (Michele Pertusi), homme sombre et colérique.
Celui-ci rentre chez lui furieux car il n’est pas parvenu
à s’emparer d’une jeune épousée,
Dorliska, dont il vient de tuer le mari, Torvaldo, afin d’avoir
le champ libre. Peu après, cette belle Dorliska convoitée
(Darina Takova) , cherchant un refuge, se jette, comme par hasard,
tremblante de peur, dans la gueule du loup. Heureusement pour elle,
Torvaldo (Francesco Meli) ayant réussi à échapper
à la mort, va tout faire pour retrouver sa femme. Lui aussi
arrive évidemment au château où celle-ci a pu se
cacher grâce à la complicité de Giorgio (Bruno
Pratico) et de sa sœur Carlotta (Jeannette Fischer).
À partir de cette trame, suivront diverses
péripéties. Dorliska sera terrorisée, Torvaldo
emprisonné, et tous seront menacés de mort par le
maître des lieux devenu fou de rage. Mais tout se terminera dans
la joie. Le cruel tyran qui se croyait tout permis sera puni par son
peuple en révolte et les gentils époux seront
réunis. Les récitatifs parlando permettent de suivre
facilement l’intrigue. Les arias avec cavatines, les duos et
trios, et surtout les grands ensembles avec chœurs qui concluent
chaque acte font de Torvaldo et Dorliska un petit bijou lyrique, riche
en qualités musicales.
Il va sans dire que pour apprécier pleinement ce charmant
ouvrage, rarement visible, il faut des interprètes rompus au
chant rossinien qui soient également d’excellents acteurs.
C’est ici le cas. Dans son rôle de valet futé, le
baryton – basse Bruno Pratico, récompensé par un
Rossini d’or en 1998, utilise sa vis comica innée sans
cabotinage excessif et parvient aussi très bien à
faire passer le côté humain du personnage.
Excellent chanteur italien, au vaste répertoire, Michele Pertusi
se montre de surcroît grand acteur de théâtre. Par
la justesse de ses regards et de ses attitudes, il campe un duc
à la fois très racé et très noir. Sa
manière sadique de caresser Dorliska de la pointe de son
épée donne le frisson. Bien que sa belle voix de basse
semble légèrement fatiguée en cette fin de
festival, Pertusi demeure excellent sur le plan de l’engagement,
du style et du phrasé. Son grand air de quasi-démence
à l’acte II (qui deviendra célèbre dans
Otello, l’année suivante) déchaîne une telle
salve d’applaudissements que le chanteur doit rester un long
moment pétrifié sous les bravos avant que la musique ne
puisse reprendre.
Très en beauté dans une robe fort seyante, Darina Takova,
malgré quelques difficultés dans les suraigus et les
coloratures, accomplit une bonne performance dans un rôle tout de
même moins périlleux pour elle que celui de Semiramide.
Bien que sa voix manque encore d’agilité,
l’élégant et sympathique ténor
génois, Francesco Meli, distribué en 2005 dans Bianca et Faliero, est un Torvaldo attachant, au timbre moelleux et plaisant.
Jeannette Fischer (Carlotta) a de la personnalité et une voix
intéressante, sinon jolie, contrastant bien avec celle de Takova
dans leur duo du premier acte. Autres duos très
réussis : le premier petit duo entre le duc et Dorliska et
le duo tendre et sensuel entre les époux à l’acte
II.
Bien que conduit un peu platement par le chef espagnol Victor Pablo
Peréz, l’orchestre Haydn di Bolzano e Trento —
débutant à Pesaro — fait jeu égal avec
l’Orchestre du Théâtre communal de Bologne,
fidèlement présent depuis 1987.
Si l’on en juge par l’accueil du public, il se peut que cette production de Torvaldo et Dorliska
ait un bel avenir. Que ceux qui n’ont pas eu la chance de la voir
se consolent, elle sortira en DVD et sera montée dans
d’autres théâtres. Pour commencer, en septembre et
octobre 2007, au San Carlo de Naples.
Brigitte Cormier
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