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ROME
03/06/2006
Gioacchino ROSSINI
Il Turco in Italia
Drame bouffe en deux actes
Livret de Felice Romani
Direction musicale – Donato RENZETTI
Mise en scène – Stefano VIZIOLI
Décors et costumes – Susanna ROSSI JOST
Lumières – Patrizio MAGGI
Fiorilla – Angeles BLANCAS GULIN
Selim – Carlo LEPORE
Narciso – Gregory KUNDE
Don Geronio – Paolo RUMETZ
Il Poeta – Mario CASSI
Zaida – Nadia PIRAZZINI
Albazar – Davide CICCHETTI
Orchestre et Chœurs du Théatre de l’opéra
Fortepiano – Maurizio Agostini
3 juin 2006 – Théâtre Costanzi, Rome
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Le Turc en la capitale d’Italie
La capitale d’Italie entretient depuis longtemps une histoire
particulière avec le Turc rossinien. Présenté au
public romain dès le 7 octobre 1815 (c’était au
Teatro Valle), l’opéra revient d’abord
régulièrement à l’affiche jusqu’en
février 1858 et … disparaît complètement
pour un siècle, comme dans le reste de l’Europe au
demeurant. Mais c’est à Rome que la renaissance
commence : dans une production restée dans les
mémoires, Maria Callas, Mariano Stabile, Cesare Valletti et
Franco Calabrese, sous la baguette de Gianandrea Gavazzeni,
électrisèrent le public du Teatro Eliseo, le soir du 19
octobre 1950. Depuis, le Turc
a repris vie et le Théâtre de l’opéra de Rome
a présenté deux productions en quarante ans, en janvier
1969 d’abord, avec une distribution étincelante (Graziella
Sciutti, Alberto Rinaldi et Paolo Montarsolo), puis plus banale, en
mars 1983 (avec notamment Simone Alaimo et Giorgio Tadeo).
Pour le dernier titre de la saison avant le transfert pour deux mois
aux Termes de Caracalla, l’opéra de Rome a choisi une
nouvelle production, confiée à Stefano Vizzioli pour la
mise en scène et Susanna Rossi Jost pour les costumes et les
décors. Habitués à travailler ensemble, ils nous
donnent une lecture originale et cohérente du « drame
bouffe » de Felice Romani, transposé dans les
années 1920. On est entre Francis Scott Fitzgerald, Pirandello
(« six personnages en quête de
bonheur » !) et Guitry (le mari, la femme,
l’amant, le troublion… et le poète) et cela
fonctionne remarquablement bien. Les décors sont beaux et le
Vésuve est toujours là, comme veillant sur la
scène. Les acteurs s’en donnent à cœur joie,
même si quelques gags auraient sans doute pu être plus
subtilement distillés.
Ouvrant le bal, le Prosdocimo de Mario Cassi donne le ton de la
soirée. Dans ce rôle ingrat, autour duquel tourne
véritablement l’action (il contemple, prend des notes mais
c’est bel et bien lui qui dicte, par son astuce, la fin morale de
l’oeuvre)… mais à qui Rossini n’a pas
donné un seul air, le jeune baryton natif d’Arezzo livre
une prestation de haut niveau. La voix n’est pas énorme
mais elle est bien timbrée et bien placée. Sa diction est
remarquable et son jeu naturel. A seulement 33 ans, on a envie de
l’entendre dans d’autres Rossini, Cenerentola par exemple
(Dandini), ou dans Leporello.
Dans le rôle de Fiorilla qu’elle fréquente
désormais assidûment, Angeles Blancas Gulin fait preuve
d’un abattage à toute épreuve, notamment dans les
deux duetti avec Selim. La coupe « à la Louise
Brooks » lui va très bien et elle joue la coquine
féministe à merveille. Vocalement aussi, la soprano
espagnole adhère au rôle, multipliant les intonations et
les nuances pertinentes, avec une facilité et une aisance
déconcertantes, notamment dans la cavatine (« Non si
dà follia maggiore »). Seules réserves, mais
de taille, ses aigus sont souvent tendus, parfois à la limite de
la justesse, et surtout la Gulin a une fâcheuse tendance à
savonner et escamoter les vocalises, d’ailleurs
accélérées, les notes martelées manquant de
précision. Un peu comme sa compatriote Maria Bayo, dans les
dernières années. L’ensemble reste très
convaincant.
Son
partenaire dans le rôle titre est Carlo Lepore, lui aussi un
habitué du rôle. La noirceur de son timbre ne
l’empêche nullement d’alléger lorsqu’il
le faut et de vocaliser fort bien. Son jeu de scène est
très bon : un excellent Selim, drôle et bien
chantant, à l’heure où les Ramey et Pertusi se font
vieillissants.
Le malheureux mari est Paolo Rumetz. Son entrée
(« Vado in traccia d’una zingara ») laisse
présager le pire. Et puis, petit à petit, malgré
des moyens limités et usés, le baryton parvient à
convaincre en Don Geronio, surtout par son implication scénique.
L’amant, Narciso, est le vétéran Gregory Kunde.
Jusqu’à son récitatif et son air (« Intesi, ah, tutto intesi…Tu seconda il mio disegno… »),
le ténor américain exploite son sens de la ligne et son
phrasé élégant. Dans le morceau de bravoure, en
revanche, ses limites actuelles deviennent gênantes, notamment
par des registres peu homogènes et des aigus tendus et
tirés.
La distribution est complétée par Nadia Pirazzini et
Davide Cicchetti, de manière tout à fait honorable.
L’orchestre de l’opéra de Rome est placé sous
la baguette de Donato Renzetti qui revendique haut et fort, dans le
programme de salle, le titre de « maestro qui a
dirigé le plus de Rossini »… avec Alberto
Zedda, et qui, au demeurant, sera récompensé par un
« Rossini d’Or », au mois
d’août prochain, à Pesaro, à l’occasion
de l’Italiana in Algeri qu’il doit diriger. L’orchestre sonne bien et Renzetti cherche manifestement à tirer le Turc
vers la dimension bouffe, en mettant en valeur les phrases ou
séquences dont Rossini s’inspirera plus tard, par exemple
dans la Cenerentola. En revanche, le chœur de l’opéra de Rome, au rôle heureusement marginal dans Il Turco in Italia, est
toujours aussi mauvais, multipliant les démarrages hasardeux,
les décalages avec l’orchestre et entre les pupitres
mêmes.
Au total, une excellente soirée pour un Rossini bouffe
injustement oublié pendant des décennies… et
encore bien méconnu à Rome. Déjà à
moitié vide pour la première, le Théâtre
Costanzi n’a pas fait le plein pour les cinq reprises
prévues… et dire que la coupe du monde n’a
même pas commencé !
Jean-Philippe THIELLAY
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