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NANCY
27/10/2007
(Acte III - Final)
© Ville de Nancy
Johann STRAUSS fils (1825-1899)
WIENER BLUT
(Sang viennois)
Opérette en trois actes, livret de Victor Leon et Leo Stein
Musique choisie et arrangée
par le compositeur et le chef d’orchestre Adolf Müller junior
créé au Carltheater de Vienne, le 26 octobre 1899.
L’Ambassadeur Comte Balduin Zedlau : Ferdinand von Bothmer
La Comtesse Gabriele Zedlau : Hedwig Fassbender
Franziska Cagliari : Nicola Beller Carbone
Josef : Wofgang Ablinger-Sperrhacke
Le Prince Premier-Ministre : Peter Edelmann
Pepi Pleininger : Henrike Jacob
Herr Kagler : Till Fechner
Le Comte Bitowski : Hélène Schwaller
Lisi : Inna Jeskova
Lori : Anja Stegmeier
Anna : Lucy Strevens
Un cocher de fiacre : Alain Blenner
Un majordome : Tadeusz Szczeblewski
Marquis de La Fassade : Pascal Dessaux
Lord Percy : Michael Kraft
Un soldat du régiment de Deutschmeister : Christophe Sagnier
Un grenadier : Xia Lun Chen
Un serviteur : Ronald Lyndaker
Un garçon de café : Xavier Szymczak
Musique de scène (accordéon, guitare, violons, contrebasse) : Groupe Tziganisky
Danseurs de la cellule d’insertion professionnelle du CCN-Ballet de Lorraine
Chœurs de l’Opéra national de Nancy et de Lorraine
chef des Chœurs : Merion Powell
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction musicale : Claude Schnitzler
Mise en scène : Jean-Claude Berutti
Chorégraphie et assistanat à la mise en scène : Darren Ross
Décors : Rudy Sabounghi, Assistant Décors : Bruno de Lavenère
Costumes : Colette Huchard, Assistant Costumes : Joachim van Norden
Lumières : Laurent Castaingt
Stagiaire à la mise en scène et surtitrage : Magdalina Wiedenhofer
Décors et Costumes réalisés dans les Ateliers
de l’Opéra national de Nancy et de Lorraine
Avec l’aimable collaboration de l’Opéra national de Lyon pour le prêt de costumes
Nancy, Opéra national de Nancy et de Lorraine
Le 27 octobre 2007
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Hors sujet ou Quand le Sang (même viennois) se fige
La richesse de Wiener Blut
Certes, Johann Strauss n’a pas lui-même composé la partition de Wiener Blut, comme il l’a fait pour ses autres opérettes mais il en a choisi les morceaux avec le chef d’orchestre Adolf Müller Junior et
donné son accord à propos de l’adaptation que
Müller en a fait pour les « coudre »
ensemble. Il faut dire que le résultat est superbe, digne de
l’esprit de Johann Strauss lui-même. Toutes les musiques de
l’opérette sont judicieusement choisies, parmi les plus
belles mélodies du compositeur, et à tel point que
l’on a toujours la plus haute qualité d’inspiration.
Un exemple, maintes fois répété dans
l’ouvrage : alors que souvent le couplet est destiné
à mettre le refrain en valeur, dans Wiener Blut,
dès le couplet nous avons une belle mélodie accrochant
l’intérêt, charmant déjà
l’auditeur, n’ayant plus qu’à se
régaler lorsque le refrain se déploie. Alternent ainsi
rythmes de polka française ou de polka rapide, de mazurka et
bien sûr de la valse qui règne sur l’œuvre,
comme toujours chez Johann Strauss. On est loin de cette
cohésion dans l’opérette-arrangement qu’est
Valse de Vienne, où l’on trouve même des morceaux du
père et de Josef Straus, sans parler de rythmes de fox-trot
datant des années de l’arrangement et fort mal venus.
D’ailleurs seuls les pays francophones représentent
toujours Valses de Vienne, oubliée là où
l’on pourrait donner sa version originale, Walzer aus Wien.
Outre la qualité des motifs choisis, la réussite de Wiener Blut
consiste dans le choix heureux de la juxtaposition de ceux-ci, comme
dans le superbe air d’entrée de la comtesse (Finale I). On
entend ainsi tout à tour, le piquant motif principal de la valse
Morgenblätter, auquel fait suite, le plus naturellement du monde, le motif principal et superbe de la valse oubliée Myrthenblüten
(op. 395). Il faut également saluer l’adéquation
entre les motifs musicaux choisis et les sentiments exprimés par
les personnages, comme ce beau Lied
du comte, sorte de retour amer sur sa vie de séducteur,
exprimé en couplet par le déjà mélancolique
motif principal de la polka française Newa-Polka, au tempo
ici légèrement étiré, et à la touche
sentimentale des violoncelles à peine plus appuyée. Le
refrain est tiré de valse Wo di Zitronen Blüh’nt
mais au lieu d’en prendre le discret thème principal, on
est allé chercher plus loin dans le morceau, un superbe motif
bien plus nostalgique et suggestif.
Tout cela s’équilibre parfaitement, comme si,
répétons-le, Johann Strauss avait conçu
lui-même l’œuvre, et du reste si Wiener Blut concurrence difficilement Die Fledermaus
(La Chauve-Souris) pour les productions-représentations,
l’ouvrage atteint et dépasse le chiffre des deux autres
opérettes populaires de Johann Strauss, Eine Nacht in Venedig (Une Nuit à Venise) et Der Zigeunerbaron (Le Baron tzigane).
(Acte II)
© Ville de Nancy
La production nancéienne
L’exécution musicale
Le choix de l’Opéra de Nancy de donner l’œuvre
en allemand est à saluer doublement. D’abord pour le
courage de tenter ce qu’aucune ville de France n’ose faire
à part Strasbourg, dont la familiarité avec la langue de
Goethe lui fait toujours monter les opérettes viennoises dans
leur langue originale. Autre exception, une ville comme Metz, pourtant
au passé germanique commun avec Strasbourg, mais non plus
aujourd’hui familiarisée avec la langue, eut le
mérite de monter récemment Le Pays du sourire en allemand, c’est-à-dire : Das land des Lächelns.
Il se trouve que l’allemand devient fluide et perd toute
âpreté sur la voluptueuse musique de Johann Strauss et si
l’on craignait les morceaux parlés, on fut vite
rassuré par l’ensemble fonctionnant à merveille,
des mimiques suggestives des chanteurs, relayées, en quelques
sorte, par les nombreux sur-titres, apparaissant avec une
simultanéité exemplaire. Ajoutons la sympathique
combinaison de quelques mots français empruntés par la
langue allemande avec des termes allemands internationalement connus,
et voici d’autres repères, comme le compliment de Josef
à son maître le comte, qu’il qualifie de
« Spezialist im Lieben » ! On n’avait
donc aucun problème à suivre l’intrigue, combinant
les quiproquos autour de trois personnages masculins et de trois
féminins.
Le comte Zedlau de Ferdinand von Bothmer
domine la distribution de son timbre clair mais généreux
et ductile à souhait. La comtesse trouve une belle
autorité vocale et scénique dans le soprano Hedwig Fassbender,
au timbre corsé et puissant, même si une tendance à
prendre les aigus par dessous ébranle leur justesse et fait
toujours craindre qu’ils vont « partir »
faux. Plus chaleureux et lyrique est le timbre de Nicola Beller Carbone, incarnant fort bien la « Balletteuse » (danseuse) Franzi Cagliari,
selon le terme francisant un peu méprisant et n’existant
pas en français ! La piquante habilleuse Pepi est
efficacement animée par Henrike Jacob,
soprano au timbre « pointu » comme il en faut
à ce rôle. Les autres personnages masculins partagent
l’excellence pour ainsi dire, puisque le bon et habile Josef du
baryton Wofgang Ablinger-Sperrhacke se révèle très
à la hauteur, tandis que le prince-premier-ministre trouvait
prestance physique et vocale dans le baryton Peter Edelmann.
On a même poussé le soin d’avoir en Herr Kagler,
père sympathique et un peu encombrant de Franzi, un
interprète maîtrisant l’accent viennois (fort
perceptible même à un public pas spécialement
germaniste) : le baryton-basse Till Fechner. Digne complément à cette valeureuse équipe, on entendait un Orchestre symphonique et lyrique de Nancy en l’occurrence très lyrique,
comme il se doit pour cette musique qui ne demande qu’à
couler toute seule… Hélas, la petite réserve vient
du chef Claude Schnitzler qui étire les tempi,
les alanguit, empêche avec attention l’expression musicale
de s’envoler, freine constamment son orchestre… pour
« foncer » brutalement à vous couper le
souffle… là où il ne faut pas, bien sûr,
comme dans le superbe couronnement du Finale II, utilisant un motif
magnifique de An Der Schönen Blauen Donau.
Cette musique envoûtante ne demande qu’à
s’épancher, à s’exprimer, se déployer
avec brillant et chaleur : il ne faut pas la brimer,
l’emprisonner, et les nombreux enregistrements de
l’opérette dirigés par des chefs à
l’esprit viennois nous le font bien comprendre. Pourquoi
également ces petits « traficotages »,
comme supprimer le premier couplet du lied du comte
réfléchissant à sa vie de séducteur :
il chante d’emblée le motif de la valse Wo di Zitronen Blüh’nt. Cela fait bizarre… alors que la Newa-Polka
prépare si bien l’apparition du motif du refrain. Pourquoi
aussi enlever dans le bref mais efficace prélude, après
la percutante polka d’entrée, le superbe motif principal
de la grande valse Geschichten aus dem Wienerwald (Légendes de la forêt viennoise) ? On a alors la surprise d’entendre à la place, la valse Wiener Blut donnant
son titre à l’opérette, et c’est dommage.
Cela fait rater un bel effet de surprise car l’on ne devrait
entendre cette magnifique valse du Sang viennois qu’au
deuxième acte, lors d’une importante confrontation entre
le comte et son épouse, au détour d‘un duo
débutant par une polka insouciante (Gut bürgerlich).
Le rythme se ralentit ensuite, la musique se fait plus insinuante quand
le texte énonce enfin ce qui motive les agissements des
personnages… (le fameux sang viennois !). C’est alors que
s’élève doucement, enjôleur à
l’extrême, ce thème magnifique, chanté
précisément sur les paroles « Wiener Blut, /
Wiener Blut ! / Eig'ner Saft, / Voller Kraft, / Voller Glut, (Sang
viennois ! / Sève particulière, / Pleine de force, /
Pleine de chaleur ardente…) ».
L’exécution nancéienne permettait en revanche de
découvrir au troisième acte, un duo des deux rivales
régulièrement coupé dans les intégrales
prétendues.
(Acte II - "quiproquo")
© Ville de Nancy
La mise en scène
Rien ne va plus au niveau de la mise en scène. L’intrigue
originale se déroule au temps du fameux congrès de
Vienne, en 1815. La dernière production de Wiener Blut à
l’Opéra de Nancy, dans les années 1980 et en
français, transférait l’action à
l’époque de Johann Strauss et des crinolines de Sissi
impératrice. La production actuelle nous reporte vers la fin de
la Seconde Guerre mondiale, dans une Vienne occupée par une
foule disparate d’Allemands, de Français, d’Anglais
et de Russes. Certes, il fallait dépasser, et non sans une
émotion qui comprenait, le malaise des malheureux spectateurs
ayant vu pour de bon les croix gammées, car elles sont
présentées ici comme quelque chose de néfaste
à abattre. Il n’en reste pas moins l’erreur
d’essayer de faire passer un message moralisateur au moyen
d’une mince intrigue de quiproquos d’opérette
– c’est le cas de le dire - et l’erreur encore plus
grave, de tenter d’habiller ce message avec la musique viennoise
si typique de Johann Strauss. Autrement dit, l’amertume, le
trouble, la souffrance même, et le sordide servaient de cadre
à une musique, certes parfois sentimentale, voire
mélancolique, mais chaleureuse et brillante, pleine d’une
étourdissante joie de vivre.
L’assassinat final (!) des six personnages principaux, quel que
soit sa justification dans la relecture du livret, est impardonnable en
ce qu’il fait chanter aux victimes, à terre ! la
grande valse finale « Wiener Blut ! », face
à un public atterré (lui-aussi) et qui se dit :
« Quoi ?! mais c’est le Finale ! ils vont se
relever, et jouer le jeu ??!!! ». Eh non, ils ne se
relèvent pas ; et peu importe qu’un personnage
signale ensuite que tout doit bien finir dans une opérette
viennoise, et que tous chantent à nouveau : car au lieu de
choisir comme Finale l’idéal motif principal de la valse Sang viennois, on reprend la conclusion de la valse Wein, Weib und Gesang, certes animée mais loin de l’impact envoûtant de Wiener Blut !
Quand on pense que cette impressionnante reprise finale,
entonnée par tous les interprètes et les choeurs, est si
bien introduite par l’ultime réplique parlée !
Le comte Zedlau tente en effet de donner la faute de leurs têtes
qui tournent au « Champagner Wein », mais le premier
ministre riposte : « Oh ! non !…
C’est le sang viennois ! ! ! ».
(Acte III - Début)
© Ville de Nancy
Quelle
erreur de ne pas jouer le jeu d’une musique si brillante à
laquelle on rogne les ailes. Le regret est d‘autant plus mordant
que le résultat est positif par la langue originale, la valeur
des chanteurs-acteurs auxquels on confie des gestes efficaces et allant
bien avec l’histoire… Ne seraient-ce quelques
vulgarités complètement inutiles mais
« modernes ». Ces personnages
d’opérettes, minces et fragiles doivent au moins avoir le
prestige de leur rang dans les conventions du genre, on doit
« y croire ». Le comte est un grand
séducteur mais également un grand seigneur. Quel besoin
dans ce cas, alors qu’il retrouve sa maîtresse, de le faire
entrer dans une pièce à la suite de cette
dernière, puis ressortir, la chemise au vent,
débraillé dans une attitude suggestive
complètement inutile et qui fait mourir sur nos lèvres,
le sourire d’émotion de retrouver une si belle
musique ? Qu’apporte ce trait de bestialité
satisfaite de Monseur le Comte ? Touche de sordide moderne
attristant et corrodant tout spectacle d’aujourd’hui.
Le livret d’une opérette peut être parodique ou
ironique mais il est bien souvent, et surtout dans une opérette
viennoise, un prétexte à faire entendre la musique. Si la
mise en scène ne joue pas le jeu, la musique ne s’envole
plus, son charme est brimé. C’est dommage pour le
Directeur de l’Opéra de Nancy qui a osé (et
réussi) la version originale comme aucun théâtre de
France, répétons-le, excepté de rares productions
ou visites parisiennes et l’opérette des fêtes dans
une Strasbourg familiarisée avec la langue de Goethe.
Alors Monsieur Spielmann, si vous recherchez d’autres titres
parés du faste viennois, soyez servi, avec, par
exemple : Der Bettelstudent de Carl Millöcker, Boccaccio de Franz von Suppé, Der Vogelhändler
de Carl Zeller, les opérettes à la musique si
enlevée de Carl Michael Ziehrer… Sans oublier le
même grand Johann Strauss : Cagliostro in Wien avec sa valse si envoûtante et pratiquement inconnue, ou Das Spizentuch der Königin parfumée de la superbe valse Rosen aus dem Süden…
Yonel BULDRINI
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