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Giuseppe Verdi (1813-1901)

AÏDA


Opéra en 4 actes
livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après un scénario d’Auguste Mariette

Aïda : Violeta Urmana
Amnéris : Ildiko Komlosi
Radamès : Roberto Alagna
Amonasro : Carlo Guelfi
Ramfis : Giorgio Giuseppini
Le Roi : Marco Spotti
Un messager : Antonello Ceron
Une prêtresse : Sae Kyung Rim

Ballet : Luciana Savignano, Roberto Bolle et Myrna Kamara,
et les élèves de l’Academia Teatro alla Scala

Milan, Teatro alla Sala

Orchestre, chœurs et ballet de la Scala
Direction : Riccardo Chailly

Décors et mise en scène : Franco Zeffirelli
Costumes : Maurizio Millenotti

Représentation enregistrée en public à la Scala de Milan
le 7 décembre 2006
sous la direction de Patrizia Carmine, pour la RAI
Menu en anglais, sous-titres en six langues

Edité par Decca
PAL-Secam 16:9 toutes zones
Durée : 158’




Aïda chez les flous


Nous sommes le 7 décembre, fête de Saint Ambroise, le saint patron de Milan, et traditionnel jour de l’ouverture de la saison à la Scala, soirée dénommée la Prima. En cet an de grâce 2006 avait été choisi pour cette grande messe l’opéra Aïda, qui n’avait pas été représenté à la Scala depuis 20 ans (depuis 40 ans à l’Opéra de Paris !). C’est donc l’événement « pipeul » où il faut être vu, et même les hommes (et femmes) politiques ne s’y sont pas trompés.

Zeffirelli, à 83 ans, est lui aussi de retour à la Scala où il a mis en scène sa première Aïda voici 43 ans. L’œuvre est restée l’un de ses opéras fétiches ; il en explore tous les méandres, non au travers de réadaptations au goût du jour, mais dans des approches classiques, et sur des espaces scéniques extrêmement divers. Parmi les plus récentes, à Bussetto en 2001 (édité en DVD avec en bonus un interview de Zeffirelli fort intéressant), sur une toute petite scène proche des dimensions de celle de la création à l’Opéra du Caire. Puis aux arènes de Vérone de 2002 à 2006, sur l’une des plus grandes scènes existantes. Enfin à la Scala fin 2006, dans un cadre plus traditionnel, mais qui permet de réutiliser les accessoires de Vérone (il n’y a pas de petites économies, et le « lit hathorique » de Toutankhamon est de retour avec son paravent à papyrus). Ces deux dernières productions sont très proches, à l’exception des costumes, plus classiques dans la production de la Scala, et se veulent profondément « italiennes », en opposition avec toutes les transpositions que l’on a pu voir ces dernières années. Le décor est fait en grande partie, comme à Vérone, de barres métalliques horizontales : ça brille, ça fait riche et kitch, ça brouille aussi un peu la vue, surtout sur le petit écran. Mais côté mal aux yeux, on aura mieux tout à l’heure.

Violetta Urmana est Aïda. Enfin, l’est-elle vraiment ? La voix somptueuse de cette grande cantatrice, qui chante sur les plus grandes scènes notamment tous les grands rôles verdiens, n’est pas en cause : elle se joue de toutes les difficultés, et triomphe là où ses rivales trébuchent. Mais, outre un physique d’Azucena, elle nous offre une interprétation monolithique, restant en permanence dans le registre du tragique et de la douleur. Femme soumise aux événements et aux personnes, elle semble n’avoir aucun libre arbitre, elle subit, elle est le jouet d’événements qui s’acharnent sur elle. A cent lieux de l’Aïda de Nina Stemme à Zurich, qui jouait une femme maîtresse de son destin, elle nous gratifie d’une interprétation monolithique parfois émouvante mais qui, sans être vraiment ennuyeuse, n’est quand même guère excitante.

Ildiko Komlosi, cantatrice hongroise, est une flamboyante Amnéris, à la voix chaude et au jeu scénique assuré. Premier prix du concours Pavarotti en 1986, elle a abordé Amnéris à la fin des années 1980, mais a certainement plus souvent chanté Le Château de Barbe Bleue, Ariane à Naxos, Le Chevalier à la Rose, Carmen et Werther, que l’héroïne des bords du Nil. Ses dons scéniques lui ont permis de triompher dans l’Amnéris complexe de Bob Wilson, à Bruxelles (captée sur DVD) puis à Covent Garden. Participer à la Prima 2006 de la Scala et à son édition sur DVD est une consécration méritée. Car si le jeu un peu trop minaudant des deux premiers actes de l’opéra s’accorde plutôt bien à sa caractérisation vocale, elle atteint au 4e acte à une sobriété exemplaire : une telle évolution psychologique du personnage est suffisamment rare pour être soulignée.

Roberto Alagna essaie de nouveau d’être Radamès. Que dire de plus que lors de ses prestations à Orange ? Sinon qu’il ne démérite pas vraiment à côté des trois autres vedettes. Mais Radamès ne paraît pas fait pour lui, ou lui n’est pas fait pour Radamès, ce qui revient au même : comme toujours, il y a bien sûr des moments sublimes vocalement, mais toutes ses capacités semblent être tournées vers le chant, au point que le personnage n’existe pas un seul instant (ah, ce bras et cette main gauches omniprésents et répétitifs auxquels il demande de tout exprimer, alors que le bras droit reste quasi paralysé, sauf pour le lever avec l’autre). Le duo du Nil avec Aïda est à cet égard un modèle du genre : on dirait deux étrangers, la confrontation amoureuse n’a pas lieu, de fait ils ne se regardent pour ainsi dire jamais. Tout cela n’a rien à voir avec des problèmes de santé, car ce n’est pas nouveau : la voix est souvent belle, mais elle est technique, elle vient des cordes vocales, elle ne vient ni des tripes, ni du cœur, ni du cerveau, encore moins de l’âme. Cette absence totale d’intériorité, cette sorte de vide intellectuel sont accompagnés de problèmes que l’on déplore : justesse parfois approximative, style défaillant – ou plutôt absence de style –, technique incertaine (quelques notes dangereusement ouvertes), ralentis inacceptables… Et puis l’acteur est médiocre (je me plante là et je chante), bref il manque à monsieur Alagna un coach (un personnage, ça se construit, sinon c’est du théâtre amateur), et un bon chef de chant qui lui redonne confiance dans ce rôle et lui rappelle les ficelles belcantistes qui lui sont attachées, susceptibles de faire vibrer les foules. Ici, pas de clameurs de joie du public, au contraire même un « hou » conservé par Decca au salut final, et auquel la vedette répond avec décontraction. A côté de tout cela, on note que le chanteur termine – et fort bien – l’air de Radamès sur la phrase finale grave, rarement donnée au point qu’elle a disparu de plusieurs éditions actuelles de la partition.

Nous avons donc, globalement, trois grands chanteurs auxquels s’ajoute Carlo Guelfi en Amonasro, vieux routier à travers le monde de ce type de rôle verdien ; les autres protagonistes sont d’un excellent niveau vocal, hormis – comme souvent – un messager médiocre et une grande prêtresse qui chante faux. Mais il ne se dégage de tout cela aucun véritable enthousiasme. Le chef n’est lui non plus pas en cause, car sa direction est tout à fait excellente, avec des tempi bien pensés ; il nous gratifie même à la fin du 3e acte, de finesses musicales avec notamment des silences intéressants du point de vue dramatique.

Enfin, les danseurs méritent aussi, pour une fois, d’être cités, et ceci à des titres différents. Luciana Savignano, danseuse étoile de la Scala depuis 1975, fait-elle ce qu’on lui dit de faire ou fait-elle ce qu’elle a envie de faire ? Toujours est-il qu’elle est en décalage constant, sinon en contradiction avec l’action. Toujours le fameux antinomisme opéra/danse… Mais peut-être, émaciée, décharnée même, représente-t-elle la mort qui plane ? Roberto Bolle, danseur étoile de la Scala, est lui le playboy italien de service tout auréolé de son action humanitaire dans le cadre de l’UNICEF. Il intervient ici dans des ballets africains tribaux plutôt ridicules ; mais peu importe ce qu’il danse et pourquoi : espèce de Tarzan super musclé, en string à coquille et huilé façon Folies Bergères, il plaît visiblement autant aux dames qu’aux messieurs, car pour une fois ce ballet indigent n’est pas sifflé ! Quant à l’Américaine Myrna Kamara, elle s’est fait une curieuse spécialité de ce ballet qu’elle danse chaque année aux Arènes de Vérone depuis 1994, sans visiblement trop comprendre ce qui se passe…

Alors, avec tous ces ingrédients qui sont loin d’être de mauvaise qualité, pourquoi la mayonnaise ne prend-elle pas ? Il y a à mon sens trois raisons. Tout d’abord, le classicisme des décors est « limite ringard », et l’on n’est plus habitué à une imagerie antiquisante saint-sulpicienne, guimauve et sucre d’orge, qui passait peut-être encore à Vérone avec la distance, peut-être aussi sur place à la Scala, mais pas sur le petit écran. Ensuite, la mise en scène est d’une autre époque ; ça commence mal dès le début, avec le duo Ramfis-Radamès qui se déroule au milieu de figurants coiffés du némès, la coiffe pharaonique, et qui ont l’air de se demander ce qu’ils font là, à côté de gardes bleus (hommage à Klein ?) ; et, pour un ou deux moments d’exception (le ballet des esclaves nubiens dans les appartements d’Amnéris dansé par des enfants, drôle et enlevé, excellent retour à la tradition, et la scène de la trahison de Radamès), le reste, trop statique, paraît sans intérêt. Enfin et surtout, la qualité de la captation est d’une médiocrité affligeante. Ça commence mal dès le prélude, joué sur des reflets d’eau et effets de flou brouillant les images et rendant la distribution à la limite du lisible (mal aux yeux garanti). Les effets d’eau miroitante (le Nil ?), de flous « artistiques » (???), de fondus enchaînés et d’images « flash » se poursuivent tout au long de l’opéra, aux passages d’une scène à l’autre, et sont vraiment insupportables (mal à la tête garantie), avec en plus, pour faire bonne mesure, des cadrages approximatifs : on peut quand même faire actuel sans faire n’importe quoi ! Mais, grâce aux dieux égyptiens, les choses s’arrangent dans le second DVD, car les 3e et 4e actes sont si peu éclairés qu’on n’y voit quasiment rien : c’est d’un reposant !

Le livret qui accompagne les deux DVD (deux actes par DVD), est totalement creux (le nom de Mariette n’est même pas cité, alors qu’il apparaît maintenant systématiquement à travers le monde comme auteur de l’argument). Y est reproduit une espèce de compte rendu de la soirée dont on appréciera l’originalité (« On ne peut pas s’approcher à cause des cordons de policiers »), avec une connotation totalement laudative (« La Scala y a consacré un budget qui suffirait à bien d’autres théâtres pour une saison entière », et « C’est le genre d’événement qui ne pouvait se produire qu’à la Scala »), dans une traduction très approximative, allant du charabia (« Les grands tableaux étaient impeccablement organisés, et les échanges intimes exécutés dans le style italien à larges touches ») aux faux sens (« Le spectacle de Zeffirelli n’était guère que le reflet de l’argent assis dans les loges », et « Même les ballets semblaient bien en place »). C’est peut-être le livret le plus nul qu’il m’ait été donné de lire ! Et en plus il est en trois langues d’une égale qualité !

Enfin, aujourd’hui, on n’est plus guère habitué aux DVD sans des documents complémentaires. Ici, pas le moindre bonus, rien… Et pourtant, un chouette bonus que l’on a tous vu sur Internet et à la télévision était tout trouvé, je vous le laisse deviner…
Donc, en résumé, un DVD non indispensable, sauf bien sûr pour les aficionados de telle ou telle vedette tête d’affiche.


Jean-Marcel HUMBERT



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