Jacques OFFENBACH (1819-1880)
Les Fées
du Rhin
(Die Rheinnixen)
Opéra romantique en
quatre actes
Livret de Charles Nuitter
et Jacques Offenbach
Version allemande d'Alfred von
Wolzogen
Armgard : Regina Schörg,
soprano
Hedwig : Nora Gubisch, mezzo-soprano
Franz : Piotr Beczala, ténor
Conrad : Dalibor Jenis, baryton
Gottfried : Peter Klaveness,
baryton-basse
Un militaire, un paysan :
Uwe Pepper, ténor
La fée : Gaëlle
Le Roi, soprano
Orchestre National de Montpellier
Choeur de la Radio Lettone
Chef de Choeur Sigvards Klava
Enregistrement réalisé
à l'Opéra Berlioz (Le Corum)
le 30 juillet 2002 dans le cadre
du Festival de Radio France et Montpellier
Direction artistique : René
Koering
Un coffret de trois CD Accord
472 920 2
Premier enregistrement mondial
Vous avez dit chef-d'oeuvre ?
Disons-le d'emblée, cet enregistrement constitue un événement
considérable à plus d'un titre. En premier lieu, parce qu'il
révèle un visage tout à fait inattendu du compositeur.
Pour combien de mélomanes en effet, Les Contes d'Hoffmann
demeurent la seule incursion réussie d'Offenbach dans le domaine
du grand opéra, au terme d'une carrière d' "auteur prolifique
d'opérettes bien troussées" ? Pourtant, comme le précise
Jean-Christophe Keck, directeur de l'OEK, dans l'interview
qu'il nous a accordée : "Depuis sa prime jeunesse, il avait
toujours fréquenté le répertoire "sérieux"
[...] Mais le public, lui, demandait de l'Offenbach comique et celui-ci
lui a donné ce qu'il attendait." Voilà qui explique sans
doute en partie pourquoi la création française des Fées
du Rhin n'a jamais eu lieu, le compositeur ayant choisi de donner la priorité
aux nombreuses commandes qui affluaient à la suite du triomphe de
La
Belle Hélène, créée à Paris quelques
mois après la première viennoise des Fées.
En second lieu, comme ont pu le constater les spectateurs du concert
triomphal donné à Montpellier le 30 juillet 2002, il
s'agit d'un véritable chef-d'oeuvre ! Près de trois heures
et demie d'une musique absolument somptueuse, d'une formidable puissance
dramatique,qui ne génère aucun moment d'ennui et témoigne
de l'immense talent d'orchestrateur d'Offenbach autant que de la variété
de son inspiration. La surprise est d'autant plus inattendue que pendant
plus d'un siècle on a considéré cet ouvrage comme
une tentative ratée de grand opéra, dont le compositeur s'était
résigné à réutiliser les meilleures pages dans
ses Contes d'Hoffmann. En fait, malgré les nombreux problèmes
qui ont perturbé sa création à Vienne en 1864 dans
une version réduite à trois actes, le succès public
fut incontestable et l'acharnement de la critique locale s'explique par
des motifs bien plus politiques qu'artistiques.
Jean-Christophe Keck qui, avec beaucoup de patience et de ténacité,
a reconstitué l'oeuvre dans son intégralité à
partir d'éléments disséminés dans le monde
entier, la qualifie à juste titre d' "opéra européen"
dans la notice qui accompagne le livret. En effet, Paris n'a cessé
d'attirer tout au long du dix-neuvième siècle, les plus grands
compositeurs étrangers qui lui ont offert d'authentiques chefs-d'oeuvre,
quand ils ne s'y sont pas installés durablement. Arrivé dans
la capitale dès l'âge de 14 ans, Offenbach s'est nourri de
ces influences diverses qui irriguent avec bonheur la partition des Fées
du Rhin : ainsi les paysans qui célèbrent les moissons au
début de l'opéra semblent les lointains cousins des Magnanarelles
de Gounod (Mireille) et la prière de Gottfried qui leur succède
doit beaucoup à la romance de Wolfram. A la fin du premier acte,
dans les choeurs des soldats triomphants, on perçoit les échos
entremêlés des marins du Vaisseau fantôme et
des conjurés des Vêpres siciliennes. Le grand trio
du deux, par ses proportions et les voix employées (ténor,
baryton, basse), est un hommage appuyé à celui de Guillaume
Tell qu'Offenbach va par ailleurs si délicieusement pasticher
dans La Belle Hélène. Toujours au deux, le superbe
ballet, sur un rythme de valse lancinant, n'a rien à envier aux
pages les plus brillantes de Johann Strauss. On pourrait multiplier à
l'envi références et réminiscences, cependant le résultat
constitue un oeuvre sans équivalent qui porte la marque de son auteur
et où alternent airs, duos, ensembles d'une grande richesse mélodique
jusqu'au final grandiose qui la conclut avec panache.
Le livret s'inscrit également dans la tradition du grand opéra
romantique : amours contrariées sur fond de guerres fratricides,
exaltation du sentiment patriotique en sont les principaux ressorts dans
un climat fantastique sous-jacent concrétisé par ces elfes
qui entraîneront les soldats à leur perte. Pourtant, ce qui
le distingue des autres livrets de l'époque et en fait toute l'originalité,
c'est que les femmes ne sont ni victimes sacrifiées, ni incarnations
maléfiques. Elles mènent au contraire l'action et triomphent
dans un dénouement pour une fois heureux qui glorifie la paix et
l'amour.
La distribution réunit pour les principaux protagonistes un quatuor
vocal d'une parfaite homogénéité auquel il convient
d'associer l'excellent Peter Klaveness, impeccable de sobriété
et de pudeur dans le rôle quelque peu sacrifié de Gottfried.
Piotr Beczala prête son joli timbre de ténor lyrique à
Franz, le soldat amnésique, et séduit dès son premier
air, "Überall Stille", aux affects contrastés, interprété
avec délicatesse et un raffinement qui se retrouve dans ses deux
romances des actes suivants, tout aussi splendides.
Dalibor Jenis qui a prouvé depuis qu'il était un interprète
avec qui il faut compter, est un Conrad parfaitement crédible. La
voix, superbe d'autorité, capte l'attention dès son Trinklied
du premier acte -le futur air d'Hoffmann à Venise. L'évolution
de son personnage est subtilement suggérée : le soudard insouciant,
viveur et brutal, du début prend peu à peu conscience de
ses fautes et implore au final le pardon de celle qu'il a si cruellement
trompée en même temps que se développe en lui une fibre
paternelle sincère.
Saluons l'Armgard touchante et déterminée de Regina Schörg
dont les moyens se plient aux difficultés d'un rôle qui exige
autant d'endurance qu'une technique solide. Il s'ouvre sur une page redoutable,
"Dort, wo hundertjähr'ge Eichen", ballade aux vocalises périlleuses
qui la conduit aux confins de ses possibilités sans que son timbre
lumineux en soit altéré et se poursuit avec l'un des leitmotiv
de la partition, "O könnt' ich's Allen sagen", vaste chant patriotique
avec choeurs, empreint de nostalgie rêveuse et phrasé d'une
voix sûre dont le volume parvient à couvrir choeurs et orchestre
tout au long de l'imposant final du premier acte.
Non moins complexe est la partie dévolue à Hedwig, campée
avec brio par une Nora Gubish hallucinée qui enchaîne avec
un art du chant et du théâtre confondants les violentes imprécations
de son air d'entrée "O Zeit voller Grauen" et la plaintive complainte
"Leb' wohl, o theure Tochter" au début du deux, distillée
avec une émotion contenue, tout en demi-teintes savamment dosées.
Uwe Pepper et Gaële Le Roi, enfin, complètent dignement
ce beau plateau.
Les choeurs magnifiques de la Radio Lettone et un Orchestre National
de Montpellier en état de grâce sont conduits de main de maître
par Friedemann Layer qui leur communique avec fougue la passion que lui
inspire visiblement cette partition.
En attendant qu'un directeur de théâtre avisé se
décide à monter l'ouvrage, voici un coffret à acquérir
de toute urgence !
Christian Peter
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