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Georg Friedrich Haendel (1685-1759)

SAUL

Oratorio en trois actes HWV 53

Saul : Gidon Saks, baryton-basse
Jonathan : Jeremy Ovenden, ténor
David : Lawrence Zazzo, contre-ténor
Merab : Emma Bell, soprano
Michal : Rosemary Joshua, soprano
High Priest, Witch of Endor : Michael Slattery, ténor
Amalekite, Abner : Finnur Bjarnason, ténor
Doeg, Samuel : Henry Waddington, baryton

RIAS-Kammerchor
Concerto Köln
René Jacobs, clavecin et direction

Enregistré en novembre 2004
Harmonia Mundi - 2 CD HM 801877.78



 
"Haendel [...] desired me to give his tres humble respects, & that you must come up in January for he opens with the Loves of Saul and Jonathan [...]"
(lettre de Lady Knatchbull à son frère James Harris,
tous deux amis du compositeur ; je souligne).


La nature de ces "amours" n'est pas précisée et les interprétations ne manquent évidemment pas. Il ne s'agit pas seulement d'amour filial ou paternel, David complétant ce triangle fatal, cette tragédie d'hommes. Mais quelle est donc cette amitié plus précieuse aux yeux de David que l'amour des femmes ? Saül est-il, comme son fils, épris du beau guerrier ? C'est l'analyse d'André Gide , par exemple, pour qui le roi veut détruire l'objet d'un amour impossible, à l'instar du Claggart de Melville (Billy Budd). Une chose au moins semble sûre : aux yeux mêmes de Haendel, la soif de pouvoir et l'ubris, cette démesure qui fascine tant René Jacobs, ne sont pas les seules clés de l'histoire. Si depuis sa création, certaines résonances politiques et religieuses se sont estompées, les profonds ressorts psychologiques de Saul nous parlent encore et nourrissent son formidable potentiel dramatique.

C'est tout le mérite de René Jacobs que de réussir justement là où tous, avant lui, ont échoué : restituer cette violence, cette folie, cette noirceur qui évoquent les pages les plus puissantes, les plus désespérées de Theodora, Hercules ou Tamerlano. Quitte parfois à forcer le trait, à générer des tensions superflues : en précipitant le premier air de David ("Oh King ! Your favours with delight", pourtant noté larghetto) ou en nous arrachant brusquement aux charmes de la vertu (Acte II, scène 5 : "Is there a man, who all his ways...", enchaîné trop rapidement avec la symphonie), comme si l'horreur du drame ne tolérait aucune respiration, aucune plage de sérénité, comme si l'ouvrage ne se refermait pas sur une lueur d'espoir (l'accession de David au trône). Mais ce sont là des réserves minimes, tant l'oratorio retrouve un impact inouï et salutaire.
Un Concerto Köln musclé, félin et incisif et un trio de solistes qui n'ont pas froid aux yeux - Gidon Saks, Lawrence Zazzo et Emma Bell - concrétisent la vision du chef.
Nous n'assistons pas à la transformation de Saül : le roi est d'emblée brutal, inquiétant, le mal se devine dès les premières notes, la démence est latente. Mais y a-t-il place pour le doute ? Ce n'est pas lui, aveuglé par sa chimère, qui hésite entre des sentiments contraires, mais Jonathan. Incarnation très physique, animale même de Gidon Saks, saisissant en monstre d'orgueil, "extrême dans l'amour comme dans la haine" (Merab), colossal jusque dans le désespoir ("O holy Prophet ! Refuse me not thy aid in this distress").
Merab (Emma Bell) est bien, apparemment, la fille de son père, intraitable, mais cette beauté farouche finit par se laisser troubler et s'adoucit même ("Mean as he was, he is my brother now") tandis que le deuil lui arrache des accents blessés où affleure le souvenir d'une Jennifer Smith.
Le David de Lawrence Zazzo n'a pas la candeur, adolescente et désarmante, de James Bowman (à son zénith chez Mackerras), dont les aigus magiques illuminaient le choeur (admirable "O fatal day", à ce jour inégalé), il n'a sans doute pas la délicatesse de Paul Esswood (avec Ledger) ni surtout l'aisance d'Andreas Scholl, l'émission est parfois même très tendue ("Such haughty beauties"), mais alors que ce dernier fait trop souvent l'Ange (MacCreesh lissant le moindre relief), le contre-ténor américain, autrement viril, nargue fièrement la mort ("At persecution I can laugh"). Ce n'est pas le frêle jouvenceau de Donatello qui peste sur les Amalécites ("Impious wretch, of race accurst !"), mais le roi d'Israël qui prononce sa première sentence : "Fall on him, smite him, let him die !" Et le régicide de s'effondrer sous le glaive d'un soldat. Chez Haendel, le vainqueur de Goliath ne fait pas tapisserie, qu'on se le dise...
En retrait, Jeremy Ovenden peine à exprimer le déchirement de Jonathan, mais convainc dans la tendresse : à l'écouter fondre devant David ("Birth and fortune"), on voudrait l'entendre s'enflammer pour les charmes de son compagnon dans cet air finalement supprimé par Haendel mais qui apparaît dans le manuscrit autographe. Il souffre néanmoins de l'inévitable comparaison avec Anthony Rolfe-Johnson et Mark Padmore, bien plus impliqués et vocalement attrayants. 
A défaut de pouvoir rivaliser avec les moyens somptueux de Sheila Armstrong (Mackerras), Rosemary Joshua déploie des trésors de musicalité et de finesse. En revanche, les interventions d'un RIAS-Kammerchor moins souple et lisible que le Monteverdi Choir (Gardiner), sont assez inégales.
Parmi les figures secondaires, si l'ombre de Samuel n'impressionne guère, Finnur Bjarnason sait donner du relief au régicide Amalécite. Mais la découverte de cet enregistrement a le timbre personnel, l'ardeur frémissante d'un tout jeune diplômé de la Julliard School : Michael Slattery. Plus pertinent en Grand Prêtre qu'en Sorcière d'Endor - son air, bref, mais spectaculaire requiert une autre maîtrise (la composition de Paul Agnew chez MacCreesh reste insurpassée) - ce ténor (et peintre www.michaelslattery.com/ ) promet beaucoup - il sera bientôt le nouvel Orfeo d'Emmanuelle Haïm (du 5 au 13 novembre à l'Opéra de Lille). 
Sans nul doute perfectible, cette lecture s'impose néanmoins par sa justesse, son éclat et sa vigueur expressive.
  


Bernard SCHREUDERS


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