Contralto,
chanteuse d’opéras ou artiste ? A l’occasion de l’entretien accordé à Forum
Opéra, Nathalie Stuzmann apporte la réponse : les trois sans doute mais
musicienne avant tout.
Nathalie Stutzmann, contralto
Fille de
soprano et de baryton, votre voie semblait toute tracée. Votre voix aussi ?
J’ai été
effectivement bercée dans le monde de l’opéra : l’ambiance du théâtre, le rideau
rouge, l’odeur des loges, voir mes parents sur scène depuis la coulisse… Et en
moi, très jeune, une envie impérieuse de chanter. Ma mère, bien que soprano
lyrique, avait un grave assez fourni ; mon père était plus baryton basse que
baryton. Cela explique peut-être d’une manière génétique cette tessiture de
contralto qui est la mienne.
Qui dit
contralto, pense Marietta Alboni, Pauline Viardot et, plus près de nous,
Kathleen Ferrier. Si la filiation avec cette dernière semble évidente, votre
parcours ne croise pas souvent celui des deux autres ; pourquoi ?
C’est
physiologique. Il existe différentes catégories de contralto ; Marietta Alboni
ou Pauline Viardot sont vraiment des contraltos d’opéra ; ce que je ne suis
pas. Il n’est pas question de puissance ou de couleur. Elles ont, comme moi,
une voix avec une belle assise ronde mais elles montent plus haut et possèdent
une plus grande clarté dans le registre aigu. On ne choisit pas.
Dans
l’entretien (http://www.forumopera.com/actu/stutzmann.htm)
que vous avez accordé à Bernard
Schreuders en décembre 2004, vous dites :
« Notre époque aime la vocalisation, la pyrotechnie
ce qui est à l’opposé de
l’intériorité ». Des chanteuses –
Maria Callas pour n’en citer qu’une seule –
n’ont-elles pas démontré le contraire ?
J’ai sans
doute mal traduit ma pensée. Il est évidemment possible d’exprimer des
sentiments à travers la pyrotechnie et de les partager avec le public mais, dans
ce cas, il s’agira rarement d’intériorité ou de recueillement. Je ressens, moi
aussi évidemment, de la jubilation quand j’écoute des vocalises magistralement
exécutées. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas de la même émotion.
Elle est beaucoup plus physique, plus instinctive, viscérale même. Ainsi, je me
souviens d’avoir écouté au moins cinquante fois la Zerbinette d’Edita Gruberova
dans son enregistrement Philips parce que, quand elle arrive sur le contre fa,
je meurs de bonheur.
Notre époque
est un peu moins avare que la moyenne en contraltos ; Ecoutez-vous vos consoeurs
et si oui, quelle oreille leur portez-vous ?
Il est
effectivement toujours intéressant d’écouter les autres. Je vais à des concerts
chaque fois que mon emploi du temps le permet. En ce qui concerne les
contraltos, j’ai aussi chanté avec certaines d’entre elles, Sara Mingardo par
exemple. Elles ont toutes des voix très différentes de la mienne et sont même
très différentes entre elles. En fait, nous sommes complémentaires. Mon
interprétation cependant n’est pas influencée par la leur même quand nous
partageons un même rôle car je sais toujours ce que je veux faire et je me
cantonne à ma propre vision. Il faut se méfier, l’imitation peut s’avérer
dangereuse, pour la voix comme pour l’artiste. Des musiciens en revanche, plus
que des chanteurs, peuvent m’amener à changer mon regard sur une partition ou à
prendre d’autres risques ; cela m’est d’ailleurs déjà arrivé.
Nathalie Stutzmann,
chanteuse d’opéras
Vous dites
vouloir consacrer plus de temps à la scène. Quels sont les rôles du grand
répertoire que vous souhaiteriez aborder ?
Malheureusement,
peu de rôles dans le répertoire romantique correspondent
à ma voix, mise à part Erda que j’ai chanté
en concert. Ulrica pose le même problème que Dalila. La
partition au début est celle d’un alto puis elle
évolue ensuite vers le mezzo-soprano. Pourtant, j’adore
chanter les airs de Dalila ; j’ai d’ailleurs
gagné le concours Bertelsmann en les interprétant et
dès que je le peux, je les mets au programme de mes
récitals. « Printemps qui commence » ou
« Mon cœur s’ouvre à ta
voix », c’est tellement beau ! Et puis il y a
Orphée de Gluck, version Berlioz, que j’ai chanté
plusieurs fois en concert.
Et le
répertoire baroque ?
Orphée,
encore, mais dans la version italienne, cette fois sur scène, la première fois à
Lyon en 1998. Je ressens quelque chose de particulier pour le rôle ; il a été
mon premier amour lyrique ; il est le dieu de la musique, il séduit par sa voix,
par son art. C’est quand même l’un des plus beaux thèmes de l’opéra : tout
conquérir par la beauté de son chant… J’ai aussi beaucoup aimé interpréter
Rinaldo sur scène. Et puis, il y a eu Giulio Cesare, Amastre dans Xerxes,
Radamisto, Didon de Purcell… Depuis une dizaine d’année, la mode des
contre-ténors a un peu changé la donne. De par notre tessiture, nous partageons
les mêmes emplois. Mais les metteurs en scène, pour des questions de
vraisemblance, préfèrent utiliser des hommes plutôt que des femmes. On me
propose donc moins souvent de monter sur les planches. Je n’ai rien contre les
contre-ténors mais il faut veiller à ce que le physique ne prime pas sur la
voix, ce qui est malheureusement parfois le cas. Les productions modernes ont
également tendance à m’éloigner de la scène. Je suis peut-être de la vieille
école mais je ne vois pas l’intérêt de certains spectacles où l’on vous demande
par exemple de chanter dans tous les sens. Il est vrai qu’il faut toujours
surprendre pour maintenir l’intérêt ; les mises en scène d’il y a cinquante ans
n’attireraient pas beaucoup les gens aujourd’hui mais il y a des limites. Je
suis aussi profondément scandalisée par les affiches dans la rue qui ne
comportent même pas le nom des interprètes. Je crois que le public vient à
l’opéra avant tout pour les chanteurs. Peu importe qu’ils aient la tête en bas
ou en haut !
Vous avez
enregistré au disque Dalmira dans la Verita in cimento de Vivaldi. Pourquoi, en
2003, n’avez–vous pas interprété comme prévu Orlando Furioso ?
Parce
que j’étais malade. J’étais très
ennuyée de devoir annuler. Mais comme notre époque
ne pardonne pas le moindre rhume, qu’il faut toujours être
au sommet de sa forme, l’enregistrement du disque s’est
fait ensuite sans moi, en guise de sanction. Pour tout dire, je
n’ai pas beaucoup apprécié.
Troublant
Elephant Man au disque pour Laurent Petitgirard, quel regard portez-vous sur la
création contemporaine ?
J’ai
beaucoup aimé interpréter Elephant Man parce que c’est magnifiquement écrit pour
la voix. Oui, contrairement à un grand nombre de pièces contemporaines, ce n’est
pas du tout inchantable, en tout cas pour le rôle qui me concerne. Et puis
l’œuvre m’a bouleversée. Seule l’émotion dans la musique retient mon attention ;
si je ne ressens rien, ça ne m’intéresse pas. Longtemps, les compositeurs
d’aujourd’hui m’ont proposé des partitions qui étaient trop intellectuelles. Je
n’étais pas touchée, il n’y avait pas assez d’harmonie. Le public d’ailleurs, je
crois, réagit de la même manière. Heureusement, il me semble que nous entrons
dans une phase de changement. Je pense que les musiciens vont recommencer à
penser au plaisir, à écrire une musique plus sensuelle, plus agréable et
finalement plus humaine. Les opéras sur ordinateur, très peu pour moi !
Vous n’avez
jamais chanté d’opérette alors que votre tessiture et votre personnalité se
prêteraient tout à fait à ce répertoire. Pourquoi ?
Mais
c’est mon rêve ! J’adore la musique
légère ; j’adore faire rire !
« J’ai deux amants » de Messager fait
d’ailleurs partie de mes bis. J’aimerais beaucoup chanter
L’opinion publique dans Orphée aux enfers, La grande
Duchesse ou La Perichole. On me le demande jamais parce qu’on
pense que je suis une femme très sérieuse. Tout vient
cependant à point qui sait attendre ; je devrais bientôt
interpréter Orlowski dans Die Fledermaus au
Grand-Théâtre de Bordeaux.
Nathalie Stutzmann,
artiste
On dit que la
vie de cantatrice est un sacerdoce. Confirmez-vous ?
Un
sacerdoce, quand même pas ! Mais chanter demande effectivement beaucoup de
sacrifices. J’essaye pourtant de vivre le plus normalement possible. En dehors
des périodes de travail intensif, je fais du sport, je mange, je bois glacé, je
vois des amis, je cuisine. Il m’arrive même de fumer. Je ne vais pas lutter
contre ma nature, plutôt épicurienne. Je reviens à un mode de vie plus ascétique
à l’approche des concerts, plus ou moins longtemps avant, en fonction du
programme et de ma forme. Il n’y a pas vraiment de règles ; j’essaye d’être à
l’écoute de mon corps et de ma voix. Le plus difficile en fait est le rythme
auquel nous sommes soumis. Nous vivons dans l’ère du zapping et les
programmations obéissent à la tendance. Par exemple, lors de ma dernière tournée
au Japon, j’ai dû chanter Elias de Mendelssohn en version scénique deux jours de
suite, samedi et dimanche, puis prendre le train pour Tokyo aussitôt après le
spectacle car le lendemain, lundi, je répétais Les nuits d’été en prévision du
concert qui a eu lieu le mardi soir. Un seul jour pour me reposer et j’ai
enchaîné le jeudi et le vendredi les répétitions avec Inger Södergren de
Schwanengesang que j’ai interprété le samedi avec diffusion en direct par la
télévision nationale. Sur sept jours, c’est vraiment difficile. Heureusement, il
s’agit d’œuvres que j’ai bien dans la voix. Mais mentalement c’est horrible, ne
serait-ce que les heures de mémorisation que cela implique. De plus, les voyages
sont devenus un cauchemar. Je ne parle pas seulement des méfaits de la
climatisation ; il y a aussi les consignes de sécurité qui sont de plus en plus
longues et pénibles, le bruit, le monde, les correspondances… Et quand on
arrive, il faut être frais et dispos comme si de rien n’était. Le public ne
pense pas toujours à ces aspects de notre vie. Il y aussi la solitude. Les soirs
de concert, on évolue dans une autre dimension puis on sort de la salle et on se
retrouve seul dans sa chambre d’hôtel. Tout cela demande d’être vraiment très
solide physiquement et psychologiquement. Une belle voix ne suffit plus à
construire une carrière, il faut aussi tenir le rythme et la pression.
Vous disposez
d’un site Internet, complet et actualisé. C’est important pour un artiste ?
Je crois
qu’Internet est incontournable aujourd’hui. Dieu sait pourtant s’il m’arrive de
pester contre mon ordinateur ou ma messagerie. Mais pour avoir souvent
recherché des renseignements sur le Web, sans d’ailleurs toujours les trouver,
je me suis dit qu’il fallait, dans mon propre cas, mettre à disposition un
minimum de renseignements. Et puis, on me l’a beaucoup réclamé. J’ai franchi le
cap de la technologie aux alentours de 2001. Le site a connu 3 versions
différentes ; la dernière date d’un an. Cela consomme tout de même énormément de
temps. D’autant plus que les graphistes ne connaissent rien à la musique donc il
faut retrouver toutes les informations, tout expliquer, tout vérifier.
Votre
calendrier pour 2006-2007 est déjà très chargé. Quels sont vos projets pour les
saisons suivantes ?
En ce qui
concerne l’opéra, outre Orlowski, je serai Bradamante dans Alcina en novembre
2007 avec Marc Minkowski. Il s’agit de la reprise de la production de Robert
Carsen à l’Opéra de Paris. Actuellement, je commence à étudier Die schöne
Müllerin ce qui représente un travail énorme ; les mots bien plus que la
musique ! L’allemand n’est pas ma langue maternelle, même si je le parle bien
et, pour chaque morceau, je dois mémoriser 7 à 8 couplets différents sur la même
mélodie. Les textes, en plus, sont très descriptifs. Les vers se succèdent les
uns derrière les autres, sans la moindre relation entre eux. Je suis obligée de
travailler comme une folle, passer des heures et des heures à rabâcher les
couplets dans tous les sens pour les mémoriser, les dire avec ou sans musique,
lentement, rapidement. Les lieder de Schubert à apprendre, c’est autre chose que
les airs da capo de l’opéra baroque !
Propos
recueillis par Christophe Rizoud
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