Ce que donne à entendre ce nouveau volume de la série « La troupe de l’Opéra de Paris » chez Malibran, c’est d’abord le témoignage d’une époque où l’opéra était encore un art populaire, une époque où la plupart des gens connaissaient quelques tubes du répertoire traduits dans leur langue, une époque où l’on pouvait jouer sur ces références partagées, comme en témoignent les deux plages sur lesquelles s’ouvre et se referme ce disque. A l’air de la Calomnie du Barbier, chanté en français – ce que peut justifier l’origine du livret – répond une incroyable version du même air en argot, avec un accompagnement plus proche du jazz que de l’orchestre rossinien !
De fait, avec Xavier Depraz (1926-1994), c’est comme une certaine innocence du chant que l’on retrouve, alliant un grand naturel à un timbre indéfinissable, à cheval sur les deux tessitures du baryton et de la basse, au point de paraître parfois trop clair en Méphisto, mais qui réussit à être parfaitement à l’aise en Grémine, en Osmin ou en Sarastro, comme si la descente dans les zones les plus graves allait de soi !
Il s’agit aussi, le plus souvent, d’un chant très policé, extrêmement sérieux, comme si toute ironie était exclue, un comble pour un artiste abonné aux personnages maléfiques. Serait-ce qu’en l’espace de quelques décennies, nous avons adopté une attitude beaucoup plus distanciée par rapport à l’opéra, qui nous prive de cette adhésion directe, « au premier degré », à des œuvres désormais envisagées d’un œil amusé ? Ou bien, tout simplement, exigeons-nous à présent plus de théâtre dans le chant lyrique ?
Porté par un physique singulier, Xavier Depraz fit néanmoins une enviable carrière d’acteur, sur le petit comme sur le grand écran, Jacques de Molay dans Les Rois maudits en 1972, Monsieur Héger dans Les Sœurs Brontë de Téchiné, pour ne citer que deux exemples parmi tant d’autres. Dans le téléfilm réalisé en 1978 par Jacques Trébouta d’après Le Comte Ory, avec Bruce Brewer dans le rôle-titre, il se contentait même de jouer le rôle du gouverneur, que chantait un Claudio Desderi invisible ! Il n’avait pourtant pas perdu sa voix, puisqu’il était encore Zuniga dans Carmen à Glyndebourne en 1985.
On savourera en tout cas la noblesse de la diction, notamment dans un extrait de Don Carlos en version originale, qu’on n’a plus guère l’occasion d’entendre chanté dans un français aussi châtié, et où le Grand Inquisiteur caverneux à souhait de Jacques Mars répond au Philippe II hagard de Xavier Depraz. Et l’on pourra rêver à la sublime intégrale de Don Quichotte qu’au lieu de simples extraits il aurait pu enregistrer avec les mêmes magistraux partenaires, Denise Scharley en Dulcinée et René Bianco en Sancho.