Comme une large part de ses contemporains de l’Italie du Nord, Legrenzi fut un musicien prolifique, illustrant la musique instrumentale comme la musique vocale, sous ses deux formes, sacrée, et profane ou théâtrale. Après une carrière de musicien d’église à Bergame et Ferrare, on le retrouve à Venise, où il succéda à Sartorio à Saint-Marc. Lotti et Caldara figurent parmi ses nombreux élèves. Seuls six opéras nous sont parvenus complets sur la vingtaine qu’il écrivit. De ses sept oratorios, celui-ci, de 1673, nous est connu par une copie manuscrite, de 1705, conservée à Vienne (provenant de la Bibliothèque de la Chambre de Leopold Ier). C’est nous rappeler à la fois la circulation de la musique italienne en Autriche et la notoriété du compositeur.
Le livret, d’un auteur inconnu, s’inscrit dans la mouvance de la Contre-Réforme militante, où l’oratorio est plus que jamais vecteur de la spiritualité et du dogme romains. Nous assistons à la transformation de l’âme du pêcheur, sous l’effet de son cœur. Les soupirs, gémissements et larmes, manifestations visibles de l’émotion sont inséparables du baroque, ici traduction du repentir et de la dévotion. Le dialogue entre les figures allégoriques du Pêcheur, qui récuse son cœur, source de sa faute, de l’Espérance et de la Pénitence constitue le fil dramatique. La première partie s’ouvre après un monologue sur les interrogations suscitées par la Pénitence, quand surgit l’Espérance… Un madrigal à 5 conclut ce premier volet, où arias et duos, comme récitatifs, sont particulièrement brefs. La seconde partie, exacerbée, tourmentée à souhait, exhibe les affects chers au baroque, dès le magnifique monologue du Pêcheur (« Coltello di dolore »), le plus ample de tout l’ouvrage. Le chœur des peines, ponctué par le « Pensa a morir, o Cor » va déboucher sur la conclusion attendue, édifiante et doloriste.
L’austérité de cette trame, son caractère allégorique et outré, caractéristique du temps, sont propres à rebuter plus d’un amateur de musique baroque, et c’est regrettable : l’écriture à quatre parties, instrumentale et vocale, participe de la descendance du stile antico, où de brefs récitatifs, airs et chœurs, dont le flux musical est continu, renouvellent le propos. L’ouvrage n’était connu qu’au travers d’un enregistrement déjà ancien (1996), diffusé par les labels Divox et Orfeo. Celui-ci en renouvelle l’approche, servi par des voix de qualité, spécialisées dans ce répertoire. Olivier Fortin, qui dirige de son clavecin, n’est plus un inconnu. Son Ensemble Masques a gagné ses galons dans le monde baroque. Tous deux impriment une vision dramatique intense à cette œuvre qui appelle justement les contrastes comme les émotions vives. Les trois hommes formant le « Coro de Pene », durant la seconde partie s’entendent à merveille (William Shelton, Manuel Nunez-Camelino et Romain Bockler). Quant aux solistes, si Cristina Fanelli (Penitenzia) est une découverte bienvenue, Raffaele Giordani, qui endosse le rôle le plus exigeant, le plus lourd, et Hana Blazikova (Speranza) ne démentent pas leur réputation. Le ténor, qui jamais ne démérite, nous vaut un air d’ouverture de la seconde partie proprement passionnant, voix corsée, souple et expressive. La lumineuse et touchante soprano sert avec un égal bonheur cet ouvrage intéressant. La riche plaquette reproduit l’intégralité des textes chantés et leur traduction en français et en anglais.