Avec Attila, neuvième opéra de Verdi, Maurice Xiberras poursuit sa politique de proposer en version de concert une œuvre rare sur la scène marseillaise. L’enjeu est alors de réunir une distribution qui soit en mesure de suppléer au spectacle. Pari relevé et pari réussi ! Non que tout ait été parfait : l’ouverture, par exemple, nous a semblé sonner bien sage, l’ampleur sonore de certaines interventions du chœur, celles censées provenir de loin ou celle des druides, supporterait d’être rehaussée, et un graillon importun a entaché fugacement l’émission d’un interprète. Mais ces peccadilles pèsent peu auprès des plaisirs que l’exécution a dispensés, suscitant cris d’approbation, applaudissements spontanés et, au final, une interminable déferlante d’acclamations.
On s’était étonné de l’air sombre, presque renfrogné d’Attila, à son entrée, alors que le personnage est dans l’éclat de sa récente victoire. Au concert, en première ligne, les chanteurs ne peuvent guère dissimuler. La main qui pince le nez révèle qu’Ildebrando D’Arcangelo s’inquiète pour la qualité de son émission. Les applaudissements qui saluent sa première intervention témoignent que l’auditoire ne lui tient pas rigueur des rares occurrences où le son s’éraille, car la fermeté, la portée, la tenue, l’étendue et la profondeur – les graves ne sont jamais éructés – sont assez belles pour séduire et captiver. Dans la voix de la basse italienne le public entendra toute la complexité du souverain et de l’homme, de ce conquérant dépeint par le livret plus chevaleresque que cruel, impulsif, romanesque et superstitieux.
Sa partenaire, Csilla Boros, campe une Odabella à qui rien ne manque des requis de l’écriture du rôle. Son irruption dans le discours misogyne d’Attila a la vigueur abrupte de qui veut rendre coup pour coup, par le mordant d’une voix où les aigus sont acérés comme des lames et où les graves sont profonds sans être caverneux. A cet aspect résolu d’une vierge guerrière succèdera au premier acte l’épanchement où la jeune fille libère son émotion, et la voix saura s’alléger subtilement en évoquant les esprits amis. L’expressivité n’est jamais prise en défaut et l’interprète, acclamée après son air d’entrée, gardera jusqu’à la fin le contrôle de ses moyens.
Autre rôle fascinant, celui du baryton pour le général romain Ezio. Les qualités vocales de Juan Jésus Rodriguez ont fait de lui un favori du public marseillais. C’est un bonheur de les retrouver, intactes, et idoines pour ce personnage dont l’éclat du chant l’emporte sur la profondeur. La manœuvre de cet ambitieux maladroit et frustré échoue, mais Verdi lui a donné au deuxième acte le moment de bravoure où l’interprète peut briller, passant du méditatif au guerrier, et démontrer qu’il possède et l’étendue et la charge émotive qui exprime l’exaltation d’Ezio, et la communique à l’auditoire.
Les lamentations de Foresto, dans le prologue, en nous apprenant qu’il aime Odabella, renseignent sur sa personnalité. Il apparaît d’abord très sentimental, avant son couplet optimiste sur la renaissance de la patrie – Aquilée – que l’armée d’Attila vient de mettre à sac. Par la suite il ne cessera d’accuser Odabella de le trahir pour Attila et il manquera de la priver de la mission qu’elle s’est donnée de tuer celui-ci. En somme, ce personnage maladroit apparaît bien falot auprès d’Attila et d’Odabella, jusqu’à son intervention auprès d’Ezio où il se révèle en conspirateur. A Marseille, l’éclat vocal que lui confère Antonio Poli le fait sortir de cette pénombre dramatique et captive l’auditeur : la voix sonne dans le masque, l’émission est vigoureuse mais sait s’alléger et passer en voix mixte à l’occasion, on entend qu’Alfredo n’est pas loin.
A ce carré d’as s’ajoutent deux promesses, la voix claire d’ Arnaud Rostin-Magnin, Uldino qui saura dominer des trémulations initiales, et la voix sombre de Louis Morvan, qui sait prendre le ton de l’autorité pour représenter le Pape dont l’apparition déconcerte Attila.
Le chœur intervient à maintes reprises, en des occurrences très différentes, guerriers chantres d’Attila, ermites en prière, population rescapée d’Aquilée, groupe de vierges, druides, prêtresses, engageant tous ses membres ou ses éléments masculins ou ses éléments féminins. Hormis le réglage signalé à propos de l’intensité – voix lointaines, le « à voix basse » des druides devenu inaudible – on ne peut que louer la précision, la cohésion et la justesse d’accents qui font augurer que la progression qualitative obtenue sous la direction d’Emmanuel Trenque va se prolonger avec Florent Mayet.
Belle prestation aussi des musiciens de l’Orchestre, sous la direction très vigilante de Paolo Arrivabeni, qui les connaît bien. Si l’ouverture nous a semblé d’une prudence qui la privait un peu de son pouvoir de suggestion, la gestion des plans sonores a été irréprochable, en ce qu’elle a mis au premier plan les solistes et a su faire monter la tension pour que les sommets constitués par les ensembles aient l’ampleur attendue. C’est aussi un des plaisirs que dispense cette œuvre que d’y entendre la source de mélodies, de timbres et de rythmes qui irrigueront le prochain Macbeth ou la future Traviata. C’est donc bien légitimement que le chef et l’orchestre ont reçu leur tribut dans la bruyante expression de la gratitude d’auditeurs comblés. Encore deux dates pour entendre cette main gagnante !