Il reste encore quelques remous du sillage laissé par le Covid dans les programmations des maisons d’opéra. La nouvelle production d’Elektra, signée Christrof Loy pour le Royal Opera House de Londres, en fait partie. Prévue initialement il y a trois ans et demi, elle ne voit le jour qu’en ce début 2024 et réunit aussi Antonio Pappano et Nina Stemme.
La première du vendredi 12 janvier laisse une sensation mitigée. Le travail de Christof Loy, rigoureux et soigné ne semble pas vouloir dépasser les quelques belles images qu’il propose. La faute à un décor sous-éclairé de grande bâtisse bourgeoise usé jusqu’aux fondations, où la domesticité et ses éternels costumes noirs (de soubrette ou non) s’affaire en permanence, délayant la tragédie dans des fenêtres qu’on ouvre sans raison. Les embrassades entre la mère et la fille sont devenues un lieu commun depuis la relecture de Patrice Chéreau. Loy les reprend, ne cherche pas les monstres, mais au lieu de faire de Klytemnestra une femme blessée, en quête d’absolution, il affuble Karita Mattila – qui n’attend que ça il faut bien le dire – des troubles obsessionnels de la meurtrière ravagée. On n’y comprend plus rien. Le pot-pourri global d’idées de scénographie et d’axes de lectures vus ailleurs, sans angle personnel au final, n’aide personne sur le plateau, la direction d’acteur ne venant jamais éclairer ni une situation, ni un trait de caractère.
© ROH
En fosse, Antonio Pappano conduit un orchestre sans faille, très coloré. Las, le geste s’avère bien plus symphonique que lyrique. Les ravissements restent purement décoratifs et ne viennent jamais innerver un drame qui manque d’urgence et d’épaisseur. A tout le moins le plateau se trouve protégé par le chef dont c’est la dernière nouvelle production en tant que directeur musical.
Nina Stemme aura donc maintenu sa participation malgré l’important report et endosse une dernière fois les haillons de l’Atride. Elle ne semble pas tout à faite remise d’une fluxion hivernale (elle a depuis du renoncer à la représentation du 15 janvier) – même si aucune annonce n’est faite. Son portrait reste toujours aussi juste, celui d’une Elektra à la fois violente et fragile, aussi prompte à cajoler qu’à menacer, mais force est de constater que ce soir la voix ne la suit plus partout où elle voudrait. Elle nous confessait qu’à son âge, il y a des soirs sans. Les notes les plus extrêmes du rôle, celles qui viennent couronner le premier monologue et la confrontation avec Klytemnestra, sont à présent hors de portée, virus hivernal ou non. La fatigue qui émaille la ligne et le timbre au fil de la représentation lui sont certainement plus imputables. Après la série londonienne, Nina Stemme défendra une dernière fois le rôle en version concert, avec Kirill Petrenko à la baguette. A ses côtés, Sara Jakubiak effectue ses débuts londoniens avec les qualités qu’on lui connaît : un engagement brûlant et une probité irréprochable. Karita Mattila ne possède pas l’ambitus nécessaire pour rendre justice à Klytemnestra. Dès lors son portrait perd en impact vocal ce qu’il regagne dans une moindre mesure grâce à l’abattage de l’ancien soprano. Charles Workman ne fait qu’une bouchée des quelques chausses-trappe d’Ägith. Enfin, Lukasz Golinski s’avère un Orest prometteur : tout le matériau – un timbre sombre et mat, un volume confortable – est là. Il demande encore à être poli et approfondi pour compléter un portrait encore trop monolithique.