Cela fait quinze ans que nous admirons Puccini. Depuis qu’il a composé sa Bohème. Ont suivi deux autres chefs d’oeuvre, la Tosca et Madame Butterfly.
Lorsque nous avons appris que son nouvel opéra, la Fanciulla del West – en français la Fille du Far West – serait créé à New-York, nous n’avons pas hésité : nous avons pris trois semaines pour assister à sa création. C’était sans doute une folie, mais ce genre d’événement se transforme en souvenir pour la vie !
Première édition de la Fanciulla del West
Nous avons donc effectué la traversée entre le Havre et New-York à bord de La Provence, qui est, à l’heure actuelle le paquebot français le plus rapide et – cela est important pour un journaliste – le premier équipé à être équipé de la T.S.F. (télégraphie sans fil).
Nous avons vécu à bord la vie mondaine des premières classes avec ses cabines de luxe surveillées par des stewards aux petits soins, ses promenades élégantes sur les ponts, ses thés dansants, ses dîners chics, ses bals costumés où l’on entend cette musique moderne qu’on appelle le jazz.
Vous arrivez à New-York et vous voilà devant le mythique Metropolitan Opera. Ce théâtre s’est forgé une légende en trente ans, entre les 39e et 45e rues à Broadway. Arrivant aux abords du haut building dont la façade est parcourue d’arcades à tous les étages, vous avez le cœur serré.
Partout l’Amérique étale son opulence. Au troisième acte il n’y avait pas moins de huit chevaux sur scène ! La richesse de la distribution laisse rêveur. Le Metropolitan Opera de New-York s’est offert depuis deux ans la présence de notre plus grand chef européen, Arturo Toscanini. C’est lui qui a dirigé le spectacle.
Belasco, Toscanini et Puccini
Le ténor était celui qui est actuellement le plus célèbre au monde, Enrico Caruso. Le public était inquiet de le retrouver après l’opération d’un nodule qu’il a subie récemment à Milan. Il a été ovationné. Mais sa voix a donné l’impression d’être plus sombre qu’avant.
La soprano était l’une des stars de l’opéra de New-York, Emmy Destin. On dit que Caruso en est amoureux.
Caruso dans la Fanciulla del West
Le succès alla au-delà de toute espérance. Il y eut un nombre incalculable de rappels.
Les Américains étaient heureux que le grand Puccini ait mis en musique leur histoire, celle de la conquête de l’ouest, avec ses saloons, ses trappeurs, ses chansons nostalgiques, ses disputes, ses parties de poker. Les personnages de l’opéra de Puccini ne portent plus des noms italiens mais s’appellent Minnie, Dick Johnson, Jack Rance ou Jack Wallace ! Sur dix huit rôles, seize sont des hommes. On entend passer des thèmes folkloriques américains. Cela étant, le langage musical puccinien demeure, même s’il est moins « mélodique » que dans les opéras précédents. Quelques airs nous ont frappé : ceux, intimistes, de Minnie quand celle-ci lit les psaumes de David ou quand elle répond à Rance (« Là bas, à Soledad »), l’air de bravoure de Jack Rance – un shériff qui ne peut faire oublier le Scarpia de la Tosca ! – et l’air de Johnson « Qu’elle me croie libre ». Une dernière chose plaît au public américain : l’histoire se termine par une happy end !
Nous ne savons pas si ce spectacle aura autant de succès en Europe. Des représentations sont prévues à Londres et à Rome l’an prochain.
Mais rien ne vaudra une représentation à l’Opéra de New-York ! Nous avons hâte d’y revenir. Le problème est la durée du voyage. Il paraît qu’en Angleterre, ils sont en train de construire un paquebot plus rapide. Il sera mis en service dans deux ans. Nous avons déjà envie de réserver nos places. Il s’appelle le Titanic…