Après l’immense succès remporté par sa Création en 1798, Franz Josef Haydn aurait pu décider de s’octroyer une retraite paisible et glorieuse. Le maître de Chapelle des Esterhazy a préféré explorer plus avant l’art de l’Oratorio et, s’appuyant toujours sur le travail du fidèle baron Gottfried von Swieten, s’est rapidement attelé à la composition des Saisons. Le résultat est audacieux, profond et riche. Audacieux : il fallait beaucoup de courage au compositeur pour présenter, au soir de sa vie, une œuvre de cette ampleur, au risque de décevoir ceux que la Création avait enthousiasmés. Profond : le sujet initial ne l’est peut-être pas, mais on comprend rapidement qu’en composant sur les saisons, Haydn veut surtout parler des âges de la vie, alors qu’il est à « l’hiver » de la sienne. Riche : si les canons formels qui étaient en vigueur à l’époque du jeune Haydn sont encore respectés, le premier romantisme qui, 10 ans après la mort de Mozart, influençait déjà sensiblement la vie musicale viennoise, n’est pas oublié. Autant de défis lancés aux interprètes.
Ceux-ci comprennent heureusement que verser jovialement dans la naïveté un peu générique que l’on prête trop souvent au « bon papa Haydn » ne saurait révéler toutes les richesses de l’œuvre. A commencer par le chef. J’avais déjà eu l’occasion d’applaudir avec enthousiasme Olari Elts quand il officiait dans la fosse de l’Opéra de Rennes pour le Vampire de Marschner. Est-ce le climat « Sturm und drang » de ce tout premier XIXe siècle qui l’inspire particulièrement, ou montre-t-il dans tout ce qu’il dirige le même enthousiasme, la même précision, la même aptitude à tirer de ses musiciens des couleurs, des dynamiques et des phrasés admirablement homogènes, à s’appuyer sur un instinct très sûr pour mettre en relief les traits les plus remarquables de la partition, et à galvaniser ses choristes avec autorité ? Si tel était le cas, le chef estonien serait plus que jamais un talent à suivre avec une grande attention.
Mais les chanteurs eux-mêmes ne sont pas en reste : Camilla Tilling, toujours à son aise dans ce répertoire, sait elle aussi montrer tout ce que Haydn a de plus frais et de plus simple sans tomber dans la mièvrerie. Sa Cavatine de l’Hiver, « Licht und Leven sind geschwächtet », en est sans doute la plus belle illustration. Roderick Williams, de voix plutôt claire, n’en assume pas moins crânement les graves de Simon, et nous gratifie, à la fin de « l’Automne », d’une éloquente injonction chasseresse (« Seht auf die breiten Wiesen hin ! »). Werner Güra est l’élégant Liedersänger que nous connaissons tous. Le domaine de l’Oratorio, avec l’imposant effectif qu’il suppose, constitue-t-il vraiment un terrain idéal pour lui ? Sans doute pas, mais la voix, même un peu noyée sur le plateau (au milieu duquel les chanteurs sont placés, cernés par l’orchestre), reste l’une des plus belles qu’on puisse imaginer dans ce répertoire. Au sein des voix toujours, la Gächinger Kantorei triomphe, en particulier dans les superbes chœurs conclusifs du « Printemps » et de « l’Hiver ».