Il y a bien eu une révélation à Pesaro. Non point celle annoncée par les directeurs du Festival en la personne d’une jeune soprano russe, mais bien lors de ce récital de Lawrence Brownlee. Cette prestation de haut vol mais plus encore, riche en émotion, marquait ses débuts. Le ténor, âgé de 35 ans, termine la sixième saison d’une carrière fulgurante à défaut d’être encore hyper médiatisée. Actuellement, il collectionne les débuts triomphaux (Met, Scala, Covent Garden, Vienne, Real, les principales maisons allemandes et il ouvre sa carrière italienne), ainsi que les prises de rôles comme Arturo (I Puritani), Narciso, Tonio, Osiride, complétant un répertoire de plus de 25 rôles dont une dizaine d’emplois rossiniens. Cette identité assumée avec bonheur, a attiré l’attention d’Alberto Zedda. Le Maestro suit ce talent depuis quelques années.
Après plusieurs projets dont une Italiana in Algeri, dernière en date à Bad Wildbad en juillet dernier, le ROF lui a proposé ce récital. Si une poignée de connaisseurs avaient fait le déplacement pour Brownlee, la majeure partie du public ne le connaissait pas. Nous connaissions Brownlee de plusieurs enregistrements. Nous avions eu également le plaisir de l’entendre dans un Tancredi avec les instruments d’époque de Jacobs. Brownlee y chantait un intéressant Argirio où la qualité de son timbre avait fait merveille. Néanmoins, dans ce cadre un peu rigide, Brownlee n’avait pu déployer l’entièreté d’un chant autrement plus glorieux. Il nous tardait donc de le réentendre dans une toute autre géométrie. Il y a des moments uniques dans l’univers du lyrique. L’instant où un public tombe en amour pour une personnalité fait partie de ceux-là. Dès les premières phrases, il fut émouvant de ressentir combien le public fut captivé par ce qu’il offrait. Cette impression que le public devient une cohérence attentive, immédiatement séduite, se laissant prendre par la main pour ce moment où le ténor nous adressa ce message : « Voilà qui je suis et voilà ce que je vous offre ». Accompagné par Rosetta Cucchi, dont le jeu enthousiaste démontrait combien elle était soucieuse de lui apporter un soutien maximal, Brownlee va offrir un généreux programme en forme de carte de visite. Harmonisant airs d’opéras, mélodies et spirituals, Lawrence Brownlee a parfaitement su se définir. Sans se départir d’un professionnalisme à toute épreuve, la présence de Brownlee reflète avant tout une belle personnalité conservant la simplicité qui est la sienne à la ville. L’allure est noble, sereine. Le chanteur équilibrant avec un naturel confondant les allées et venues entre ses voyages musicaux et la proximité avec son public. Il n’y a rien d’ostentatoire chez Brownlee. Comme il n’y a aucun narcissisme dans son chant. Scéniquement, il fait partie de ces artistes qui se tournent vers le public et vont à sa rencontre. Tout en ressentant la profonde réflexion du chanteur sur les différents aspects des partitions, Brownlee atteint l’essentiel : l’émotion et la simplicité. Il n’y a rien de gratuitement intellectuel dans ce chant qui s’adresse avant tout au cœur et à l’âme. Cette adresse à la spiritualité est peut-être une de clés expliquant comment Brownlee touche l’ensemble d’un public, non seulement les initiés mais aussi et surtout, les néophytes les plus parfaits. Et la voix, me direz-vous ? Dans son registre, nous affirmons que Brownlee est un des plus beaux matériaux entendus depuis dix ans. La vocalità se rapproche – actuellement – d’un Giovanni David avec une tessiture s’envolant jusqu’au contre ré dans ce récital et jusqu’au contre fa (I Puritani, Seattle Opera en 2008). Mais le fait le plus remarquable dans la texture de cette voix est la qualité de son médium. Véritable étoffe de velours noir, la première octave de Brownlee est avant tout, une source immédiate d’émotion. Sur cette base solide, l’aigu et le suraigu s’élancent parfaitement soudés car soutenus, solaires, dépourvus de toute nasalité, cohérents dans leur diversité expressive. Il n’y a pas de secret ou de miracle, derrière des dispositions «naturelles» évidentes, il y a un immense travail distillé, décanté, l’apprentissage d’une très belle école technique, nous prouvant une fois encore que l’école américaine peut être généreuse en chanteurs rossiniens. Pour revenir au programme en lui-même, les premiers Rossini émeuvent instantanément. Ils rendent parfaitement leur caractéristique d’école italienne et française avec leurs couleurs si particulières. Les Donizetti offriront une leçon de legato parfaitement soutenu, une palette de nuances remarquable ainsi qu’un sens approprié du chiaro oscuro. L’extrait d’Il Turco in Italia va déchaîner l’enthousiasme des amateurs de lyrique. Abordé cette saison à Toulouse, Narciso exprime parfaitement le répertoire rossinien où Brownlee se hisse parmi l’excellence internationale. Le Rossini de Brownlee à son meilleur comprend également Lindoro, Ramiro, Liebenskof et bien entendu son cheval de bataille, Almaviva. Tour à tour, vaillant, tendre ou rompu de tristesse, le ténor fait montre d’une aisance vocale ne trahissant jamais l’effort et d’une stylistique rossinienne évitant la scolarité ou les automatismes de certains. En cela, Brownlee nous apparaît comme une personnalité particulièrement intéressante à suivre. La vélocité de la colorature est remarquable pour une voix possédant une telle texture. Une fois encore, le timbre capiteux, les couleurs chatoyantes confèrent à cette virtuosité, une virilité rare et une personnalité bien tranchée. Nous avons également particulièrement apprécié la morbidezza tour à tour tendre ou déchirante. Les extraits de La Fille du régiment et d’Il Barbiere di Siviglia partageront ces qualités. Entre ces pages exposées, Brownlee prend le risque et négocie parfaitement des ruptures de programme. Au Rossini lyrique, il enchaîne quatre mélodies de Duparc empreintes de sensibilité et de poésie. Très grand moment d’émotion récompensé par de nombreux bravo et merci des spectateurs francophones. Les spirituals enchaînés à Tonio nous raconteront les origines de Lawrence Brownlee réalisant que l’improvisation chez un Burleigh peut conduire assez évidemment à l’éclosion d’un superbe rossinien. Le public va tumultueusement remercier Brownlee jusqu’à l’exultation finale du « Cessa di più resistere ». A la fin de sa prestation, Brownlee visiblement ému, prendra la parole afin de remercier le public d’avoir été un adjuvant si précieux à ses débuts. Il exprimera dans un bel italien, sa reconnaissance au Maestro Zedda souriant dans sa loge et combien pour un jeune chanteur rossinien américain, être là, sur la scène du Teatro Rossini était un rêve. Brownlee offrira en bis, un résumé de sa prestation: « Das ist mein ganzes Herz »…
Philippe PONTHIR