« Ta fidélité m’a sauvé la vie ». Qui chante cela ? Florestan dans Fidelio, l’unique opéra du compositeur dont on célèbre, cette année, le deux-cent cinquantième anniversaire de la naissance : Beethoven. A travers Florestan, c’est Beethoven qui s’exprime. Les auteurs se cachent si souvent derrière leurs personnages! Beethoven évoque l’amour qu’il a cherché en vain toute sa vie.
En 1803, à 33 ans, désespéré par l’avancée de sa surdité, Beethoven se lance dans la composition de Fidelio. Il a entrepris de mettre en musique la pièce d’un écrivain français nommé Bouilly dont le titre l’a séduit : Leonore ou l’amour conjugal. Il s’est pris de passion pour l’histoire de Léonore, qui se déguise en homme afin d’aller délivrer son époux, prisonnier politique. Il fait chanter Florestan dans un air où le hautbois évoque le souvenir de la femme aimée, il compose un duo bouleversant au cours duquel Léonore reconnaît Florestan en la personne du prisonnier à qui elle a apporté à boire.
Beethoven a ainsi rêvé, toute sa vie, d’une femme aimée qui lui aurait apporté à boire au fond de la prison où l’avait enfermé sa maladie.
A sa mort, on trouva une bouleversante lettre d’amour écrite le lundi 6 juillet 1812, commençant par « Mon ange, mon tout », qu’il n’avait jamais envoyée. Elle était destinée à une femme qu’il appelait son « immortelle bien aimée ».
Qui était-elle ? Depuis deux siècles, les historiens s’interrogent.
Cherchons-la parmi les femmes à qui Beethoven a dédié ses œuvres célèbres. Que constatons-nous, mon cher Watson ? Toutes les grandes œuvres orchestrales ont été dédiées à des hommes – des mécènes essentiellement. Aucune femme à l’horizon ! Même chose pour son opéra, Fidelio, qui est dédié à l’archiduc Rodolphe, frère de l’empereur d’Autriche.
Beethoven aurait-il, cependant, été amoureux de l’interprète de Léonore dans Fidelio – comme Mozart l’était des interprètes de ses personnages d’opéra ? Anna Milder avait à peine 20 ans, Beethoven 35. On sait simplement que cette soprano née à Constantinople fut capricieuse et fit modifier au compositeur de nombreux passages de l’opéra. Mais côté coeur, rien à signaler.
Cherchons alors du côté des femmes dédicataires des œuvres pour piano.
D’abord la… « Lettre à Elise». L’ennui est qu’Elise n’existe pas ! Il s’agissait d’une élève nommée… Thérèse Malfatti, âgée de 18 ans, dont l’éditeur avait mal lu le prénom et l’avait pris pou Elise ! Beethoven, âgé de 40 ans, en fut amoureux. Mais le père de Thérèse s’opposa à cette liaison.
Therese Malfatti
Est-il plus romantique que la « Sonate au Clair de lune » ? Beethoven la dédia à une élève de 19 ans, Giulietta Guicciardi. En voilà une autre qui ravagea le cœur du compositeur mais qui le trahit en épousant un comte. Beethoven en était encore ému en 1823, plus de vingt ans après. Il l’avoua à un ami. Il garda un portrait d’elle toute sa vie.
Giulietta Guicciardi
Et que dire de la passionnée sonate « Appassionata »? Qu’elle fut dédiée à la famille Brunswick dont Beethoven fut successivement amoureux des deux sœurs, Joséphine et Thérèse. Lorsque la famille de Joséphine découvrit un amour naissant entre Joséphine et Beethoven, elle poussa la jeune femme à épouser un comte. Celui-ci mourut au bout de quelques années, Beethoven revint à la charge. On se croirait dans un opéra ! Nouveau refus de la famille qui poussa alors Joséphine dans les bras d’un baron. Cela n’empêcha peut-être pas Joséphine de revoir Beethoven. Neuf mois après la « Lettre à l’immortelle bien aimée », Joséphine mettait au monde une fille qui n’était pas de son mari, absent à l’époque de la conception. Cette fille reçut le prénom énigmatique de « Minona ». Prenez le à l’envers, vous lisez « Anonim » ! Cette enfant cachée serait-elle de Beethoven ?
Joséphine Brunswick
Quant à la sœur de Joséphine, qui s’appelait Thérèse (sans rapport avec la dédicataire de la « Lettre à Elise »), Beethoven lui dédia sa belle « Sonate à Thérèse ». Ils se rapprochèrent lors du premier mariage de Joséphine. Puis Beethoven revint à Joséphine. Il faut suivre ! Thérèse resta célibataire. Quant à Beethoven, on l’aurait vu, à la fin de sa vie, embrasser son portrait en sanglotant.
Les sublimes trente-deux « Variations sur un thème de Diabelli » ont été dédiées, elles, à Antonie Brentano, dont on sait que Beethoven fut amoureux. Les historiens ont établi qu’elle se trouvait à Karlsbad en juillet 1812. Or dans sa « Lettre à l’immortelle bien aimée », Beethoven signale clairement que sa correspondante séjourne dans cette ville de cure. (Cela ne signifie pas qu’aucune des autres femmes ne se trouvait pas également dans cette station très fréquentée en été !) En avril 1813, Antonie mit au monde un fils prénommé Karl dont on sait qu’il n’était pas de son mari qui la délaissait depuis longtemps. Quant à dire qu’il était de Beeethoven !…
Et que dire de Marie Erdödy ? Cette femme partiellement paralysée recueillit Beethoven chez elle à l’époque de grand désarroi où, en 1802, submergé par la surdité, il avoua dans son « Testament d’Heiligenstadt » qu’il avait songé à mettre fin à ses jours. L’intimité entre ces deux êtres souffrants a été forte, même si leur relation se distendit par la suite.
Depuis plus d’un siècle, les historiens ne sont pas arrivés à identifier l’« Immortelle bien aimée ».
Et si nous allions la chercher ailleurs que dans sa vie réelle ? Ne serait-elle pas au coeur de son opéra Fidelio ? Elle s’appellerait alors Léonore. Et, au fin fond de la prison en laquelle s’était transformée la vie de Beethoven, elle lui aurait apporté à boire…