Principalement incarnée par le superbe Christian Gerhaher, l’approche minimaliste de l’interprétation du Lied n’est pas sans attrait. Ce dépouillement, ce refus du moindre effet, cet art du quasi-parlando, tout cela peut fort bien se défendre, avec des résultats frappants. Oui mais, voilà, il ne faudrait pas que cette manière-là de chanter prétende s’imposer comme la norme, à l’exclusion de tout autre style. C’est donc avec un certain soulagement que l’on accueille le beau disque Schubert que livre Andrè Schuen.
Ce jeune baryton italien s’est jusqu’ici surtout illustré dans Mozart : Figaro à Vienne sous la direction de Nikolaus Harnoncourt ou Comte Almaviva à Nantes en 2017, Don Giovanni à Montpellier en 2013, puis à Nancy et à Luxembourg cette saison dans la production du festival d’Aix, ou Guglielmo à Montpellier, à Munich ou à Turin. Mais aussi un Papageno. Un chanteur italien, oui, mais né au Tyrol et qui a fait ses classes en terres germanophones, sous l’égide de maîtres comme Wolfgang Holzmair ou Brigitte Fassbaender. Un chanteur italien qui, dans Capriccio, interprète tantôt le comte (en 2016 au Theater an der Wien) ou Olivier (en juin 2019 à Madrid). Un chanteur italien qui tient la partie de basse dans la Passion selon saint Matthieu. Autrement dit, peut-être le plus germanophone des Italiens. Le meilleur de deux mondes ?
L’attention au mot, indispensable dans ce répertoire, est bien là. Du reste, Andrè Schuen n’en est pas à son premier récital dans ce domaine : Schumann et Wolf en 2015, Lieder de Beethoven en 2017, Folk Songs de Britten, toujours chez le label Avi-Music. Avec Schubert, le baryton s’aventure dans la cour des très grands. On remarquera tout d’abord un programme dont le thème n’est pas d’une originalité folle (le voyage) mais qui se révèle intelligemment construit autour de mélodies qui, sans compter toutes parmi les plus célèbres de leur auteur, n’en ressortissent pas pour autant aux fonds de tiroir. Et surtout, le plaisir que procure cette interprétation, c’est celui du théâtre. Si vous pensez que dramatisme et Lieder sont deux termes mutuellement incompatibles, alors ce disque n’aura rien à vous dire. Si vous pensez en revanche que les arts de la scène ont des choses à apporter au monde de la mélodie, et qu’il ne suffit pas toujours de « dire » le poème, alors ce disque vous charmera.
Le timbre riche d’Andrè Schuen a rarement laissé la critique indifférente. Mais ce n’est pas tout. La voix sait à merveille se faire caressante ou véhémente, selon ce qu’appelle le texte ; bien que dotée d’une admirable noirceur d’un bout à l’autre de la tessiture, elle ne recule pas non plus devant un détimbrage occasionnel (pour les aigus de « Des Fischers Liebesglück », par exemple, ou pour un morendo judicieux dans « Totengräbers Heimweh »).
Déjà présent dans plusieurs des précédents disques du baryton, Daniel Heide est un partenaire de choix, qui ne passe pas inaperçu, que son jeu brille par sa délicatesse ou par son côté percussif. Voilà donc un bien beau disque qui n’a pas à rougir de la comparaison avec ce des artistes plus médiatiques ont pu enregistrer dans le même répertoire.
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