Bien que son décès soit survenu en 1918, ce n’est évidemment pas la Première Guerre mondiale, ni même la grippe espagnole qui a fauché Lili Boulanger dans sa prime jeunesse, mais la maladie de Crohn, suite d’une pneumonie contractée à l’âge de 2 ans. Première femme titulaire du Prix de Rome (en 1913), l’aînée des sœurs Boulanger avait tout pour devenir l’un des grands compositeurs français du XXe siècle, et seule l’extrême brièveté de sa carrière l’en aura empêchée. Il n’y a néanmoins rien à jeter dans ce qu’elle eut le temps de composer, et il est heureux qu’elle ait trouvé un aussi brillant défenseur que le ténor Cyrille Dubois, brillant interprète de son grand cycle de mélodies Clairières dans le ciel. Si la France n’est donc pas totalement oublieuse, il faut malgré tout se féliciter que les musiciens étrangers ait le bon goût de se pencher avec intérêt sur les partitions de Lili Boulanger.
C’est d’Allemagne que vient cette fois ce disque monographique publié par le téméraire label Carus, et plus précisément de la petite ville d’Ochsenhausen, dans le Bade-Wurtemberg, où a été fondé en 2005 l’Orpheus Vokalensemble, ici dirigé par Michael Alber. Cette formation s’est rapidement imposée au premier rang des chœurs de chambre professionnels, et a déjà enregistré plusieurs disques parus chez Carus, qui illustrent toute la diversité de son répertoire. Fort d’une trentaine de chanteurs, il offre aux compositions de Lili Boulanger toute la limpidité de son chant aux voix saines et une diction française de très bon aloi (on retiendra notamment son habileté à négocier nos traîtres e muets). Même remarque pour les dix solistes, tous issus de l’ensemble vocal : à part notre compatriote Clémence Boullu, aucun n’est francophone, mais tous s’expriment dans un français remarquable, et leurs qualités de timbre sont tout aussi dignes d’éloges. Presque toutes ces œuvres chorales font en effet appel, souvent pour une des strophes du poème, à une voix solo qui se dégage de la masse sonore. On signalera notamment la prestation du baryton Christos Pelekanos dans l’émouvant « Pour les funérailles d’un soldat », celle du ténor Jo Holzwarth dans la lancinante « Vieille prière bouddhique ».
Dans ce programme assez habilement agencé pour éviter tout sentiment de monotonie, quatre pièces pour piano permettent à Antonii Baryshevskyi d’être seul sous le feu des projecteurs, mais la très belle partie instrumentale des morceaux vocaux laissait déjà deviner la sensibilité du pianiste.
Ce bouquet fort élégamment assemblé, qui inclut une première mondiale – on est ravi de penser que toutes les autres fleurs en ont déjà connu un enregistrement – vient apporter une preuve supplémentaire du génie de leur auteur. Et comme jadis en revenant de la revue du 14 juillet 1886, « moi je faisais qu’admirer not’ brave général(e) Boulanger ».