A quoi bon enregistrer encore une fois les Leçons de Ténèbres de Couperin ? Il y a tant de bonnes versions, que ce soit avec sopranos, mezzos ou (contre-)ténors, avec des instrumentations les plus variées et des expériences de montage les plus folles. Le dernier enregistrement de Stéphane Fuget au Château de Versailles prouve pourtant qu’abondance de Leçons ne nuit pas.
Ecrite pour les célébrations de la semaine sainte, ces Leçons étaient destinées à être jouées alors que le public parisien était privé d’opéra. Est-ce pour compenser ce manque de lyrisme que Couperin y mit toute la verve du genre scénique, ou était-il stimulé par les textes étranges et tortueux ? Peu importe, mais la musique est davantage celle d’une tragédie lyrique que d’une austère jérémiade (à vrai dire, ces Leçons de ténèbres portent très mal leur nom). Stéphane Fuget donne à la partition toute sa splendeur Grand Siècle, notamment grâce à ses remarquables facultés de continuiste. L’alternance entre orgue positif pour les interludes-lettrines, et clavecin pour les « récits » accentue les contrastes d’une musique qui, bien que religieuse, cède volontiers aux accents dramatiques de la scène.
Entendues séparément dans les Première et Deuxième Leçons, les voix des deux chanteuses semblent étonnamment proches. Sophie Junker brille avant tout par sa force expressive, notamment dans un sublime « Plorans ploravit ». Florie Valiquette montre sa grande connaissance du style de Couperin, et s’en donne à cœur joie dans les nombreux mélismes de sa Deuxième Leçon (« Jerusalem convertere… »). Mais c’est une fois les chanteuses réunies que la pertinence du casting nous paraît évidente. Suffisamment proches pour nous envouter dans les vocalises des lettre hébraïques, les voix se dissocient ensuite pour mieux converser. A Sophie Junker, plus brillante dans les aigus, revient la première voix, tandis que le timbre plus fruité de Florie Valiquette coule naturellement dans la deuxième.
Quelques pages pour deux sopranos et ensemble complètent l’édifice des Leçons. Tout d’abord le Cantique sur le Bonheur des Justes et le Malheur des Réprouvés de Michel Richard de Lalande. Outre l’effectif, sa tendance à loucher vers la tragédie lyrique justifie pleinement son inclusion au programme. Le Motet « Victoria Christo Resurgenti » achève l’enregistrement dans une effusion de vocalises, refermant l’enregistrement comme il avait commencé.