(5 Questions)
[ Avril
2007 ]
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Vincent Le Texier
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Vincent Le Texier © DR
www.vincentletexier.com
Votre répertoire compte plus de 70 rôles. Si vous ne deviez en garder qu’un seul, quel serait-il ?
Golaud ; parce que c’est le rôle que j’ai le
plus chanté ; parce que c’est celui qui me suit
depuis le début de ma carrière. J’étais
encore étudiant à l’Ecole d’Art lyrique quand
je l’ai interprété pour la première fois en
1988 à Moscou. Il s’agissait d’un
événement à plusieurs titres : la
création de Pelléas et Mélisande
en URSS, la direction de ce grand chef d’orchestre et musicien
qu’était Manuel Rosenthal, le présence dans la
salle de Sviatoslav Richter et, en ce qui me concerne, ma
première prise de rôle de cette importance.
Puis il y a eu en 1992 Les impressions de Pelléas et ma
rencontre avec Peter Brook. C’est grâce à cette
expérience que j’ai compris ce que signifie être
dans la vérité du personnage et d’une
manière générale, quels que soient les
rôles, le travail de caractérisation qu’il est
nécessaire de réaliser. Il n’est pas seulement
question de technique vocale et théâtrale et de musique
mais aussi d’énergie et de liberté pour trouver
cette vérité, sa propre vérité d’un
rôle. Pour moi, en ce sens, chanter est très proche de
peindre : cela nécessite la même énergie, la
même liberté (*).
Golaud a continué ensuite de m’accompagner tout au long de
ma carrière et j’ai eu le grand bonheur de le créer
dans de nombreuses villes étrangères, à Leipzig,
Ankara, Istanbul et même Damas ! Et je n’ai pas fini
de le côtoyer puisque je le retrouverai dès juin en
Hongrie.
Dans cette immense galerie de personnages, quelle place occupe Jaroslav Prus de L’affaire Makropoulos
que vous allez interpréter prochainement à
l’Opéra Bastille dans une nouvelle production de Krzysztof
Warlikowski ?
Une place de choix puisque je vais à cette occasion retrouver
l’Opéra de Paris. J’en suis d’autant plus
heureux que je considère Janacek comme l’un des plus
grands compositeurs du XXe siècle, l’équivalent de
Bartok, et L’affaire Makropoulos
comme l’un de ses chefs-d’œuvre. C’est un
très beau rôle et, à mon sens, l’un des plus
intéressants avec le garde forestier de La petite renarde rusée et Gorjancikov dans La Maison des morts, que Janacek ait écrit pour une voix grave d’homme.
Krzysztof Warlikowski est aussi le metteur en scène très controversé d’Iphigénie en Tauride. Quel regard portez-vous sur son travail ?
Nous avons déjà un passé commun ; nous avons
en effet participé tous les deux à ces impressions de
Pelléas que j’évoquais tout à l’heure.
Krzysztof était à l’époque l’assistant
de Peter Brook. Je n’ai pas vu l’Iphigénie en Tauride qu’il a mise en scène. Son Affaire Makropoulos se
situe dans l’univers d’Hollywood. Emilia Marty devient une
star du cinéma, une sorte de Marylin Monroe. Je trouve cette
approche très juste car, en effet, à travers leurs
différents rôles, les grandes actrices vivent plusieurs
vies, tout comme Emilia Marty. Une immense reproduction d’un King
Kong en buste, haute de 15 mètres, ajoutera encore au
côté spectaculaire. Ce qui est important avant tout, je
crois, pour Krzysztof Warlikowski, homme de théâtre,
c’est que chaque interprète trouve à
l’intérieur de lui la vérité profonde de son
personnage. Toute la difficulté réside à obtenir
ce résultat dans les conditions spécifiques de
l’opéra, c’est-à-dire en un peu plus
d’un mois de répétitions seulement… Pour Les
impressions de Pelléas, nous avions
bénéficié de 2 mois et demi et
c’était une version que Marius Constant avait
réalisée pour deux pianos. À l’opéra,
lorsque les répétitions avec orchestre commencent,
c’est le chef qui décide de l’utilisation du temps,
le metteur en scène a beaucoup moins de latitude pour
approfondir encore son travail ; l’essentiel doit
déjà être construit. C’est la contrainte
essentielle (et parfois frustrante…) pour un metteur en
scène à l’opéra et la différence avec
le théâtre : la musique impose sa propre durée
et, au niveau de l’organisation des répétitions, le
temps n’est pas extensible…
Vous avez initié dernièrement un spectacle autour de La Belle Maguelone de Brahms. Le monde du lied et de la mélodie est-il aussi le vôtre ?
Depuis mes années d'initiation au répertoire lyrique, je suis amoureux du lied
et de la mélodie. J'ai d’ailleurs toujours voulu leur
donner dans ma carrière une place à part entière
aux côtés de l'opéra. Mais il faut, pour affirmer
sa passion dans ce domaine, s'armer d'une grande ténacité
et de patience car les artistes qui ont la volonté de faire
connaître ce répertoire ne sont pas toujours soutenus
autant que nécessaire, souvent sous prétexte de ne
toucher qu'un public restreint de connaisseurs.
Le problème, à mon avis, est inverse, mon
expérience me l'a fait comprendre et ma récente aventure
avec La Belle Maguelone de
Brahms me l'a de nouveau montré : lorsque le public entre en
contact avec ce répertoire - d'une richesse incroyable tant du
point de vue de la quantité et de la variété que
de la qualité - il est très vite touché et
n'éprouve aucune difficulté à l'apprécier
et à en jouir, même s'il le découvre. La seule
question qui vaille ici est donc plutôt : a-t-on la
volonté de le faire connaître, de lui accorder la place
qu'il devrait avoir dans le paysage musical actuel ? Si la
réponse est oui, alors il faut s'en donner les moyens, offrir au
public potentiel la possibilité de venir s'y plonger d'une
façon régulière et non pas occasionnellement et
permettre aux artistes qui s'y attachent de monter un programme - ce
qui demande beaucoup de travail - en espérant pouvoir le donner
à entendre plus d'une ou deux fois... Il faut aussi
peut-être réfléchir à des formes nouvelles
pour le récital, au côté visuel par exemple.
Votre agenda sur votre site s’arrête en mai 2007 avec L’affaire Makropoulos. Et après ?
Ma carrière ne s’arrête heureusement pas ! Il faut simplement que je le mette à jour !
Ma voix évolue, je peux aborder aujourd’hui des
rôles que je n’aurais sans doute pas pu chanter il y a 10
ans, les grands rôles wagnériens en particulier :
Amfortas, Hans Sachs, Wotan qu’on m’a d’ailleurs
proposé en Allemagne et que j’ai dû refuser pour des
questions de calendrier, Le Hollandais et Telramund que j’ai
déjà abordés et que je rechanterai bientôt.
En dehors de Wagner, Saint-François d’Assise et Barbe Bleue feront partie de mes prochains nouveaux rôles. La saison prochaine, j’interpréterai aussi Pandolfe dans Cendrillon de Massenet et Wozzeck
à Berne et retrouverai Jaroslav Prus à Madrid puisque
cette production de l’Opéra de Paris y sera reprise. Ma
carrière s’est un peu expatriée ces
dernières années. L’expérience s’est
révélée enrichissante car elle m’a permis de
découvrir d’autres façons de travailler. Il est
peut- être nécessaire à un moment de
s’éloigner un peu de son pays et des gens qui vous
connaissent depuis vos débuts. Et puis c’est de toute
façon une grande joie de découvrir de nouvelles salles,
de travailler avec de nouveaux orchestres, de rencontrer de nouveaux
publics !
Propos recueillis par Christophe Rizoud
Paris, 12 avril 2007
(*) Vincent Le Texier est agrégé d’arts plastiques.
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