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Gregory Kunde : le retour du Lion de Venise
Interview
Gregory Kunde
© Studio Amati Bacciardi
Gregory
Kunde fait cet été un retour fracassant à Pesaro
et à Rossini. Appelé pour chanter le rôle d’Otello
en remplacement de Giuseppe Filianoti, il remporte un triomphe, campant
un maure de Venise impressionnant de présence vocale et
d’engagement dramatique. De là à dire qu’il a
mangé du lion…
Votre première apparition à Pesaro date de 1992 - Idreno dans Semiramide. S’agissait-il de vos débuts dans Rossini ?
Non j’avais déjà chanté Guillaume Tell en
français, au Théâtre des Champs Elysées en
1989 avec notamment José Van Dam pour partenaire. Mais le Guillaume Tell
français n’est pas du Rossini italien, c’est
vraiment du Grand Opéra : cinq actes et cinq heures de
musique, avec des ballets ! Il ne s’agit pas vraiment
de la même œuvre selon qu’on la chante en italien ou
en français, comme La Favorite de Donizetti ou encore Don Carlos.
Dans un cas, on prend Pavarotti pour référence ;
dans l’autre, les modèles s’appellent Nicolai Gedda
ou Alain Vanzo. Je pense plutôt à ces deux derniers
chanteurs car je n’ai jamais interprété la version
italienne.
J’ai ensuite chanté dans le Stabat Mater de Rossini, sous la direction de Riccardo Muti, en février 1992 à la Scala, puis La Donna del Lago
toujours avec Riccardo Muti. Cecilia Gasdia et Bruce Ford
complétaient la distribution. Donc non, Idreno
n’était pas mon premier rôle rossinien !
Comment êtes vous devenu un ténor rossinien ?
Cela a été une réelle surprise pour moi. Avant Guillaume Tell, je chantais Rigoletto, Traviata… Puis en 1987 j’ai interprété Arturo dans Les Puritains
de Bellini. Et là j’ai découvert qu’on
pouvait disposer d’une certaine liberté dans
l’interprétation, tenir un peu plus longtemps une note,
faire des variations, orner son chant… A partir de
là, il n’y a jamais deux représentations
strictement identiques. La première fois que j’ai
chanté Rodrigo de La Donna del Lago,
le maestro Muti, m’a dit : « tu dois trouver ton
Rodrigo avec les variations que tu veux faire ».
J’écris depuis mes propres variations.
A ce propos – je ne raconte pas souvent cette anecdote -
quand j’ai interprété Idreno à Pesaro en
1992, je m’étais bien préparé au rôle
avant les répétitions, et notamment j’avais
peaufiné le premier air, « Ah, dov’è,
dov’è il cimento », qui est
particulièrement difficile et qui n’était jamais
chanté. Pendant les répétitions avec orchestre, je
me prépare à attaquer le fameux air quand le maestro
Zedda m’interrompt « inutile, c’est bon, on le
coupe ! ». Je me récrie en lui expliquant
que je l’ai préparé avec mes propres variations. Il
n’en fait pas cas et me répond : « on
verra à la pause ». La pause arrive, je commence
à chanter l’air. Le maestro Zedda est plongé dans
des papiers et ne semble pas m’écouter quand, au bout
d’un moment, il lève la tête et s’exclame
« ah, mais c’est très bien
ça ! ». Et l’air n’a pas
été coupé !
Vous aviez aussi des facilités dans les aigus.
Oui. J’ai eu la chance pendant mes années
d’apprentissage à Chicago de côtoyer Alfredo Kraus,
qui est devenu un mentor pour moi. Il m’a enseigné comment
utiliser mon registre aigu. C’était un maître
incroyable. Il a eu toute sa vie un répertoire limité
à quelques rôles, Alfredo, Le duc de Mantoue… Puis
à partir de 50-55 ans il a peu a peu étendu son
répertoire, avec par exemple Faust. Et un an avant sa mort il
donnait encore des concerts avec un aigu intact.
Définiriez-vous Pesaro comme une bonne fabrique de chanteurs rossiniens ?
Oui, ou plutôt non, car fabrique sous-entend une certaine
uniformisation, une certaine standardisation, ce qui n’est
absolument pas le cas. C’est plutôt une école de
« finition ». C’est surtout une validation,
une sorte d’adoubement rossinien que d’être
invité à chanter à Pesaro.
Aviez-vous déjà chanté Otello auparavant ou est-ce la première fois ?
C’est une prise de rôle. Le Maestro Zedda m’a
appelé le 1er juillet pour m’annoncer que Giuseppe
Filianoti ne pourrait pas remplir son engagement. Dix jours
après, je commençais les répétitions. Je ne
connaissais absolument pas la partition. C’est le rôle le
plus extraordinaire de Rossini, d’une puissance dramatique
inouïe. Il faut être non seulement un très bon
chanteur mais aussi un acteur. Il me fait l’effet d’une
découverte merveilleuse et par rapport à ma voix, il
arrive vraiment au bon moment.
Otello réunit trois rôles de ténors importants. Qu’est-ce qui les différencie ?
Effectivement, Otello est un opéra avec trois ténors, ce
qui est une curiosité chez tous les compositeurs, sauf chez
Rossini - on retrouve ce cas de figure notamment dans
Ermione ; il faut croire qu’il avait beaucoup de
ténors à disposition ! Mais ce sont trois typologies
de voix différentes. Le rôle d’Otello
s’apparente vocalement au baryténor :
il faut de l’agilité, une certaine aisance dans le
registre grave et un medium solide. Rodrigo, chanté par Juan
Diego Florez, est un tenor di grazia.
Iago, lui appartient à la même catégorie de voix
qu’Otello, mais un peu plus grave. Ainsi dans le duo avec
Rodrigo, je suis la voix la plus grave, mais dans celui avec Iago, je
suis la voix du dessus.
Avec
Otello vous revenez à Rossini après avoir
dernièrement chanté pas mal d’opéras
français : Lakmé, Les Troyens, Benvenuto Cellini…
En ce qui concerne Rossini, j’ai débuté dans des rôles de tenor di grazia,
un peu comme Chris Merritt d’ailleurs. Il y a deux ans j’ai
pris la décision d’abandonner les rôles les plus
légers ; je ne pourrais plus aujourd’hui
interpréter Idreno comme en 1992. Mieux vaut écouter le
disque ! J’ai aussi beaucoup d’affinités
avec le répertoire français. J’ai par exemple
interprété La Damnation de Faust avec Charles Dutoit un peu partout dans le monde.
Lorsque John Elliot Gardiner m’a proposé le rôle
d’Enée, j’ai commencé par refuser, mais il
m’a convaincu en me rappelant que Berlioz était
contemporain de Rossini et en m’expliquant qu’il voulait
inscrire Enée dans une filiation belcantiste plutôt que
wagnérienne.
C’est exactement la même chose pour Benvenuto Cellini. Ma pratique du bel canto
et mes facilités dans l’aigu s’avèrent
très utiles pour ces rôles plus lourds, car pour moi un si
bémol ou un do aigus sont naturels et ne présentent pas
de difficulté.
Vous chantez parfaitement le français. Avez-vous pris des cours ?
Mes débuts dans le répertoire français ont eu lieu à Nice en 1986 dans Les Pêcheurs de Perles
de Bizet. J’ai travaillé très dur et
écouté beaucoup d’enregistrements afin de
travailler mon français. Ce n’est pas
évident : Janine Reiss, qui était consultante sur
l’un de mes enregistrements, m’a dit un jour :
« Vous essayez de sonner trop français, ouvrez
davantage votre voix comme si vous chantiez en italien ! ».
Quels sont vos projets et prochains engagements ?
Je vais chanter Maria Stuarda à Baltimore, La Donna del Lago à Berlin, La Damnation de Faust à Munich puis Manon à Nice. J’ai aussi comme projet Werther, un retour au Roméo
de Gounod et, pourquoi pas, essayer Don José. Mais il faut
être prudent. Il en est des chanteurs comme des athlètes.
La voix est un muscle qu’il faut doucement développer en
prenant son temps. A ce titre, Alfredo Kraus représente pour moi
un exemple de prudence et de longévité.
J’espère avoir cette même prudence !
Propos recueillis et traduits par Christophe Rizoud et Antoine Brunetto
Pesaro, le 17 août 2007
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