L’ Académie royale de musique
Les deux
frères qui se succédèrent sur le trône, Louis XVIII et Charles X, partageaient
la même ignorance et la même absence d’intérêt pour la musique. Seule au sein de
la famille royale, la jeune duchesse Marie Caroline de Berry, belle-fille de
Charles X passée à la postérité pour sa folle équipée, entretenait de réels
rapports avec l’art. Elle jouait du piano et de la harpe, prenait des cours de
chant avec Paer et aimait à jouer les mécènes. Contrairement à ce qui s’était
passé sous l’Empire, le régime n’imprimait aucune impulsion sur la vie lyrique
et ne se préoccupait réellement que des oeuvres composées pour la Chapelle
royale, où officiaient avec bonheur Lesueur et Cherubini. Le souverain se
montrait parfois à l’Opéra , mais uniquement pour accomplir un devoir de
représentation mondaine. Castil-Blaze, observateur attentif de la vie musicale,
a ainsi rapporté l’ennui qu’avait ostensiblement manifesté Charles X pendant une
représentation d’Il Viaggio a Reims, pourtant spécialement composé en
l’honneur de son sacre par le plus célèbre des compositeurs du moment. Devenu
officiellement Académie royale de musique, l’Opéra continua à occuper la salle
Richelieu jusqu’à ce que s’y produisît un évènement dramatique pour l’avenir de
la monarchie. Le 13 février 1820, l’ouvrier bonapartiste Louvel assassina en
effet le duc de Berry, fils unique de Charles X et grand coureur de tutus, sur
les marches de l’institution. On décida aussitôt de raser le théâtre et de
construire sur son emplacement une chapelle expiatoire (qui ne vit jamais le
jour). L’ Académie royale investit alors la salle Louvois et la salle Favart, en
attentant que l’on bâtisse, avec les matériaux de l’ancien bâtiment, une
nouvelle salle, rue Le Peletier, qui abrita l’Opéra jusqu’en 1873. Les régimes
passaient, mais les déficits restaient. En plus d’une subvention officielle de
1.300.000 francs et des 300.000 prélevés sur les théâtres secondaires, le roi
était régulièrement obligé de puiser dans sa liste civile pour éviter la ruine
de l’Opéra, qui continuait à enregistrer des pertes d’exploitation
considérables. Plus que jamais, les places de faveur gangrenaient les finances
de l’institution. Les grands seigneurs revenus d’exil confisquaient les
meilleures places et n’auraient pas admis qu’on leur réclamât quoi que ce soit.
Quelques progrès avaient toutefois été réalisés dans cette Académie royale
somnolente, grâce notamment au talent et à l’inventivité du peintre et
décorateur Cicéri. En 1822, l’apparition de l’éclairage au gaz avait également
assuré le succès de l’opéra féerique posthume de Isouard, Aladin ou la Lampe
merveilleuse.
Une
production assez médiocre
Du retour
des Bourbons jusqu’à l’année 1828, l’Académie royale de musique n’eut l’occasion
de s’enorgueillir d’aucune création lyrique majeure. Le compositeur le plus en
vue sous le régime précédent, Spontini, connut à nouveau le succès en 1817 avec
la version révisée de Fernand Cortez, mais il vit ensuite son
Olympie disparaître de l’affiche après seulement une douzaine de
représentations et préféra alors fuir l’hostilité de la critique française et
répondre à l’invitation du roi de Prusse. Le public aristocratique et sans
grande culture musicale, qui se pressait à l’Opéra, se délectait d’ouvrages de
divertissement légers et dépourvus d’ambition, comme le Rossignol de
Lebrun, opéra en un acte utilisé comme simple prélude à un grand ballet, ou
Zirphile et Fleur de Myrte, opéra féerique de Catel qui n’ajoutait rien au
mérite de cet estimable compositeur. Les contemporains ne manquèrent pas de
stigmatiser l’ignorance et l’absence de goût de ce public, à l’image de l’acerbe
Castil-Blaze, qui pourtant n’avait manifesté aucun scrupule à défigurer le
Freischütz pour en faire son Robin des Bois à l’Odéon. Les
considérations musicologiques n’étaient pas encore de mise, et Berlioz pouvait
encore se lamenter des mauvais traitements que l’on continuait à infliger à
Paris à de nombreux chefs d’oeuvre lyriques, honteusement défigurés.
Il est
désolant de constater que, de la révélation de Spontini à l’arrivée de Rossini,
aucun nouveau talent n’a été en mesure de s’imposer sur la première scène
nationale. Un théoricien aussi habile que Reicha, célébré par Liszt et Berlioz,
y démontra surtout son manque de familiarité avec l’univers lyrique. Quant à
Louis Ferdinand Hérold, il allait affirmer son talent à l’Opéra Comique après
avoir signé pour l’Académie royale une très médiocre Lasthénie. Et que
dire du Don Sanche, signé par un prodige de douze ans, Franz Liszt, et
qui ne connut que quatre représentations. Le public parisien, qui attachait
généralement plus de prix au livret qu’à la partition, dédaigna également le
Macbeth d’Hippolyte Chelard, qui n’était pas le premier à porter l’oeuvre
shakespearienne sur la scène lyrique mais précédait tout de même Verdi de vingt
ans. Son librettiste malhabile n’était autre que Rouget de L’Isle. Le seul rayon
de soleil dans ce triste tableau allait émaner d’Auber qui s’était déjà illustré
dans le registre de l’opéra comique mais remporta un succès éclatant avec son
premier ouvrage créé rue Le Peletier : la Muette de Portici.
L’ Opéra
au service de la monarchie
La mode des
ouvrages de circonstance avait survécu à l’Empire. La seule véritable réussite
du genre fut créée au Théâtre Italien à l’occasion du sacre de Charles X - il
s’agissait bien sûr d’Il Viaggio a Reims -, mais c’est à l’Opéra que
Spontini s’était empressé de flétrir l’Usurpateur et de célébrer le retour des
Bourbons avec Pélage ou Le Roi et la Paix, qui ne compte pas au nombre de
ses réussites majeures. Son biographe, Charles Bouvet, affirme même
catégoriquement : « Son Pélage ou le Roi de la Paix, opéra en deux actes
représenté le 28 août 1814, obtint un insuccès à peu près complet ; c’est tout
ce que méritait une élucubration de ce genre. Composé très rapidement, cet
ouvrage ne fut donné que quatre fois ».
Ceci n’empêcha pas Spontini de récidiver deux ans plus tard avec l’opéra-ballet
les Dieux rivaux, écrit en collaboration avec Persuis, Berton et
Kreutzer, à l’occasion du mariage du duc de Berry. Dans cet ouvrage, qui tentait
vainement de ressusciter les fastes du Grand Siècle, les dieux de l’Olympe se
disputaient l’honneur de chanter la gloire du monarque. Cette fois, il n’y eut
que cinq représentations. Pour la naissance du duc de Bordeaux, fils posthume du
duc de Berry, on donna en 1821 une Blanche de Provence à laquelle avaient
contribué cette fois Boieldieu, Kreutzer, Cherubini et Paer. Les deux premiers
s’associèrent à nouveau au moment du sacre avec Berton pour un Pharamond
de la même eau. La seule différence avec la période précédente résidait dans le
fait que ces ouvrages apologétiques ne puisaient plus leur inspiration dans l’Antiquité
mais dans les racines d’une monarchie française en quête de légitimité.
Le
dénominateur commun de ces oeuvres était la médiocrité et la froideur de la
partie musicale. Passée une première où les grands dignitaires du régime se
laissaient étourdir par ces hymnes à la monarchie et par le faste de la
présentation scénique, ils étaient impitoyablement rejetés par le public. Il ne
faudrait pas cependant juger trop sévèrement les compositeurs qui acceptaient de
se fourvoyer dans ces entreprises laudatives. Ils n’étaient ni les premiers, ni
les derniers à se compromettre de la sorte, et je souscris à cette appréciation
de Patrick Barbier : « Dans le cas d’une commande, la marge de manoeuvre d’un
musicien ou d’un librettiste était des plus étroites ; refuser signifiait se
mettre rapidement au ban du cercle des élus, alors qu’accepter représentait à la
fois richesse et honneurs. Le choix était vite fait ! ».
L’ Opéra de Paris, sous la Restauration, restait un instrument de conservation
du régime, directement rattaché à la Maison du Roi puis à la direction des
Beaux-arts : « le symbole de privilèges indéfendables, le bastion d’une culture
antiquisante au service d’un régime anachronique ».
Institution sclérosée, vitrine d’une monarchie archaïque, l’Académie royale
avait perdu tout contact avec la population et avec les mouvements culturels
dominants.
La
naissance d’un genre
Les
dernières années de la Restauration furent marquées sur le plan lyrique par
l’éclosion d’un genre nouveau : le Grand Opéra historique, qui trouva son apogée
sous la Monarchie de Juillet. Nous avons déjà consacré un dossier complet au
Grand Opéra mais il n’est pas inutile de rappeler que les deux ouvrages
fondateurs du genre furent la Muette de Portici d’Auber en 1828, et
Guillaume Tell de Rossini l’année suivante. Appelé comme un sauveur au
chevet de l’Académie moribonde par le redoutable directeur de l’administration
des beaux-arts, Sosthène de la Rochefoucauld,
le compositeur italien, avant de signer son chef d’oeuvre, avait eu l’occasion
de se familiariser avec les exigences du style français en adaptant et
enrichissant deux de ses opéras italiens pour donner naissance au Siège de
Corinthe et à Moïse et Pharaon. Il avait également signé pour l’Opéra
le Comte Ory, proche par l’esprit de l’opéra comique en utilisant le
matériel d’Il Viaggio a Reims, et avait contribué à sortir l’institution
de sa léthargie en lui redonnant un peu de son lustre perdu et en ouvrant la
voie aux succès à venir. Le régime vivait déjà ses dernières heures, même si l’Académie
royale continuait à entretenir l’illusion en donnant, au mois de mars 1830,
François 1er à Chambord de Prosper de Ginestet, ancien garde du
corps de Louis XVIII. Les excès des ultras, ceux-là même qui s’accaparaient les
places en vue à l’Opéra, allaient bientôt précipiter le peuple de Paris dans la
rue et contraindre le petit-fils de Louis XV à l’exil.
Vincent Deloge
Annexes
Principales créations lyriques à l’Opéra
de Paris durant cette période
1814 : Pélage (Spontini)
1816 : le Rossignol (Lebrun)
les Dieux rivaux (Berton, Kreutzer, Persuis et Spontini) Nathalie
(Reicha)
1819 : Olympie (Spontini)
1821 : Blanche de Provence
(Boieldieu, Cherubini, Kreutzer et Paer) la Mort du Tasse (Garcia)
1822 : Aladin (Isouard, achevé
par Benincori) Sapho (Reicha) Florestan (Garcia)
1823 : Virginie (Berton)
Lasthénie (Hérold) Vendôme en Espagne (Auber et Hérold)
1824 : les Deux Salem (Daussoigne)
Ipsiboé (Kreutzer)
1825 : Pharamond (Berton,
Boieldieu et Kreutzer) la Belle au Bois dormant (Carafa)
1826 : le Siège de Corinthe
(Rossini) Don Sanche (Liszt)
1827 : Moïse et Pharaon
(Rossini) Macbeth (Chelard)
1828 : la Muette de Portici
(Auber) le Comte Ory (Rossini)
1829 : Guillaume Tell (Rossini)
1830 : François 1er à
Chambord (Ginestet)