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Hommage à Carlo Felice Cillario,
maître du moderato mosso

Janvier 2008

Carlo Felice Cillario
© DR

Le Maestro Carlo Felice Cillario s’est éteint le 13 décembre 2007. Sa carrière fut marquée par une double grande rencontre : l’opéra romantique italien, dont on lui confia même d’importantes premières reprises modernes, comme celle de Caterina Cornaro, et la cantatrice Montserrat Caballé, qu’il guidera et dirigera dans de nombreuses œuvres alors peu jouées.




« Je te recommande le Duo de l’acte II
des deux hommes moderato mosso et la stretta »
Gaetano Donizetti à la création de Caterina Cornaro



Carlo Felice Cillario
est né le 7 février 1915 en Argentine, de parents originaires de Bologne, où sa famille devait retourner alors qu’il avait huit ans. Il suit des cours de violon au conservatoire de cette ville et une carrière de virtuose s’annonce, brisée par un accident de football. Il se tourne alors vers la direction d’orchestre dans laquelle il débute, à Odessa en 1942, avec Il Barbiere di Siviglia. Sa carrière internationale le mène dans les plus importantes maisons lyriques du monde, où il croise le chemin d’artistes prestigieux comme Renata Tebaldi, Leontyne Price, Renata Scotto, Leyla Gencer, Giuseppe Taddei… et bien sûr Maria Callas dans cette mémorable Tosca de Covent Garden, en 1964, dans laquelle la diva, aux côtés du sensible ténor Renato Cioni, retrouvait « son » baron Scarpia, monstre sacré comme elle : Tito Gobbi.

Renato Cioni, Maria Callas et le Maestro Cillario (Tosca, Covent Garden 1964).


Cette même année allait frapper un grand coup dans la Donizetti Renaissance : le Teatro San Carlo de Naples se hasarde à remonter Roberto Devereux autour de la personnalité de Leyla Gencer. Le succès est étourdissant et met en lumière la stupéfiante constatation de découvrir la force dramatique d’un opéra écrit  avant ceux de Verdi. Cette importante reprise devait décider du retour de Roberto Devereux au répertoire international. C’est là qu’intervient la double rencontre du Maestro : avec l’opéra romantique italien, revenu en force au répertoire des théâtres du monde, et d’autre part avec celle qui allait devenir l’une de ses plus grandes interprètes, la cantatrice Montserrat Caballé, que le Maestro dirigera dans de nombreuses œuvres alors peu jouées.

En 1967, à peine le Mai Musical Florentin remet-il Maria Stuarda à la lumière (elle avait pourtant été ressuscitée par le Teatro Donizetti de Bergame en 1958), que Montserrat Caballé et le Maestro Cillario s’en emparent-ils, se retrouvant par la suite plusieurs fois interprètes de l’œuvre. On se souvient notamment de la production du Teatro alla Scala, en avril 1971, dans laquelle le Maestro atteignait à une force dramatique rappelant le chef le plus théâtral qui soit, Francesco Molinari Pradelli. La strette finale de l’acte II et sa charge orchestrale, doublée et couronnée de roulements de timbales comme jamais on ne l’entendit ni avant ni après, donnait véritablement la chair de poule.

On fit même appel à Carlo Felice Cillario pour des premières reprises modernes, comme à l’occasion de la « résurrection » de la somptueuse Caterina Cornaro, que le Teatro San Carlo de Naples remonta en 1972, avec Leyla Gencer, Renato Bruson et Giacomo Aragall, exécution insurpassée et devenue référence. Il faut en effet entendre le tempo idéal avec lequel il sert l’œuvre, et en particulier un passage tenant à cœur au « Maestro Créateur », Gaetano Donizetti, ce moderato mosso du duo ténor-baryton. Le mosso ou « mouvement », traduisant l’allant, le panache un peu ostentatoire romantique, et le moderato, « modérant » précisément cet allant, d’une tendresse chaleureuse, griffe du Maître de Bergame.
Caterina Cornaro est du reste un bel exemple soulignant l’évolution du Maestro. Il devait en effet reprendre l’oeuvre à Londres (avec M. Caballé et J. Carreras) et nous offrir une direction différente !  Autant à Naples les tempi étaient retenus, alanguis, autant ils étaient resserrés, vibrants et nerveux à Londres. Toujours avec Montserrat Caballé, Carlo Felice Cillario devait graver deux disques de raretés comprenant des extraits pratiquement inconnus de Rossini et tirés de La Donna del lago, L’Assedio di Corinto ou Otello.

Donizetti voyait, lui, remettre à la lumière des airs oubliés de Torquato Tasso, Gemma di Vergy, Belisario et le splendide Finale de Parisina, (sans les coupures de l’intégrale Caballé/Queler et avec une direction plus dramatique).

En 1988 le Teatro Donizetti de Bergame reprenait l’inconnu Gianni di Parigi et le Maestro Cillario était à la tête de l’exécution musicale. Le terme italien de « gentilezza », condensé d’élégance noble et d’amabilité, convient parfaitement pour qualifier cette rencontre du Maestro avec l’opéra. Après avoir en effet insufflé à ses sensibles interprètes, Luciana Serra et Giuseppe Morino, la manière d’appréhender cette partition, il devait en effet distiller avec grâce et poésie la délicieuse musique de Donizetti et nous faire découvrir un opéra bouffe charmant au possible, rassemblant en lui la quintessence du génie donizettien : la grâce chaleureuse, la ferveur passionnée mais élégante.

Carlo Felice Cillario devait compléter son répertoire donizettien avec Lucia di Lammermoor (notamment dans un film avec Anna Moffo), L’Elisir d’amore, Don Pasquale… et rien moins que La Favorita avec Luciano Pavarotti.

La collaboration avec Montserrat Caballé « hors Donizetti » exista également ! Deux perles romantiques d’abord, Il Pirata et Norma (dont une intégrale en studio) mais également La Traviata, notamment avec Nicolai Gedda, et Il Trovatore (avec Leontyne Price et Fiorenza Cossotto) mais aussi dans La Vestale, Manon, Manon Lescaut, La Bohème
D’autre part, le Maestro devait revisiter d’autres raretés, n’appartenant pas forcément au Romantisme italien, comme La Figlia di Jorio de Pizzetti, Ascanio in Alba et Lucio Silla de Mozart, Il Fanatico burlato de Cimarosa…

Il fut directeur puis chef affectueusement invité à l’Opéra d’Australie jusqu’en 2003, moment de son concert d’adieu où il débordait toujours d’une étonnante vitalité.

S’il nous est permis un souvenir personnel, en guise de salutation : nous reverrons toujours cet inconnu maigre et nerveux, en chemise à carreaux, se précipiter vers Renato Bruson et se congratulant avec lui, alors que le grand baryton recevait en 1997 le Prix Donizetti, précisément sur la scène du Teatro Donizetti de Bergame !  A leur côté, également à l’honneur, un grand ténor, émouvant de noble contenance et de dignité courageuse car dans la douleur de la perte de son épouse : Alfredo Kraus. L’instant de stupeur passée, on devait se dire : « Mais bien sûr, ces traits, cette allure énergique : c’est le Maestro Cillario, profitant de sa présence à Bergame pour Don Pasquale, pour saluer son vieux compagnon donizettien Renato Bruson ! ».

Yonel Buldrini
décembre 2007

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