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Interview Thomas Dolié
20/03/08
© DR
Lauréat
en 2008 de la Victoire de la musique classique de la
« révélation artiste lyrique », le
jeune baryton Thomas Dolié,
né à Bordeaux en 1979, interpétera le
« Triptyque », op.23 de Richard Dubugnon
(né en 1968) à Radio France le 5 avril prochain. À
cette occasion, il nous parle de son rapport à la musique dite
« contemporaine », de ses rencontres avec les
compositeurs, de son approche.
Thomas Dolié :
« En tant que spectateur et mélomane, je dois d'abord
dire que pendant longtemps la musique dite
« contemporaine » m'a dérouté.
Jusqu'au jour où j'ai compris qu'il n'y avait pas
« la » musique contemporaine, mais d'innombrables
propositions musicales faites par des compositeurs d'aujourd'hui,
chacune explorant des voies complètement différentes de
l'autre. Du coup, il m'est impossible de dire « Je n'aime
pas la musique contemporaine » ou bien « J'aime
la musique contemporaine ». Il faut donc chercher,
écouter, et se laisser embarquer dans un univers... ou
non !
Mon premier contact avec un compositeur contemporain s'est produit au
lycée, en préparation de l'épreuve musique du Bac.
Nous devions préparer Mémoriale
de Boulez. Le coup de foudre n’a pas vraiment eu lieu. Cette
musique m'est apparue très exigeante et peu séduisante et
avec le recul, je ne suis pas sûr que cela m'ait incité
à en écouter d'avantage. Le vrai déclic s'est fait
au Conservatoire, à Bordeaux. Mon professeur, Irène
Jarsky, a beaucoup chanté de musique contemporaine dans sa
carrière, et elle tenait absolument à ce que toute la
classe, quel que soit le niveau de chacun, se frotte à cet
univers. Cela a commencé par La Cantatrice Chauve de Luciano Chailly, puis une création de Pascale Jakubowski, l'Ode à Mars sur un texte d'Eduardo Manet.
L'opéra de Chailly a été une
révélation de ce qu'un langage musical moderne pouvait
apporter au théâtre, et donc à l'opéra.
L'usage inhabituel (pour moi) des instruments, un clavecin au milieu
d'un orchestre moderne, des guitares, des instruments à vents
fantasques (je me souviens d'un sarussophone !!). Ce langage hors du
commun collait à merveille avec le décalage permanent de
la pièce d'Ionesco.
La rencontre avec Pascale Jakubowski fut encore plus
déterminante. J'ai touché du doigt pour la
première fois la sensation du « work in
progress ». L'œuvre était adaptée
à notre classe, aux moyens que nous avions, au lieu, et
malgré toutes ces contraintes, l'univers musical que Pascale
créait était immédiatement reconnaissable, par
rapport à ses œuvres antérieures. J'essaye de
poursuivre cette rencontre, et j'ai créé, lors d'un
récital à Radio-France, D-li,
une pièce que Pascale a composé pour l'occasion.
Là encore, plus de musique électro-acoustique, plus
d'instruments fantaisistes, juste une forme chanteur-piano, tout ce
qu'il y a de plus traditionnelle, et pourtant, l'univers sonore
est toujours bien reconnaissable. Je pense que c'est ce qui me touche
le plus dans la musique d'aujourd'hui, cette recherche de sensations
sonores nouvelles.
Cela évite de considérer ces musiques comme des "musiques
savantes". La complexité de l'écriture peut rebuter, mais
si on en fait abstraction, on pourra distinguer les musiques complexes
pour le plaisir de la complexité (c'était un peu le cas
de la pièce de Chailly), et celles qui essayent de traduire un
univers sonore.
En tant qu'interprète, on ne peut évidemment pas faire
abstraction de l'écriture, et il faut au contraire la
maîtriser à tel point qu'elle en devienne naturelle. Une
fois qu'on en est là, le vrai travail peut commencer, et en
fait, il n'est pas très différent de celui pour le lied
ou la mélodie. J'essaie, en général, de partir du
texte et de comprendre comment ou pourquoi ce texte a suscité
cette musique. C'est du texte que vient le phrasé, c'est de
l'expression du texte que viennent les nuances, les couleurs. La
pièce de Richard Dubugnon comporte d'ailleurs une partie
parlée, et le passage du chanté au parlé devrait
se faire de manière assez naturelle – après tout,
le parlé n'est qu'une couleur de voix supplémentaire dont
le chanteur dispose. »
Propos recueillis par Hélène Mante
20 Mars 2008
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