A une période où de nombreux chanteurs de
« l’Âge d’or » nous quittent, Wojtek Drabowicz, considéré comme l’un des
meilleurs Onéguine, Don Giovanni ou Simon Boccanegra de notre époque, a succombé
il y a quelques jours à une crise cardiaque, au volant de sa voiture. A l’orée
de sa brillante carrière, le baryton polonais a ainsi rejoint la liste des ces
artistes qui partent trop jeunes, trônant aux côtés d’un Fritz Wunderlich ou
d’une Susan Chilcott au paradis des chanteurs.
« Injuste ». Voilà ce qu’à l’instar de
nombreux mélomanes je me suis dit en apprenant le récent décès du baryton
polonais Wojtek Drabowicz. Avant de me rendre compte que cette crise cardiaque,
survenue au volant d’une voiture, n’était pas qu’injuste. Le décès d’un chanteur
est toujours une très mauvaise nouvelle. Même lorsque ce chanteur menait depuis
plusieurs décennies une vie recluse de retraité paisible. Astrid Varnay,
Elisabeth Schwarzkopf, Birgit Nilsson, Léopold Simoneau ou Anna Moffo, même
s’ils s’étaient tus avant que Drabowicz ne commence sa carrière internationale,
ne méritaient pas plus q’un autre de mourir.
Alors, la disparition de Wojtek Drabowicz, comment est-elle, en plus d’être
aussi injuste que les autres ? Elle est impardonnable. De nombreux
enregistrements, des films, des photographies, des récits sans nombre, voilà ce
qui nous console (un petit peu) de la mort de nos « Légendes du chant ». Mais là
où tant de témoignages, chez une Schwarzkopf ou un Ghiaurov, nous met du baume
au cœur, les quelques CD et DVD que nous laisse Drabowicz attisent nos regrets,
car ce sont autant de bons moments qui se sont interrompus trop vite, de
promesses qui n’auront pas pu être tenues, de belles fleurs dont on ne verra pas
les beaux fruits.
W. Drabowicz dans Don Giovanni à Barcelone –DVD disponible chez
Opus Arte
D’abord membre d’un chœur, Drabowicz commence sa carrière de soliste, fort d’un
beau palmarès (lauréat du Concours International Tchaïkovski, du Concours
International Belvédère à Vienne et du Concours de Chant Adal Didur en Pologne)
au Grand Théâtre de Poznan en 1989, dans un rôle qui deviendra une seconde peau
: Eugène Onéguine. Il restera troupier dans ce théâtre pendant 2 ans, se formant
un répertoire incluant Mozart (Papageno, Guglielmo, Don Giovanni, Il Comte d’Almaviva),
Rossini (Figaro), Verdi (Posa), le répertoire français (Escamillo, Pelléas), et
le Roi Roger. C’est dans ce rôle qu’il se fera particulièrement remarquer à
Paris, en remplaçant Thomas Hampson lors de représentations en version de
concert au Théâtre du Châtelet. La carrière internationale (Lyon, Edimbourg,
Berlin, Salzbourg,…), les rencontres (les chefs Abbado, Nagano, Dutoit, Viotti,
Rozhdestvensky, les metteurs en scène Brook, Vick, Mussbach, Mc Vicar, Herrmann,
Bondy,…), s’ensuivent. Et les acclamations du public et de la presse, en
particulier dans Simon Boccanegra, à Nantes, il y a moins d’un an (il avait été,
alors, comparé aux plus grands interprètes de cet exigeant personnage).
Et c’est autant de rencontres, de projets, et de succès avortés que l’on pleure
avec ce très beau baryton, déjà parti rejoindre ses meilleurs devanciers.