A
22 ans, alors qu’il est encore étudiant en dernière
année de la classe de composition de l’Académie
Franck Liszt, Laszlo Tihanyi lit la traduction hongroise du roman de François Mauriac, Genitrix,
et décide d’en faire un opéra en un acte. Il se
lance à corps perdu dans l’ouvrage au point d’en
achever la composition en quelques semaines. Il réalise alors
qu’il fait fausse route et jette à la corbeille tout son
travail, sans même vouloir en réutiliser une seule mesure.
Trente ans après, l’Opéra de Bordeaux lui offre
l’occasion de prendre sa revanche. Récit d’une
passion enfin assouvie.
"Après l’échec de mon premier Genitrix,
J’ai peu écrit pour les voix car j’avais du mal
à trouver des textes qui m’inspiraient. Et puis
j’étais arrêté par le style vocal de Kurtag,
le premier parmi la nouvelle génération des compositeurs
hongrois à avoir découvert une manière nouvelle et
personnelle de mettre la voix en musique. De ce fait, il m’a
fallu du temps pour inventer mon propre style en la matière.
Est-il d’ailleurs essentiel pour un compositeur
d’écrire un opéra ? Bach, Brahms, Mahler,
Boulez ont très bien réussi sans, autant que je
sache… ".
Peut-être parce que ces compositeurs n’avaient pas
rencontré l’auteur capable de leur donner l’envie de
tenter l’expérience. Laszlo Tihanyi, lui, depuis trente ans, essaie de comprendre sa relation avec l’univers de Mauriac et plus particulièrement avec Genitrix. Il fallait bien un jour ou l’autre que cela se traduise en musique. « Je
suis touché au plus profond de moi-même par
l’histoire et la destinée des personnages et la tristesse
infinie qui les habite… J’aime Mathilde,
Félicité et Fernand Cazenave autant – je pense
- que Mauriac lui-même les a aimés. Leur destin
n’est pas le mien mais je comprends combien il doit être
terrible de vivre avec une telle destinée. Leurs frustrations ne
sont pas les miennes mais j’en ai eu de similaires. Et je sais
combien cela peut-être destructeur quand quelqu’un veut
aimer, être aimé en retour mais est incapable d’aimer. »
Genitrix (maquette de la mise en scène)
Pour chacun des trois rôles principaux -
Félicité, la mère castratrice, Fernand, le fils
unique et Mathilde, la jeune épouse qui s’immisce entre
les deux - le type de voix s’est imposé sans
hésitation : contralto (Hanna Schaer), basse (Jean-Manuel
Candenot) et soprano lyrique (Sevan Manoukian). « Je
pense qu’il s’agit des tessitures qui correspondent le
mieux à leur caractères. Pour les femmes, j’ai
respecté la tradition : soprano pour la plus jeune et
contralto pour la plus âgée. Même s’il reste
un enfant par bien des côtés, Fernand a l’apparence
d’un homme mûr ; je l’ai donc voulu basse.
J’ai longtemps hésité pour le Docteur Duluc. Bien
qu’il ait le même âge que Fernand son
tempérament est plus simple, plus sage et en même temps
plus lyrique. J’ai donc décidé d’en faire un
ténor pour marquer leur différence, à
l’exemple d’ailleurs d’autres fameux docteurs
ténors dans l’opéra contemporain : Wozzeck d’Alban Berg ou Les trois sœurs de Peter Eötvös. »
Quant à la musique, d’après Christine Dormoy, le metteur en scène de Genitrix
à Bordeaux, elle a tantôt les sonorités de
Messiaen, tantôt celles de Ligeti, et des fulgurances dignes de
Bartók. « Bien que
je sois transporté par la musique de Messiaen, Saint
François d’Assise ne m’a pas inspiré, pas
plus d’ailleurs que Ligeti dont je trouve pourtant les
opéras très intéressants et extraordinaires
d’un point de vue musical mais trop différents du mien par
le sujet. Le Château de Barbe-Bleue
de Bartók est l’une de mes œuvres favorites mais il
y a aussi trois autres opéras qui sont très importants
pour moi et qui ont surement dû m’influencer : Les
deux opéras de Berg, Lulu et Wozzeck, et puis le merveilleux Pelléas et Mélisande
de Claude Debussy. Comment enfin ne pas citer Peter Eötvös
dont il m’a été difficile de ne pas suivre les
idées. Il m’a beaucoup appris ; nous sommes amis et
nous avons travaillé ensemble plusieurs fois ; j’ai
dirigé Les trois sœurs à Budapest, à Vienne et à Zagreb. Je pense néanmoins que si Genitrix
a bénéficié de tous ces opéras, il
n’en reste pas moins un travail indépendant et personnel
avec son propre style et sa propre personnalité. »
Genitrix
œuvre originale certes mais qui demeure fortement marquée
par la langue du livret, le français, l’une des plus
délicates à mettre en musique, encore plus quand il ne
s’agit pas de sa langue maternelle. « J’ai
effectivement dû prendre en compte les particularités de
la prosodie française. J’ai pour cela étudié
beaucoup d’opéras français, Pelléas et Mélisande en tête. J’ai été aussi beaucoup aidé par Alain Surrans qui tout au long de la composition m’a conseillé, voire corrigé. »
Alain Surrans, l’homme clé du « projet
Genitrix », celui qui a non seulement apporté la
solution à un grand nombre de problèmes soulevés
par la composition de l’œuvre, tant au niveau de la musique
que du livret, mais celui aussi qui se trouve à l’origine
de la collaboration avec l’Opéra de Bordeaux. « En
fait, Thierry Fouquet n’a pas été très
difficile à convaincre. Quand Alain Surrans et moi-même
l’avons rencontré pour lui présenter le projet, il
a immédiatement donné son accord. Mon contact avec
l’équipe en place a été très
positif ; tout le monde s’est révélé
amical et serviable. Et puis je suis vraiment très heureux
d’avoir une première mondiale dans un édifice aussi
magnifique que le Grand Théâtre de Bordeaux. »
Le lieu de la création de Genitrix
n’a cependant pas eu d’influence sur sa composition.
Même si Laszlo Tihanyi a eu souvent l’occasion
d’être en contact avec le public français comme
compositeur mais aussi comme chef d’orchestre, il affirme ne pas
le connaître suffisamment pour pouvoir écrire une musique
en fonction de ses goûts. « D’une
manière générale d’ailleurs, je ne tiens pas
compte de l’audience. Je pense simplement que si je trouve mon
travail très bon, le public l’appréciera aussi. Il
y a cependant dans Genitrix,
outre l’histoire, un certain nombre de caractéristiques
qui devrait séduire le public français : une
orchestration colorée, une musique avec des structures
établies mais flexibles, basée sur un système
clair d’accords, une ligne mélodique richement
ornementée… »
Après avoir été dirigée à Bordeaux
du 25 novembre au 1er décembre 2007 par le compositeur
lui-même, Genitrix
connaîtra sans doute le sort incertain des œuvres lyriques
contemporaines. Un opéra n’entre plus aujourd’hui au
répertoire en une seule série de
représentations ; l’épreuve du temps est
inévitable. Laszlo Tihanyi, quant à lui, semble
désormais atteint par le virus du théâtre
« Depuis une dizaine d’années, je
m’intéresse de plus en plus à l’opéra
et aux autres types de musique de scène. Je ne
m’arrêterai sûrement pas à Genitrix.
Je pense que le théâtre inspire de plus en plus les
compositeurs et sera dans un futur proche l’un des territoires
favoris de la musique contemporaine. »
Propos recueillis et réunis par Christophe RIZOUD
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Genitrix, opéra en deux
tableaux d'après François Mauriac, composé et
dirigé par László Tihany, mis en scène par
Christine Dormoy ; Une commande de l'Opéra National de
Bordeaux en création mondiale du 25 Novembre au 1er
Décembre 2007.
En savoir plus : fiche spectacle sur le site de l'opéra de Bordeaux
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