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Genitrix à l’Opéra de Bordeaux : la passion assouvie

15/11/07

Laszlo Tihanyi © DR

A 22 ans, alors qu’il est encore étudiant en dernière année de la classe de composition de l’Académie Franck Liszt, Laszlo Tihanyi lit la traduction hongroise du roman de François Mauriac, Genitrix, et décide d’en faire un opéra en un acte. Il se lance à corps perdu dans l’ouvrage au point d’en achever la composition en quelques semaines. Il réalise alors qu’il fait fausse route et jette à la corbeille tout son travail, sans même vouloir en réutiliser une seule mesure. Trente ans après, l’Opéra de Bordeaux lui offre l’occasion de prendre sa revanche. Récit d’une passion enfin assouvie.





"Après l’échec de mon premier Genitrix, J’ai peu écrit pour les voix car j’avais du mal à trouver des textes qui m’inspiraient. Et puis j’étais arrêté par le style vocal de Kurtag, le premier parmi la nouvelle génération des compositeurs hongrois à avoir découvert une manière nouvelle et personnelle de mettre la voix en musique. De ce fait, il m’a fallu du temps pour inventer mon propre style en la matière. Est-il d’ailleurs essentiel pour un compositeur d’écrire un opéra ? Bach, Brahms, Mahler, Boulez ont très bien réussi sans, autant que je sache… ".
Peut-être parce que ces compositeurs n’avaient pas rencontré l’auteur capable de leur donner l’envie de tenter l’expérience. Laszlo Tihanyi, lui, depuis trente ans, essaie de comprendre sa relation avec l’univers de Mauriac et plus particulièrement avec Genitrix. Il fallait bien un jour ou l’autre que cela se traduise en musique. « Je suis touché au plus profond de moi-même par l’histoire et la destinée des personnages et la tristesse infinie qui les habite… J’aime Mathilde, Félicité et Fernand Cazenave autant – je pense -  que Mauriac lui-même les a aimés. Leur destin n’est pas le mien mais je comprends combien il doit être terrible de vivre avec une telle destinée. Leurs frustrations ne sont pas les miennes mais j’en ai eu de similaires. Et je sais combien cela peut-être destructeur quand quelqu’un veut aimer, être aimé en retour mais est incapable d’aimer. »


Genitrix (maquette de la mise en scène)

Pour chacun des trois rôles principaux - Félicité, la mère castratrice, Fernand, le fils unique et Mathilde, la jeune épouse qui s’immisce entre les deux - le type de voix s’est imposé sans hésitation : contralto (Hanna Schaer), basse (Jean-Manuel Candenot) et soprano lyrique (Sevan Manoukian). « Je pense qu’il s’agit des tessitures qui correspondent le mieux à leur caractères. Pour les femmes, j’ai respecté la tradition : soprano pour la plus jeune et contralto pour la plus âgée. Même s’il reste un enfant par bien des côtés, Fernand a l’apparence d’un homme mûr ; je l’ai donc voulu basse. J’ai longtemps hésité pour le Docteur Duluc. Bien qu’il ait le même âge que Fernand son tempérament est plus simple, plus sage et en même temps plus lyrique. J’ai donc décidé d’en faire un ténor pour marquer leur différence, à l’exemple d’ailleurs d’autres fameux docteurs ténors dans l’opéra contemporain : Wozzeck d’Alban Berg ou Les trois sœurs de Peter Eötvös. »

Quant à la musique, d’après Christine Dormoy, le metteur en scène de Genitrix à Bordeaux, elle a tantôt les sonorités de Messiaen, tantôt celles de Ligeti, et des fulgurances dignes de Bartók. « Bien que je sois transporté par la musique de Messiaen, Saint François d’Assise ne m’a pas inspiré, pas plus d’ailleurs que Ligeti dont je trouve pourtant les opéras très intéressants et extraordinaires d’un point de vue musical mais trop différents du mien par le sujet. Le Château de Barbe-Bleue de Bartók est l’une de mes œuvres favorites mais il y a aussi trois autres opéras qui sont très importants pour moi et qui ont surement dû m’influencer : Les deux opéras de Berg, Lulu et Wozzeck, et puis le merveilleux Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Comment enfin ne pas citer Peter Eötvös dont il m’a été difficile de ne pas suivre les idées. Il m’a beaucoup appris ; nous sommes amis et nous avons travaillé ensemble plusieurs fois ; j’ai dirigé Les trois sœurs à Budapest, à Vienne et à Zagreb. Je pense néanmoins que si Genitrix a bénéficié de tous ces opéras, il n’en reste pas moins un travail indépendant et personnel avec son propre style et sa propre personnalité. »

Genitrix œuvre originale certes mais qui demeure fortement marquée par la langue du livret, le français, l’une des plus délicates à mettre en musique, encore plus quand il ne s’agit pas de sa langue maternelle. « J’ai effectivement dû prendre en compte les particularités de la prosodie française. J’ai pour cela étudié beaucoup d’opéras français, Pelléas et Mélisande en tête. J’ai été aussi beaucoup aidé par Alain Surrans qui tout au long de la composition m’a conseillé, voire corrigé. »

Alain Surrans, l’homme clé du « projet Genitrix », celui qui a non seulement apporté la solution à un grand nombre de problèmes soulevés par la composition de l’œuvre, tant au niveau de la musique que du livret, mais celui aussi qui se trouve à l’origine de la collaboration avec l’Opéra de Bordeaux. « En fait, Thierry Fouquet n’a pas été très difficile à convaincre. Quand Alain Surrans et moi-même l’avons rencontré pour lui présenter le projet, il a immédiatement donné son accord. Mon contact avec l’équipe en place a été très positif ; tout le monde s’est révélé amical et serviable. Et puis je suis vraiment très heureux d’avoir une première mondiale dans un édifice aussi magnifique que le Grand Théâtre de Bordeaux. »

Le lieu de la création de Genitrix n’a cependant pas eu d’influence sur sa composition. Même si Laszlo Tihanyi a eu souvent l’occasion d’être en contact avec le public français comme compositeur mais aussi comme chef d’orchestre, il affirme ne pas le connaître suffisamment pour pouvoir écrire une musique en fonction de ses goûts. « D’une manière générale d’ailleurs, je ne tiens pas compte de l’audience. Je pense simplement que si je trouve mon travail très bon, le public l’appréciera aussi. Il y a cependant dans Genitrix, outre l’histoire, un certain nombre de caractéristiques qui devrait séduire le public français : une orchestration colorée, une musique avec des structures établies mais flexibles, basée sur un système clair d’accords, une ligne mélodique richement ornementée… »

Après avoir été dirigée à Bordeaux du 25 novembre au 1er décembre 2007 par le compositeur lui-même, Genitrix connaîtra sans doute le sort incertain des œuvres lyriques contemporaines. Un opéra n’entre plus aujourd’hui au répertoire en une seule série de représentations ; l’épreuve du temps est inévitable. Laszlo Tihanyi, quant à lui, semble désormais atteint par le virus du théâtre « Depuis une dizaine d’années, je m’intéresse de plus en plus à l’opéra et aux autres types de musique de scène. Je ne m’arrêterai sûrement pas à Genitrix. Je pense que le théâtre inspire de plus en plus les compositeurs et sera dans un futur proche l’un des territoires favoris de la musique contemporaine. »


Propos recueillis et réunis par Christophe RIZOUD



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Genitrix
, opéra en deux tableaux d'après François Mauriac, composé et dirigé par László Tihany, mis en scène par Christine Dormoy ; Une commande de l'Opéra National de Bordeaux en création mondiale du 25 Novembre au 1er Décembre 2007.

En savoir plus : fiche spectacle sur le site de l'opéra de Bordeaux

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