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Hans Graf

"Je ne pourrais pas vivre sans Boris"



© DR
Je ne pourrais pas vivre sans Boris


Hans Graf dirigera Boris Godounov en juin et juillet à Strasbourg puis à Mulhouse. Il s’agit d’une coproduction entre l’Opéra du Rhin, le Teatro Real de Madrid et la Monnaie de Bruxelles qui accueillit sa création la saison passée, sous la direction musicale de Kazushi Ono.

Hans Graf reprend la baguette à Strasbourg et hérite donc des choix de Kazushi Ono et Klaus Michael Grüber, le metteur en scène, en ce qui concerne la version. L’opéra de Moussorgsky connut en effet deux moutures (1869 et 1872) mais il est rarement présenté dans l’une ou l’autre d’entre elles, les productions présentant le plus souvent un mélange des deux. C’est le cas pour celle-ci.

Dialogue à bâtons rompus autour des différentes versions, du chant et de l’orchestre moussorgskiens.





Quelle est exactement la version choisie pour cette production ? S’agit-il de la version primitive de 1869 ou de la révision de 1872 ?
 
Celle de 1872, sans l’acte polonais [propre à la version de 1872] mais avec la scène de la Cathédrale Saint-Basile [propre à la version de 1869].

C’est donc un mélange des deux versions alors ?

Oui, comme toujours... ! Je n’avais pas le choix mais j’aurais choisi cette version car il y a des pages dont je ne peux pas me passer, notamment dans la scène de la Cathédrale Saint-Basile.

Mais pourquoi ne pas jouer textuellement soit la version de 1869 soit celle de 1872 ?

J’ai entendu une explication qui m’a frappé : ceux qui choisissent ces mélanges entre les deux versions disent que même Moussorgsky ne savait pas ce qu’il voulait...

Pourtant, ces deux versions sont bel et bien achevées par Moussorgsky... ! N’y a-t-il pas là un peu de mauvaise foi ?

Il est sûr que personne n’oserait faire ça avec Wagner par exemple...

Revenons-en à Boris. Quels sont les avantages et inconvénients de la version que vous dirigez ?

« Idéologiquement », on a besoin du tableau de la forêt de Kromy [le dernier tableau, qui conclut sur la révolte du peuple et l’ascension du faux tsarévitch Dmitri]. La mort de Boris n’est pas la fin de l’histoire. Certes, avec cette version, on se retrouve avec deux fois la scène de l’Innocent [à la fin de la scène de la Cathédrale Ste-Basile et à la fin de scène de la Forêt de Kromy], mais pour moi, ce n’est pas un problème qu’il chante deux fois la même chose car en vérité il dit toujours la même chose à tout le monde, et c’est malheureusement toujours vrai... même s’il ne le sait pas !

L’acte polonais me manque un peu, notamment la musique du rôle de Rangoni, mais son absence permet de centrer davantage l’action sur Boris que sur Dmitri.

Mais, pour vous, la version de 1872 constitue-t-elle un perfectionnement par rapport à la version de 1869, ou est-ce une œuvre différente ?

Moussorgsky a fait un bon travail pour rendre l’œuvre plus « digeste » pour le Théâtre Marynski et les convenances de l’époque.

Quel est votre Boris idéal ?

La version de 1872 mais avec la scène de la Cathédrale Saint-Basile. Je ne peux pas vivre sans cette scène ! Elle comporte le plus grand chœur que Moussorgsky ait écrit et puis il y a cette transition avec la scène entre l’Innocent et Boris... c’est génial !

Pouvez-vous nous parler de l’orchestre de Moussorgsky ?

Les idées sont très bonnes. Moussorgsky a eu le courage d’éviter les sentiers usés et tout est vraiment original, mais il est aussi vrai qu’il y a des choses étranges, par exemple des « oublis » [Hans Graf montre un passage où les alti ne jouent pas pendant plusieurs pages, ou encore, à la fin du Couronnement, l’absence des cors dans l’accord final alors qu’ils jouent auparavant]. Ca n’est pas un reproche, mais c’est un constat et un questionnement...

Avez-vous retouché la partition pour pallier ces manques ?

Je suis les suggestions de David Lloyd-Jones dans son édition de 1975. Mais j’en reviens aux particularités de cette œuvre. Cette musique n’est pas qu’un « récitatif continu » comme on a pu parfois le dire, c’est beaucoup plus que cela, c’est un fleuve de musique. Le développement dramatique impose le tempo qui est donc très variable.

J’allais justement vous demander si le chant moussorgskien, que l’on sait proche des inflexions du parlé et donc difficile pour le chanteurs, est aussi une difficulté pour le chef d’orchestre, notamment du point de vue de la synchronisation entre les chanteurs et l’orchestre...

C’est une des choses les plus délicates qui existe. Il faut parfaitement connaître le texte, la valeur, le poids des mots. Si on ne parle pas russe, on peut deviner mais on ne peut être au plus proche du discours moussorgskien. A ce titre, John Tomlinson qui incarne Boris ici a fait un travail remarquable. D’après les chanteurs russes qui participent à la production, Tomlinson est, avec Furlanetto, le meilleur Boris actuel à l’Ouest. Boris doit être une brute avec un cœur d’or. Tomlinson est à ce titre parfait. Avec toute l’admiration que j’ai pour Van Dam [qui a créé cette production à Bruxelles], je le trouve trop distingué pour ce personnage.

Que pensez-vous du reproche traditionnel que l’on fait à l’orchestration de Moussorgsky, voire à son écriture de manière plus générale ? Etes-vous d’accord ?

Je ne suis, à 98 %, pas d’accord pour lui reprocher qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Il a trouvé tellement de belles choses. Mais je dois dire que j’ai été habitué à la réorchestration de Boris par Rimsky-Korsakov. Sans lui, l’œuvre serait peut-être inconnue. Rimsky a permis à l’œuvre de passer quelques décades sous sa réécriture et de s’imposer ensuite dans sa version originale (ce que Rimsky avait d’ailleurs prévu).

Cette version de Rimsky-Korsakov mais aussi celle de Chostakovitch (qui réorchestra à son tour l’ouvrage en 1940) ont-elle encore intérêt à être jouées aujourd’hui ?

Pour moi, non. Ces deux musiciens, Rimsky-Korsakov et Chostakovitch, sont des créateurs géniaux, dont le style ne peut forcément que transparaître dans leur travail sur Boris. Boris par Rimsky, c’est du Rimsky, pas du Moussorgsky. Ca n’a plus d’intérêt aujourd’hui de jouer ces versions, tout comme jouer les symphonies de Schumann réorchestrées par Mahler. Mon travail de kapelmeister est de gérer l’équilibre instrumental pour rendre claire la structure mais sans changer les couleurs.

Gardiner dit qu’en dirigeant Schumann sur instruments anciens, tous ces problèmes se résolvent d’eux mêmes...

Mais que non ! C’est chic, c’est formidable de dire cela mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ce n’est pas uniquement un problème instrumental, Schumann avait un idéal qui était indépendant des sonorités d’un orchestre, ce qui peut donner des choses étranges à nos oreilles, mais c’est bien cela qu’il voulait.

C’est un peu comme chez Moussorgsky

Oui, c’est ce qui le rend unique. Vous savez, je ferais des kilomètres à pied pour diriger Boris, même un seul acte !


Entretien : Pierre-Emmanuel Lephay
Strasbourg, 8 juin 2007

Boris Godounov
Direction musicale : Hans Graf
Mise en scène : Klaus Michael Grüber
Avec : John Tomlinson, Alexander Kisselev, Vsevolod Grivnov, Vladimir Matorin, Ian Caley...
Strasbourg : 15, 17, 19, 21, 23 et 25 juin et Mulhouse : 1 et 3 juillet.
Renseignements : www.opera-national-du-rhin.com


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