Ancien directeur musical de l’Opéra d’Amsterdam, Hartmut Haenchen
est dans la fosse de l’Opéra Bastille pour diriger
Parsifal. L’occasion pour le chef allemand de nous expliquer son
travail avec Wagner (entre autres…).
Vous
êtes connu du public français, surtout pour vos
productions à l’Opéra de Paris. L’art lyrique
domine t-il ainsi l’ensemble de votre carrière ?
Pas vraiment. J’essaie de partager ma carrière, de
façon équilibrée, entre trois grands
« pôles » : le grand répertoire
symphonique, la musique pour orchestre de chambre, et
l’opéra.
Vous êtes l’un des premiers à avoir appliqué à Wagner des travaux musicologiques…
Je le fais pour tous les compositeurs que je dirige (rires) !
Que ce soit Wagner, Bach, Mozart, Brahms ou Mahler, j’accorde
beaucoup d’importance à
« l’authenticité » des
interprétations. Je n’ai jamais vraiment cru en la
tradition, car elle n’a pas toujours de légitimité
historique, et donc pas de grand intérêt. Parfois, la
musique est utilisée à différentes fins,
politiques par exemple (Wagner en sait malheureusement quelque
chose !). Quand je dirige Wagner, j’essaie simplement de
voir la partition, de la meilleure façon possible,
c’est-à-dire en recherchant des documents historiques, des
indications contemporaines au compositeur. Dans le cas de Wagner, on
trouve aisément beaucoup de remarques assez précises sur
l’interprétation, mais également des indications
plus personnelles, qui concernent sa vision du monde, sa
réflexion sur la vie ! Il ne s’agit pas de fouiller
dans de vieux papier, mais simplement de cerner au plus près la
vérité du compositeur.
Avant cette production parisienne, votre dernier Parsifal remonte à 1994. Qu’est-ce qui a changé, en quinze ans ?
J’essaie toujours d’étudier les œuvres du mieux que je le peux, mais lors de mon premier Parsifal,
je n’avais pas eu le temps de me préparer comme je
l’aurais souhaité. Par la suite, je n’ai pas
cessé de me renseigner, et mon travail d’aujourd’hui
est très différent de ce que je faisais avant, car
j’ai obtenu de nombreux documents, et beaucoup
d’informations, datant notamment de 1882, année de la
création de Parsifal. J’ai eu la chance de me
préparer longtemps à l’avance, et d’apprendre
beaucoup de choses ! Un moment important de ma vie a
été le Parsifal
de Boulez à Bayreuth – pas le dernier qui date de 2004
mais le premier, dans les années 60. Parsifal n’avait
jamais été pensé, dirigé et chanté
comme ça auparavant ! Pour le jeune chef que
j’étais, qui voulait tout changer, ce fut une grande
expérience (rires).
On peut donc faire un rapprochement entre votre lecture et celles entreprises naguère par Boulez ?
La principale différence, c’est que
Boulez n’avait pas bénéficié, à
l’époque, d’autant de sources que moi actuellement.
Mais Boulez a un grand « feeling » avec cette
musique, qu’il dirige en tant que compositeur, en faisant avant
tout attention aux structures. Et c’est aussi ce que je trouve
important, et ce que j’essaie de faire. Je ne suis pas Pierre
Boulez, nos interprétations sont différentes, mais sur
plusieurs points, je suis tout-à-fait d’accord avec ce
qu’il a fait dans cette œuvre !
Vous
l’évoquiez, vous êtes allé à Bayreuth
au cours des années 60… la tradition, toujours
très forte à cette époque, vous agaçait
déjà ?
J’ai tout de même grandi avec la
tradition : ma mère, grande wagnérienne, m’a
fait écouter mon premier Ring
à la radio quand j’étais bébé !
J’ai grandi avec la musique de Wagner, et avec les
interprétations des années 40 et 50. La
possibilité, ensuite, d’aller à Bayreuth, pour un
jeune chef de RDA, était une grande chance. J’en remercie
encore Wolfgang Wagner. Je pensais alors surtout à mon bonheur
d’être là pour assister aux
répétitions.
Votre travail se distingue notamment par une disposition spéciale des instruments…
Là encore, il ne s’agit que d’un
simple retour aux sources ! Des documents datant des
premières répétitions de Parsifal
révèlent que les collaborateurs de Wagner
n’étaient pas attachés à un son
« énorme ». Le point principal est une
balance orchestrale sensiblement différente à ce que
l’on a l’habitude d’entendre, avec un fort pupitre de
violoncelles. Je place alors l’ensemble des violoncelles à
ma gauche, dans la fosse, ce qui me conduit à situer les
premiers violons à ma droite. Cette différence à
son importance, et je suis heureux d’avoir eu en face de moi les
musiciens de l’Opéra, qui ont été
très motivés. Souvent, quand on écoute Parsifal,
on a l’impression que les contrebasses dominent la masse
orchestrale (au moins parmi les cordes). En fait, la base de
l’orchestre, dans Parsifal, sont les violoncelles. Un travail
particulier a été mené par ailleurs sur le son des
cloches. A son époque, Wagner avait utilisé des
tam-tams (quatre), mais ça ne l’avait guère
convaincu à cause de la justesse. Aujourd’hui bien
sûr, il y a des moyens électroniques, mais ici nous avons
préféré mêler des gongs accordés
à des tam-tams et des cordes de piano (de grosses cordes de
piano constituant la méthode traditionnelle de jouer ce son de
cloches). Enfin, pour la « machine à
tonnerre dans le théâtre» dont parle Wagner,
nous avons utilisé une espèce d’immense tambour,
prêté par l’Opéra d’Amsterdam qui
l’avait conçu en 2005 d’après un instrument
original retrouvé à Bayreuth, et don je
m’étais déjà servi dans mon enregistrement
du Ring (pour la tempête au début de la Walkyrie).
Lorsque l’on
travaille avec des wagnériens aguerris, n’est-ce pas
difficile de leur faire partager vos propres idées sur
l’interprétation ?
Je fais confiance à l’ouverture
d’esprit des chanteurs, qui sont le plus souvent
intéressés d’apprendre de nouvelles choses. En
l’occurrence, j’ai la chance d’avoir à Paris
une équipe très attentive à ce qui était le
plus important, pour Wagner : l’articulation du texte.
Wagner disait : « Ne chantez pas
trop » ! Il préférait les chanteurs qui
rendaient chaque mot audible à ceux qui ne faisaient que du
« gros son ». Franz-Josef Selig a par exemple
très bien compris la filiation qui existe entre Gurnemanz
(rôle long mais moins théâtral que Kundry ou
Parsifal) et l’Evangéliste de la Passion selon Saint-Matthieu
de Bach ! Cette manière de chanter, en privilégiant
le phrasé et la diction, va très bien avec ma
façon de diriger.
Krzyzstof Warlikowski
signe une mise en scène très controversée.
Trouvez-vous que son spectacle donne assez le « temps et
l’espace », évoqués par Gurnemanz, et
auxquels vous faîtes très attention ?
Selon moi,… pas assez. Je présenterais
cette double-notion, effectivement essentielle, d’une
façon différente… que dire ? Sur certains
points, si l’on fait abstraction des décors et des
costumes, il semble que ce spectacle est plutôt traditionnel.
C’est paradoxal, et assez étrange. Au début, lors
de la projection du film de Kubrick, on s’attend à quelque
chose de spectaculaire et de très radical dans une direction
précise, mais en fait la mise en scène fourmille de
bonnes idées sans suivre pour autant une véritable ligne
directrice. Par ailleurs, Warlikowski, n’étant pas
musicien, s’est révélé très ouvert
à la discussion avec les chanteurs et avec moi-même,
toujours prêt à tenter de nouvelles expériences ou
à échanger les points de vue.
Vous dirigez beaucoup en
Allemagne ; que pensez-vous des mises en scène du style
« Regietheater », de ces spectacles très
modernes ?
C’est une longue histoire… (rires)
Si l’on regarde l’évolution des mises en
scène, depuis une cinquantaine d’années, on
distingue d’un côté des metteurs en scène qui
connaissent très bien la musique, et adaptent leurs spectacles
aux différentes « contraintes » musicales
que l’on peut rencontrer (Harry Kupfer, Götz
Friedrich,… ils forment, selon moi, le mouvement le plus
important), et d’autre part des metteurs en scène comme
Ruth Berghaus, qui défendent le Regietheater qui s’est
développé dans toute l’Europe, mais qui sont
souvent sans formation musicale. Aujourd’hui encore, il existe
des metteurs en scène très musicaux (comme Willy Decker),
qui font un travail approfondi sur la partition, mais il y a beaucoup
d’artistes qui viennent du cinéma, ou du
théâtre, et qui font leurs débuts à
l’opéra. Ils n’ont guère de connaissances
musicales, et ne sont pas opposé au fait de modifier certains
passages de la partition ou du livret. Mais la partition et le livret,
c’est la base de l’œuvre, ils ne doivent pas
être modifiés ! Je ne veux pas être complice de
ce genre de productions. Je suis ouvert à la création, et
à la modernité, mais le seul point sur lequel je suis
vraiment strict, c’est le respect de l’œuvre. Il y a
beaucoup de mises en scènes qui me plaisent beaucoup, comme le Ring
de Pierre Audi, que j’ai dirigé à Amsterdam.
C’est un spectacle pour lequel nous avons tous longuement
travaillé, et je suis très fier du résultat :
l’idée de placer la fosse d’orchestre vers le milieu
de la scène permet aux chanteurs, lorsqu’ils sont à
l’avant-scène, d’avoir un contact direct avec le
public, un peu comme à Bayreuth ! Un jour, pourquoi pas,
j’aimerais bien réaliser moi-même des mises en
scène…
Pour les prochaines années, à l’Opéra de Paris ou ailleurs, avez-vous des projets en France ?
Je reviendrai l’année prochaine diriger à Bastille Lady Macbeth
de Mzensk, de Chostakovitch (incroyable, mais éprouvant !).
D’autres projets sont à l’étude, y compris
avec l’Orchestre de Paris, mais c’est encore un peu
lointain pour en parler précisément…
Nous avons beaucoup parlé de Wagner et de Parsifal,
mais vous dirigez un vaste répertoire… Y’a-t-il un
pan du répertoire que vous regrettez de ne pas jouer
souvent ?
Oui, le répertoire français !
(rires) J’ai dirigé plusieurs opéras
français, comme Samson et Dalila, ou la Damnation de Faust,
mais je ne m’y sentais pas très bien, tout simplement
parce que je ne maîtrise pas très bien la langue
française. Or, il est important pour moi de donner des conseils
sur le phrasé, la diction, d’en discuter avec les
chanteurs. Pour Parsifal, nous avons beaucoup travaillé avec
Waltraud Meier sur l’accentuation de certains mots, ou de
certaines syllabes, mais en français je ne pourrais pas mener un
tel travail. Bien sûr, il y a des coachs, mais les coachs ne
peuvent pas nous apprendre l’utilisation de toutes les
subtilités du langage. Dommage, j’adore Pelléas et Mélisande… !
Propos recueillis et traduits par Clément Taillia
Paris, le 22 mars 2008.
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Compte rendu de Parsifal
Site d'Harmut Haenchen
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