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Mise en scène d'opéra, halte à la gabégie !
[Billet d'humeur]
(Détail du lustre de l'opéra Garnier - Paris)
© DR
Les
grèves qui ont secoué le petit monde lyrique
français (pour ne rien dire de l’Italie, qui n’en
est plus à prendre l’eau, mais semble près de
couler dans la tourmente – un trou de 29 millions d’euros
pour Naples, la Scala qui annule Tristan
après la Première télévisée…)
auront eu un mérite : prouver, si besoin était, que
l’opéra, c’est d’abord et avant tout de la
musique. En effet, Le Monde a bien souligné, dans son papier rendant compte du Tannhäuser
donné en version concert à la Bastille le 6
décembre dernier, qu’il s’agissait là de la
première production de la saison à ne pas se faire
copieusement huer par le public. Bien au contraire, ce fut une ovation
énorme (et méritée) tant pour la fosse que pour
les chanteurs, qui portaient donc à eux seuls le drame mis en
musique par Wagner. Pour une fois, on pouvait entendre, on pouvait
écouter, et ce qu’on entendait ressemblait à ce
qu’on voyait. Disons-le autrement : pour une fois,
l’écoute ne fut jamais contrariée par ce qui
était donné à voir – et pour cause ! On
en était arrivé à oublier que cela pût
exister. Des exemples ? Une Daphné
de Peter Konwitschny où les bergers miment une partouse
masculine géante et bêlent sauvagement tandis que
l’orchestre tente (en vain) de faire entendre les subtiles
inventions dont Strauss l’a paré… Un Don Carlos revu et corrigé par Bieito où l’on viole et se masturbe sans autre forme de procès… Un Boris dans les sous-sols d’un parking désaffecté…
Non, nous ne plaidons pas pour des mises en scène
forcément ringardes. Non, nous ne croyons pas que seules les
toiles peintes de l’époque de nos grands-parents peuvent
rendre justice aux chefs-d’œuvre de l’opéra.
Si encore ces expériences récentes pouvaient faire
comprendre, non pas au public, qui le sait depuis longtemps, mais
à nos chers directeurs et à ceux qui les financent
surtout, que dépenser tant d’argent pour tant
d’absurdités est une gabegie insensée, surtout en
des périodes où les financements publics se font de plus
en plus parcimonieux pour ce genre de spectacles ! Une gabegie que
toute administration normalement constituée stigmatiserait
immédiatement dans n’importe quel autre domaine.
L’opéra, lui, fait figure d’exception. On continue
d’y engloutir des sommes colossales pour permettre à des
metteurs en scène d’exprimer leurs propres fantasmes. Bien
sûr, nous exagérons. La plupart des metteurs en
scène d’opéra sont des gens remarquables, qui
savent ce qu’ils font, qui connaissent la musique et les
chanteurs, et les respectent. Malheureusement, les seuls dont on parle,
ceux qui sont à la mode, pour le rester s’obligent
à renchérir toujours davantage dans ces
« coups médiatiques » – comment
continuer à être à la mode si l’on ne fait
parler de soi ? Et comment faire parler de soi à coup
sûr ? Choquer, bien entendu ! Accessoirement, ces gens
sont souvent aussi les plus tyranniques – et les plus chers.
Avez-vous vu un chanteur demander à ce qu’on vire un
metteur en scène – et y arriver ? Callas
peut-être… Tempi passati…
Aujourd’hui, même un chef d’orchestre n’a pas
toujours son mot à dire, et peut se faire débarquer par
un metteur en scène. Cette dictature dure depuis bien longtemps,
et l’aveuglement des directeurs (et, répétons-le,
des politiques qui les financent) est incompréhensible. Gel des
crédits, baisse des subventions, souci de
rentabilité… Le monde de l’opéra, on le
sait, est frappé de plein fouet par la même
récession qui touche l’ensemble du pays. Il serait vain de
se lamenter : quel domaine aujourd’hui peut se targuer
d’avoir le vent en poupe, financièrement parlant ?
L’Art Contemporain, oui, bien sûr – dans sa
composante plastique uniquement, toutefois. Pour la seule raison que
nos grands financiers peuvent s’y adonner à de juteuses
spéculations. Mais il est plus facile de spéculer sur un
objet vendable que sur du spectacle vivant, par essence volatil.
L’opacité inhérente à la gestion des
opéras (dont pas deux n’ont les mêmes règles
de fonctionnement) nous empêche de trouver des chiffres clairs et
cohérents. Mais les dépenses affectées aux seules
parties « scéniques » de chaque spectacle
(décors, costumes, lumières, perruques, maquillages,
vidéo, sonorisations, effets en tous genres – et
rémunérations de tout ce beau monde) souffrent
d’une hypertrophie quasi systématique.
Persévérer dans une politique privilégiant les
metteurs en scène de prestige devient plus que jamais une
hérésie. Nous ne parlons bien entendu pas des grandes
institutions, mais de toutes les scènes qui innervent la vie
culturelle du pays. Car on ne nous fera pas croire que le spectateur
lambda préférera ne voir que trois spectacles dans
l’année, sous prétexte qu’on lui offre
là le dernier chic du concept scénographique, au lieu des
sept ou huit spectacles qu’il pourrait légitimement
espérer sur la saison. Car cet argent, mieux
dépensé, permettrait de proposer une offre très
sensiblement plus élevée qu’aujourd’hui. Il
faudrait pour cela que nos directeurs pensent un peu mois à leur
ego. Le snobisme de ceux qui dirigent pouvait passer lorsque les
indicateurs financiers étaient au vert ; aujourd’hui
qu’ils sont au rouge, un peu de raison et de bon sens devraient
l’emporter.
David Fournier
décembre 2007
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