Au
mois de mai dernier, Luciano Pavarotti faisait ses adieux au Met; adieux
à ce point discrets que le ténor ne parut pas sur scène,
terrassé par un mauvais rhume. En cette saison de profonde inactivité
musicale, Placido Carrerotti - notre correspondant américain - revient
sur ce non-événement majeur qui jette comme un voile sur
la carrière de Big-Lulu.
Après une "Aida"
mi-figue mi-raisin la saison passée, Big Luciano devait une revanche
au public new yorkais. Le rôle de Mario ne lui posant guère
de problème à ce stade de sa carrière, le tenorissimo
retournait donc au Metropolitan pour deux représentations de "Tosca",
la seconde représentation donnant prétexte à une soirée
de gala.
Quoique Pavarotti n'ait nullement
fait d'annonce officielle, tout le monde s'accordait pour considérer
cette ultime représentation comme ses adieux au Metropolitan, si
ce n'est aux scènes d'opéras (aucun théâtre
n'a effectivement programmé de représentation de Luciano
au cours des deux prochaines saisons).
Malheureusement, le sort
s'est acharné contre cette mini série.
A 18h30, le 8 mai, Pavarotti
annonçait qu'il ne paraitrait pas, en raison d'un rhume sévère.
Affrontant les hués, le directeur général du Met,
John Volpe se chargea de l'annonce à un public peu réceptif
(beaucoup pensant que le maestro "se réservait" pour le gala).
Sans aucune répétition,
le ténor dominicain (il s'agit de la république, pas des
moines !) Francisco Casanova se lança dans le rôle, non sans
mérite mais avec un résultat mitigé.
Après une mini polémique
par journaux interposés, le Metropolitan prenait ses dispositions
pour assurer un remplacement de qualité pour un gala qu'il était
hors de question d'annuler (le prix des places les plus chères dépassant
les $ 1.500 Ö) Aussi, le jeudi 9 mai, John Volpe appelait à la rescousse
Salvatore Licitra (33 ans, moitié moins que Luciano) ! Après
quelques hésitations (ses débuts officiels étaient
programmés pour ce même rôle, mais ... en 2004), Lictra
sautait dans un premier avion, de Milan pour Londres, puis dans un Concorde
pour arriver à NY dès le vendredi. Une discussion avec Levine,
une autre avec Guleghina (en substance : "Ne t'inquiète pas pour
la mise en scène: je suis Tosca, et tu es Mario et pour le reste,
il n'y a plus qu'à vivre le rôle), enfin un coup de fil à
maman en Sicile et Licitra acceptait d'être la doublure de Luciano.
Le samedi fatidique, tout
était prêt pour le gala, retransmis gratuitement sur écran
géant sur la plaza, pour quelques 4.000 spectateurs assis (j'ai
compté les sièges) et un certain nombre de spectateurs debout.
A 17h15, Luciano confirmait
sa présence; mais à 19h10, il devait déclarer forfait.
A 20h, John Volpe s'adressait à nouveau au public. Après
avoir rappelé l'épisode célèbre de l'annulation
de Montserrat Caballé dans Anna Bolena à Milan, où
les spectateurs avaient réclamé le directeur pendant 45 minutes,
le patron du Mate a relaté sa conversation avec Pavarotti. "J'ai
demandé à Luciano de venir s'excuser lui même auprès
du public, que celui-ci serait heureux de le saluer une dernière
fois, Il m'a répondu "Je ne peux pas faire ça". Je lui ai
alors dit "C'est une bien triste façon de finir une belle carrière
("This is a hell of a way to end a beautiful career." ) ".
Inutile de dire que cet échange
n'a pas été accueilli avec enthousiasme par le public, qui
s'est toutefois abstenu de tout hué.
Ainsi mis en condition, le
public a fait un triomphe au jeune Salvatore Licitra, lui réservant
une "standing ovation" au rideau final, le Met ayant pour l'occasion rallumé
la salle pour son salut individuel.
John Volpe a par la suite
confirmé que Luciano ne chanterait plus au Met dans un opera ("This
is the end"), mais qu'il pouvait prendre en considération un dernier
concert ou un récital.
Oui, Volpe a bien raison:
This is a hell of a way to end a beautiful career ... et ces adieux manqués
nous laisseront toujours un goût amer dans la bouche.
Ci-dessous: la dépèche
de Luciano, diffusée le dimanche:
I am writing, because
today I have influenza, a common disease which would mean nothing were
I not a tenor.
This virus has unfortunately
forced me to cancel two performances of "Tosca'' scheduled at the New York
Metropolitan Opera, a theater and audience which are very dear to me and
that have provided some of the most unforgettable emotions and experiences
of my whole career.
From some of the newspaper
reports, it seems almost as if my cancellation were considered something
of a betrayal or a weakness, not to show up on that stage and undertake
the profession to which I have dedicated almost my entire life.
A proper vocal condition
is the basic rule for any singing performance; without it, no matter how
much willingness, talent, discipline or passion there is, it is simply
impossible to offer the public the performance for which they have paid.
With influenza, your vocal skills are dictated to and you have no control
over it.
I was looking forward
to this "Tosca'' with so much excitement and, as always, with a little
trepidation: I have performed the role of Cavaradossi an endless number
of times, but every performance is like a box where you discover a unique
treasure of emotions, leaving invaluable memories.
The media seems to imply
that the New York opera public will not forgive my cancellation. But forgiveness
assumes that one has made a mistake; no matter how much I regret with a
passion not being able to sing at the Met on this occasion, catching the
flu was certainly not a willful mistake I made.
Yours sincerely
Luciano Pavarotti
Placido
Carrerotti
_______
Lire également la
critique de Tosca au Metropolitan
de New York, les 8 et 11 Mai 2002