Le
10 juin au théâtre de Poissy, a eu lieu l'enregistrement public
du troisième volet de l'intégrale des opéras français
de Gluck par Marc Minkowski. Après Armide et Iphigénie en
Tauride, voici le tour de la version française d'Orphée et
Eurydice, avec, dans le rôle d'Orphée, Richard Croft.
Rôle exigeant que celui
d'Orphée, long, car le protagoniste ne quitte pas la scène
une seule seconde, et difficile, car il nécessite style, vaillance
et souplesse. Le ténor était d'ailleurs très tendu,
contrôlant sans cesse l'état de crispation de sa mâchoire,
s'enfouissant le visage dans son foulard, se frottant le nez, serrant les
poings...
Il n'avait pas besoin de
tant d'angoisse, car son interprétation est extraordinaire : la
diction est exemplaire, la vocalisation sans défaut, l'incarnation
d'un beau pathétisme.
On attendait les moments
clés de l'opéra avec impatience : l'air dit de Bertoni qui
termine le premier acte, d'une virtuosité égale aux airs
rossiniens les plus difficiles, a été exécuté
avec une facilité qui place Richard Croft au niveau des plus grands.
Il réussit même l'exploit de personnaliser son interprétation
de la chanson- scie "j'ai perdu mon Eurydice".
Sans la présence de
Mireille Delunsch, la fête qu'est la réalisation de cette
intégrale ne serait pas complète. Après ses formidables
Armide et Iphigénie, la voici donc en Eurydice. Le personnage est
beaucoup moins présent que les précédents, d'autant
plus qu'elle ne chante pas l'air de l'ombre heureuse, attribué à
Claire Delgado- Boge, mais l'égérie minkowskienne y déploie
son timbre fruité en toute sensualité, et chacun dans la
salle se sent pour elle les envies d'Orphée. Leur duo est une merveille
d'émotion.
Dans le rôle de l'amour,
une extraordinaire découverte, celle de la toute jeune Marion Harousseau,
seize ans à peine ! Très curieusement, cette juvénile
personne, qui vient nous faire une démonstration de ses talents
avant les épreuves de son bac français, ne possède
pas la voix claire et fraîche qu'on associe à la jeunesse,
mais une vraie voix lyrique, pleine, puissante et vibrée. Elle semble
également en pleine possession de son métier, car elle interprète
vraiment son personnage, vocalement, mais aussi par ses gestes et ses mimiques.
La carrière de ce petit prodige est à suivre absolument,
en espérant que se lancer si jeune dans ce métier, même
avec une voix qui semble en pleine maturité, ne lui sera pas néfaste.
Marc Minkowski, en grande
forme, fait des effets de chemise (comme les divas, il change de costume
pendant l'entracte !). Sa direction du choeur et orchestre des musiciens
du Louvre est égale à elle- même, et l'air des furies,
pour ne citer que celui- ci, est véritablement impressionnant. Nous
assisterons à la prise de son archi- intégrale, avec la totalité
des ballets.
Il est plus que probable
que le disque sera aussi réussi que les précédents
de l'intégrale Gluck. Nous nous précipiterons donc pour en
faire l'acquisition dès sa sortie... en attendant Alceste et Iphigénie
en Aulide...
Catherine Scholler