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« Mon travail est de donner du plaisir »
Interview d'Yvonne Naef
Yvonne Naef
© DR
Courtisée par toutes les scènes mondiales, Yvonne Naef
aura attendu 2005 pour débuter à l’Opéra de
Paris. Après Wagner avec Salonen, Berlioz avec Cambreling,
Mahler avec Haenchen et Messiaen avec Pierre-Laurent Aimard, la mezzo
suisse revient à l’Opéra Bastille pour chanter un
autre de ses compositeurs préférés, Verdi.
Devenir cantatrice, c’était un rêve d’enfant ?
J’ai toujours chanté, partout ! Durant mes jeunes
années, j’ai participé au moins à quatre
chorales. Ma famille n’adhérait pas du tout à
l’idée que je devienne cantatrice, et j’ai du lutter
très fort pour faire ce que je voulais, mais j’imagine
qu’il en a été de même pour beaucoup de mes
collègues !
Vos débuts en tant que chanteuse se situent quand ?
Lorsque j’avais 10 ou 11 ans. Je chantais alors des airs de Bach
à l’église. En Suisse, l’éducation
musicale est très sérieuse, et particulièrement
axée sur les œuvres sacrées. Les enfants que cela
intéresse peuvent travailler dans les nombreux chœurs qui
y existent un peu partout. C’est donc tout naturellement dans la
musique sacrée que j’ai fait mes premiers pas.
Vous chantez beaucoup de
Wagner, mais semblez échapper à l’espèce
d’hégémonie que subissent tant de
wagnériens : vous chantez très fréquemment
d’autres répertoires très différents…
J’ai toujours eu un vaste répertoire. C’est
artistiquement essentiel pour moi de voguer entre différents
styles, d’autant que j’ai des goûts très
éclectiques… Il n’y a guère que le
vérisme et Richard Strauss (malgré la beauté des
livrets) qui ne me touchent pas. Mais ces répertoires-là
peuvent très bien se jouer sans moi ! (rires) Mon premier
rôle d’opéra, c’était la Cenerentola,
puis il y a eu Rosina. Mon début de carrière a
été marqué par les rôles
« à coloratures ». Et j’ai toujours
essayé de garder en mémoire ce que ces répertoires
m’avaient appris sur le plan technique. La
légèreté, le feu des personnages rossiniens me
fascinent ! Aujourd’hui encore, je serais ravie de chanter
dans Tancredi. C’est autour de cette base très belcantiste
que mon répertoire s’est développé
naturellement, comme un bouquet ! (rires). Je voyage toujours avec
des partitions de Rossini. Quand j’ai peur qu’un rôle
que je répète pour un spectacle finisse par me peser, je
reviens toujours à trois ou quatre pièces très
différentes. Je fais toujours des vocalises ! A
l’Opéra Bastille, je partage ma loge avec Joyce Di Donato,
et j’y ai trouvé ses partitions : j’ai ainsi
chanté tout le Romeo de Bellini, pour me chauffer la voix !
Le répertoire français me plaît également
beaucoup, notamment Berlioz, dont j’ai chanté Marguerite
(la Damnation de Faust) et
Didon (les Troyens). Bien sûr, dans mon répertoire, Verdi
et Wagner sont les deux piliers principaux mais une maison compte plus
de deux piliers ! Et puis, il n’y a pas que
l’opéra : j’aime être sur scène
seulement accompagnée d’un orchestre et d’un chef,
ou d’un pianiste. Le lied, la mélodie, permettent
l’expression d’une finesse, d’une
spiritualité, d’une féminité aussi, que
l’opéra ne met pas toujours en évidence.
C’est une véritable exploration de l’âme.
Beaucoup de chanteurs
trouvent aussi avec le récital un moyen d’échapper
à des mises en scènes qui ne leur conviennent pas
forcément…
Je n’ai pas d’a priori concernant les mises en scène
modernes ou traditionnelles. Tout dépend du rapport avec le
metteur en scène. J’ai connu dans tous les cas des
expériences très amères, mais aussi des
collaborations enrichissantes. La question n’est pas celle
de la modernité ou du conservatisme, mais plutôt
celle-ci : le metteur en scène connaît-il bien son
métier ? Respecte-t-il les chanteurs, leur savoir (qui ne
doit pas être confondu avec leur ego !), réussit-il
à se mettre au service du compositeur ? Quand je travaille
avec des personnes qui se consacrent pleinement à la musique,
qui sont cohérents et qui ne cherchent pas à raconter
quelque chose de très différent, je suis très
ouverte et tolérante. Je m’intéresse
particulièrement à l’espace, au corps, à la
géométrie entre les différents personnages.
Vous avez attendu 2005
pour débuter à l’Opéra National de Paris,
dans un Tristan resté fameux…
Ma carrière à l’Opéra de
Paris, je la dois totalement à Gérard Mortier. Nous nous
sommes rencontrés pour la première fois au cours des
années 90, à l’occasion d’une production de Moïse et Aaron,
de Schönberg, dirigée par Pierre Boulez. Le spectacle a
tout d’abord été joué aux Pays-Bas, puis
à Salzbourg en 1996 – j’y faisais alors mes
débuts. Après m’avoir donné une chance
à Salzbourg, il m’a donné une chance à
Paris, et je lui en sais gré. J’ai beaucoup de sympathie
et de reconnaissance pour lui, et je suis heureuse d’être
souvent à Paris, même si les huées à
l’encontre de Teodor Currentzis le soir de la première
m’ont surprise. On ne sait jamais vraiment qui elles visent,
ici…
Parlez-nous d’Eboli…
On doit se jeter à l’eau et s’imprégner de
son caractère. Eboli est très douée, très
talentueuse, mais en tant que femme, elle n’a pas plusieurs
façons de conquérir le pouvoir, et il lui faut devenir la
maîtresse du Roi. Elle use donc de sa beauté pour
progresser dans une société très restreinte et
oppressante, dominée par l’Inquisition. Malgré
tout, elle conserve une légèreté, une
facilité, un feu et une joie de vivre qui s’expriment dans
son premier air. Ensuite, tout va très vite, il y a le trio,
puis le repentir, avec « O don fatale ». Parfois,
on ne comprend que très tard qu’elle a été
la maîtresse de Philippe, aussi je trouve qu’il manque
à Eboli une sorte de transition, son propre « Tu che
le vanita », où on explorerait son caractère
en profondeur. Sur le plan technique, j’ai toujours beaucoup de
plaisir à chanter les coloratures du premier air, piano si
possible (mais l’orchestre ne le permet pas toujours !).
L’énergie nécessaire au « Don
fatale » va de soit dans un tel contexte, on la trouve assez
naturellement.
A l’instar de beaucoup de personnages de Don Carlo,
Eboli a réellement existé. A cet égard, est-ce
qu’elle nécessite une préparation
spéciale ?
Oui, il faut bien entendu se renseigner, mais je ne
tiens vraiment pas à porter le bandeau sur l’œil
droit ! (rires) Même si, effectivement, elle était
borgne, ce détail ne m’intéresse pas du tout :
Schiller a « digéré »
l’Histoire pour écrire sa pièce, puis Verdi a
« digéré » Schiller, si bien que le
souci de vérité historique, ici, n’a aucun sens.
Philippe est présenté comme un vieillard, alors
qu’il était trentenaire au moment de son mariage avec
Elisabeth, Don Carlo devient un héros, et n’a plus rien du
crétin violent et consanguin qu’il a été,
alors pourquoi Eboli devrait être un personnage historique ?
De plus, un bandeau, sur une scène très sombre comme dans
le spectacle de Graham Vick, obstrue considérablement la vue.
J’ai donc demandé à ce qu’on le remplace par
du maquillage.
Quels sont vos souhaits, ou vos projets, pour l’avenir ?
Je me réjouis de revenir à Sieglinde, l’automne
prochain, dans une nouvelle production à Hambourg. Je vais
également revenir au Met, dans les rôles de Fricka et
Waltraute, pour l’ultime reprise du vieux Ring
d’Otto Schenk, que nous adorons tous ! Chanter dans ces
décors et ces costumes, c’est tout de suite retrouver ses
marques dans un spectacle auquel je me suis vraiment
habituée ! Je cherche désormais à revenir
vers certains rôles que je chante depuis longtemps, comme l’Ariane
de Paul Dukas, mais j’aimerais également explorer de
nouveaux répertoires : j’adorerais chanter
Médée, ou Dalila, que je n’ai fait qu’en
version de concert. Enfin, j’aime bien être seule sur
scène ! (rires) J’ai déjà chanté
Erwatung de Schönberg, qui est d’une telle difficulté que je ne pense pas le refaire. Je travaille actuellement La Bonne Chanson
de Fauré, et j’aimerais peut-être revenir à
un projet qui me tenait à cœur mais que j’ai du
décliné : Isolde. J’avais prévu de la
chanter, mais c’était à une époque assez
difficile pour moi, où je travaillais trop, et j’ai
été forcée d’annuler, la mort dans
l’âme. C’est un rôle exceptionnel, dont je
possède toute les notes, et qui me permet de rester longtemps
sur scène, ce lieu que j’aime tant ! Il n’y a
rien de concret pour l’instant, mes Isolde attendront, mais
ça me plairait bien !
Propos recueillis par Clément Taillia
Opéra Bastille, le 8 juin
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