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Opéra et charité, une formule qui rapporte ?
18/05/08
Giacomo Puccini
Plus
que toute autre discipline, l’art lyrique semble depuis quelques
temps le mieux à même de servir les causes humanitaires.
Des exemples en France pour la seule année 2008 :
« La chaine de l’espoir » soutenue par Sophie Koch le 11 février au Théâtre Marigny, « Aux enfants d’abord »
le 15 février à l’Opéra de Paris avec une
myriade de stars (Spinosi, Bouquet, Dessay, Naouri, etc.), la vente aux
enchères par l’Opéra du Rhin le 21 juin, de
costumes, d’éléments de décors,
d’accessoires et de perruques au profit de l’Association
Alsace Alzheimer ou, plus près de nous, « Splendeurs de l’opéra »,
un gala pléthorique à 7 grandes voix organisé au
Théâtre du Châtelet le 28 mai pour lutter
contre la maladie d’Alzheimer. Etude d’un cas.
Il
était au départ une production comme une autre,
l’un de ces spectacles qui lorgnent vers les stades et leur trois
ténors, un bœuf pour mélomanes affamés en
quête d’émotions toujours plus fortes, un
événement pour toxicomanes lyriques, boulimiques de la
contre note et amateurs de gosiers en or : un florilège
d’extraits d’opéras interprétés par
sept des plus célèbres chanteurs français. Jacqueline Dubernet,
co-directrice de 3J Event’s, la société en charge
de la production, raconte : « A l’origine,
nous avions prévu un concert le 28 mai au Théâtre
du Châtelet qui devait s’appeler Les duos d’amour et de haine de l’opéra français, allemand et italien
avec 4 artistes : une soprano colorature (Elisabeth Vidal), une
soprano lyrique (Sylvie Valayre), un baryton (Jean-Philippe Lafont) et
une basse (André Cognet). A partir de là, nous nous
sommes dits pourquoi, tant que nous y sommes, ne pas faire en sorte que
tous les types de voix soient représentés, mise à
part, pour des questions de répertoire, la voix de
contre-ténor. Nous sommes donc partis à la recherche et
avons trouvé une mezzo-soprano (Marie-Ange Todorovich) et un
ténor (Jean-Luc Viala). Nous avons même dans notre
quête ramené une soprano supplémentaire, et non des
moindres : Annick Massis. Nous avions ainsi toute latitude
pour composer un programme de rêve, tous les talents capables de
chanter tous les plus grands airs d’opéras. »
C'est alors qu'en parallèle se dessine le projet de faire du
concert du 28 mai la soirée de lancement d'une association
caritative en faveur de l'art lyrique. Puis au dernier moment, alors
que la communication est quasiment bouclée, des questions
administratives enrayent la machine ; l'entreprise est suspendue.
Jacqueline Dubernet poursuit : « Après tant
d’efforts, je n’arrivais pas à admettre qu’un
concert aussi exceptionnel ne puisse pas être utile à une
grande cause. Je cherchais une idée quand, en février,
l'Elysée a dévoilé son plan Alzheimer. Alors je me
suis dit : voilà, notre mission, ça sera la
recherche pour la maladie d’Alzheimer. C’est ainsi que nous
avons décidé de collaborer avec l’Ifrad (*)
en lui reversant une partie de la recette de la soirée : 2,
5 et 10 € par place, programme et livre d’or vendus. Nous
allons aussi faire appel aux dons le soir même en remettant
à chaque spectateur une enveloppe avec un bon qui lui permettra
d’acheter du temps de recherche au prix de 10 € la minute.
»
Le chiffre suspend la conversation. Inutile d’être un as du
calcul ou de la finance pour réaliser que ces tarifs ne
s’adressent pas au premier smicard venu ; qu’à
ce prix, seul un certain public est capable de mettre la main à
la poche. Et où trouver ce public si ce n’est dans les
salles de concert classique car, si le coût d’une place
d’opéra est désormais inférieur à
celui d’un show de Madonna, l’art lyrique continue tout de
même de rassembler avant tout une certaine élite sociale
et intellectuelle, qui, lorsqu’on lui demande de citer un
acronyme en 3 lettres, répond plus facilement ISF et ENA que
RMI. On comprend alors pourquoi opéra et charité font bon
ménage.
Sans nier l’évidence, Jacqueline Dubernet avance
d’autres arguments : « La musique classique est
une musique qui demande une attention toute particulière. Elle
s’écoute avec respect, religieusement, et dans ce sens
s’accorde mieux qu’une autre à une cause noble. Je
dirais même qu’elle l’anoblit encore plus. Ce
répertoire a aussi réussi à franchir
l’épreuve du temps. Qui se souvient aujourd’hui des
chanteurs de variété à la mode il y a
cinquante ans : Luis Mariano, Tino Rossi, Marcel Amont ?
Mozart, Verdi, Bizet eux sont intemporels, ils restent dans nos
mémoires, ce qui d’ailleurs s’avère en totale
adéquation avec notre lutte contre Alzheimer puisque cette
maladie s’attaque à la mémoire. »
On relève en passant qu’Alzheimer s’avère,
plus qu’une autre, une cause entendue ; il suffit dans les
théâtres lyriques de contempler le parterre de têtes
blanches et de cranes polis. A public âgé, rien de mieux
qu’une maladie de séniors pour toucher la corde sensible
et délier les cordons de la bourse. C’est aller un peu
vite en besogne et Jacqueline Dubernet se refuse à emprunter de
tels raccourcis : « Non, malheureusement la maladie
d’Alzheimer touche aussi des personnes assez jeunes. On peut
être atteint dès l’âge de 45 ou 50 ans.
Il faut aussi comprendre que le fruit de la recherche ne profitera pas
à nous mais à nos enfants. Et puis les salles de concert
classique ne sont quand même pas des maisons de retraite !
»
Dernier point qui pose question quand on entend parler depuis toujours
de l’impossible équation économique que doit
résoudre tout spectacle vivant : comment une telle
soirée peut rapporter de l’argent, d’autant que la
location de la salle n’est pas offerte et que les artistes ne
sont pas bénévoles ? Brandir une cause humanitaire
serait la solution ? Jacqueline Dubernet répond :
« Evidemment, il y a une question de
rentabilité ; je ne peux pas me permettre d’y laisser
des plumes. Les artistes ont accepté de faire un effort
financier par rapport à leur cachet. Nous avons
négocié la gratuité de certains espaces de
communication dans les journaux, sur les radios. Nous avons des
partenaires sponsors qui prennent en charge une partie des coûts.
La SNCF par exemple achemine gracieusement les musiciens. Sans eux,
pour qu’une telle production soit rentable, il faudrait faire un
complet, c’est-à-dire vendre à guichet fermé
car nous ne sommes pas à Bercy ou au Stade de France, le
Châtelet contient 1600 places, un point c’est tout ;
on ne peut pas pousser les murs. Mais, soyons clairs, je
n’avais pas besoin de me rattacher à une cause pour faire
ce spectacle. Notre soutien à la lutte contre Alzheimer ne nous
rapporte pas plus d’argent – au contraire, je reverse une
partie des bénéfices à l’Ifrad - ou de
spectateurs - le public vient d’abord pour l’affiche et le
programme. »
Ses motivations réelles, Jacqueline Dubernet les avoue plus
tard, hors micro, quand elle raconte le marathon
téléphonique de 30 heures qu’elle effectue chaque
année pour le téléthon ou quand elle confie
qu’une fois à la retraite, elle se mettra probablement au
service d’une cause humanitaire. On réalise alors que si
opéra et charité forment un couple lucratif, il faut pour
les apparier une volonté qui ne relève pas du
mercantilisme mais tout simplement du cœur.
Christophe Rizoud
17 Mai 2008
____
(*) Fondation pour la recherche sur la maladie d’Alzheimer.
NB du 19/05/08 :
Cause humanitaire ou non, Splendeurs de l’opéra a dû
finalement être reporté faute de spectacteurs. La nouvelle
date du spectacle n'est pas encore connue.
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